Les chatbots facilitent-ils ou déshumanisent-ils les relations ? L’humain peut-il vraiment parler à un robot ? Le déshumain peut-il se passer de l’humain pour communiquer ?

Les acteurs de la communication digitale ont modifié durablement les relations interpersonnelles. Le rapport entre humains est désormais influencé par des intermédiaires déshumains. La place de l’humain évolue et l’on peut s’interroger sur la nécessité de sa présence dans une conversation. A-t-on encore besoin d’un autre humain pour communiquer ? Qu’en est-il du dialogue entre humain et déshumain ?

 

Comment ont évolué les relations entre humain et déshumain ?

Historiquement, les machines ont été créées pour servir l’humain et répondre à un besoin précis. Les robots industriels automatisent les chaînes de production et les robots domestiques facilitent la vie quotidienne, dans un rapport presque hiérarchique ou la machine est au service de l’humain.1
Ce rôle a ensuite évolué et les robots jouent maintenant un rôle d’intermédiaire dans les relations interpersonnelles. On peut donc envisager une nouvelle évolution, certains imaginant même une inversion de ce rapport.2

Selon une étude de Vanson Bourne pour Teradata,3 80% des entreprises investissent dans l’intelligence articificielle. On assiste au commencement d’une ère conversationnelle où l’humain et le robot parlent d’égal à égal. En témoigne la croissance fulgurante de Messenger qui fait partie des 4 premières applications en nombre d’utilisateurs uniques sur toutes les tranches d’âge.3 Un phénomène qui se manifeste notamment par l’apparition des chatbots ou robots conversationnels.

 

Qu’est-ce qu’un chatbot ?

Un chatbot, contraction de « chat » et de « robot », est une intelligence artificielle qui imite le comportement d’un humain, capable de répondre de façon automatique aux questions d’un utilisateur par texte ou par voix, selon la définition donnée par Thomas Sabatier, CEO de The Chatbot Factory au Blend Web Mix 2017 à Lyon.5

Il distingue également les chatbots linéaires, basés sur un arbre décisionnel et une contrainte utilisateur forte, des chatbots non linéraires, sans contrainte utilisateur et permettant des questions libres.6

L’usage des chatbots est très varié. On trouve des bots informatifs qui proposent une sélection d’articles, commerciaux qui permet de commander des produits, expérientiels pour suggérer des activités et de service pour un service après-vente par exemple.7

Des critiques naissent déjà sur la réelle efficacité de ces agents conversationnels. Ainsi, Thomas Gouritin, fondateur de tomg Conseil, déplore une mise en place parfois hasardeuse : « les chatbots d’aujourd’hui sont dans leur très grande majorité bien plus bêtes que réellement intelligents. »8 Selon lui, la conception d’un chatbot performant demande « du temps passé à essayer, à itérer et à tester ».

Ulysse Bottello,9 product owner chez The Chatbot Factory, explique les objectifs et les limites de ces outils : « Le but ultime de ces agents est d’imiter le comportement humain afin de proposer une expérience intuitive pour l’utilisateur, cependant il est compliqué de répliquer une conversation tant les possibilités sont grandes. Nous assistons à la naissance des agents conversationnels intelligents. Tout comme les premiers sites web, les premières applications, nous avons encore beaucoup à apprendre et à faire. »

Une étude menée par l’Ifop et Do you dream up montre que 56% des Français pensent que les chatbots vont simplifier leur vie.10 Le marché des chatbots devrait atteindre 994,5 millions de dollars en 2024.11

Ulysse Bottello livre sa vision de l’avenir des chatbots.
« La première mutation viendra de la forme : allons-nous avoir plusieurs bots, selon les marques avec qui on désire parler, ou alors un méta-bot qui sera l’accès unique vers des fonctionnalités proposées par des marques ? L’usage des utilisateurs décidera de comment seront designés les bots de demain.
Il va être de plus en plus simple de mettre en ligne un chatbot intelligent, ce qui va faire grandir leur nombre sur le marché. Un marché qui se structure avec des initiatives de découverte de bot dans la logique de bot store.
Les usages seront multiplateformes et multimédias, avec des chatbots texte qui seront utilisés dans les transports en communs, par exemple, et qui pourront gérer des requêtes vocales une fois dans un autre contexte. »

Les chatbots semblent promis à un bel avenir. Mais si le dialogue humain-robot devient la norme, quelle place pour les rapports interpersonnels ?

 

Les chatbots facilitent-ils ou déshumanisent-ils les relations ?

De nombreux arguments surgissent à l’encontre des chatbots, accusés de déshumaniser les relations. Evgeny Chereshnev, CEO de Biolink.Tech, s’interroge : « le monde a-t-il vraiment besoin d’autant de chatbots en complément de la vie réelle ? »12 Pour Hugo Stepanian, journaliste pour Siècle digital, cette tendance peut être vue comme « un retour en arrière : les robots sont comme des murs qui bloquent les vrais échanges. »13

Ulysse Bottello s’oppose à cette vision d’un bot qui desservirait les relations humaines : « Je ne pense pas que nous allons passer plus de temps à parler à un bot qu’à nos amis tout de suite et quand bien même, le bot pourra être une passerelle pour communiquer entre humains. Voyons ces agents comme une expérience complémentaire qui permet d’avoir une réponse immédiate, personnalisée et contextualisée. Le bot sera moteur, de par son intelligence, d’interactions interpersonnelles. »

Il réfute la déshumanisation et met en avant une inversion de paradigme dans le dialogue humain-robot. Alors que pendant des années les humains s’adaptaient au langage des robots en entrant des mots-clés dans un moteur de recherche, ce sont maintenant les bots qui s’adaptent à l’humain et adoptent son langage.

Pour Ulysse Bottello, le développement des chatbots ne mettra pas l’humain de côté puisqu’ils seront complémentaires. « L’humain a une place déterminante dans la conception et l’entraînement d’un chatbot. C’est l’humain qui va décider des règles conversationnelles s’assurant de la meilleure ergonomie possible dans l’interaction homme-machine. Puis il va superviser l’entraînement du chatbot, afin de garantir un taux de compréhension satisfaisant.
L’escalade vers l’humain (human hand-over) garantit une expérience moins déceptive pour les utilisateurs qui ont des requêtes complexes que le bot ne peut gérer actuellement. Généralement, nous faisons en sorte d’identifier les moments clés afin d’anticiper un besoin de support humain : lors d’une incompréhension, quand le message est trop long ou quand on détecte une émotion négative dans la requête de l’utilisateur. »

Selon iAdvize, 50% des conversations avec un bot seraient ainsi assistées par l’homme.14 L’humain peut donc trouver sa place dans ces nouvelles pratiques. Le dialogue humain-robot peut être un support des relations interpersonnelles.

 

L’humain peut-il vraiment parler à un robot ?

Les agents conversationnels sont une des manifestations du dialogue entre humains et intelligences artificielles. D’autres technologies proposent d’interagir avec elles, parmi lesquelles les assistants vocaux qui proposent de parler directement au robot en utilisant la voix. Un marché en plein essor puisque selon Gartner, les enceintes connectées à commande vocale représenteront 3,52 milliards de dollars en 2021 dans le monde, contre 360 millions en 2015.15 Le vocal first pourrait s’imposer comme la prochaine tendance digitale. Les enceintes Google Home, Alexa d’Amazon, Siri d’Apple ou encore Cortana de Microsoft font désormais partie du quotidien de nombreux utilisateurs.16

On voit aussi apparaître de nouveaux acteurs de la robotique de service, qui ont une capacité d’opération dans un environnement conçu pour l’homme, et en interaction avec lui. Robots aspirateurs, ludiques, de serveillance ou multitâches, l’écosystème est vaste.17 De nombreux humanoïdes font aussi leur apparition, facilitant le dialogue avec l’humain, comme Asimo, Pepper ou Leenby.18 Là encore, le marché s’annonce lucratif, puisque la Commission Européenne prévoit 100 milliards d’euros en 2020 pour les robots de service professionnels et personnels.19

Mais parler avec un robot peut-il s’apparenter à parler à un humain ? Imaginé par Alan Turing en 1950, le test de Turing permet de vérifier la capacité d’une machine à faire preuve de signes d’intelligence humaine.20 Un évaluateur humain est chargé de déterminer lequel de ses interlocuteurs est un humain et lequel est une machine. S’il n’est pas en mesure de les discerner, la machine a passé le test avec succès. Depuis sa création, plusieurs versions du test ont été mises en place, mais les machines qui l’ont réussi sont rares, d’autant que ces succès sont souvent contestés.21

De nombreux obstacles peuvent empêcher un robot de passer le test de Turing. Même si l’intelligence artificielle est de plus en plus performante, imiter parfaitement une conversation humaine est difficile. De plus, des bugs sont possibles, comme l’a compris Microsoft avec son intelligence articificielle Tay. Capable de participer à des conversations sur les réseaux sociaux, le bot a répété des propos racistes d’utilisateurs tentant de le faire déraper.22 Cette expérience a montré certaines limites du machine learning, certains pointant aussi la naïveté de l’intelligence artificielle.23

Dans son livre Des robots et des hommes : mythes, fantasmes et réalité,24 Laurence Devillers souligne ce qui distingue fondamentalement humains et robots.
Le rêve, l’ironie, l’ambition et la conscience de sa condition sont autant de compétences humaines que le robot ne possède pas. « Il n’y a pas d’évolution liée à une enfance, ni de conscience de son corps, ni d’échanges uniquement en paralangage, ni d’attentes sociales pour un robot. » L’auteure rappelle que « les émotions sont fondamentales dans l’interaction sociale, donc la machine intelligente doit prendre en compte les facteurs émotionnels » tout en soulignant qu’« il est plus facile pour un robot de simuler des émotions que de les reconnaître ». L’emploi du terme « simuler » montrer bien que les émotions du robot ne sont pas réelles. Ainsi un robot « peut reconnaître une pomme, en revanche il ne saura jamais le goût qu’elle a, sauf de façon encyclopédique en lui expliquant le goût d’une pomme. » De même, « il ne sera jamais vraiment triste, il ne fera que simuler les signes montrant la tristesse. »

Des recherches sont menées pour améliorer la reconnaissance émotionnelle. Ainsi le MIT a développé Koko, « un module permettant de simuler une certaine empathie. Il fonctionne à partir d’énormes bases de données qui regroupent des milliers de réponses empathiques. »

Les œuvres de fiction s’intéressent souvent aux liens entre humains et machines, comme le film Her qui imagine des sentiments entre un assistant vocal et son utilisateur.25 Si la réalité n’a pas encore atteint ce stade, les récents développements de l’intelligence artificielle laissent penser que des évolutions rapides auront lieu.
Pourrait-on même envisager que les robots dialoguent entre eux et délaissent progressivement l’humain ?

 

Le déshumain peut-il se passer de l’humain pour communiquer ?

En 2017, les chercheurs du Fair, le laboratoire de recherche sur l’intelligence artificielle de Facebook, ont travaillé sur un chatbot capable de mener une négociation, aussi bien avec un autre robot qu’avec un humain.26
Au fur et à mesure des expérimentations, les robots se sont éloignés des méthodes programmées par les chercheurs, développant des techniques de négociation inattendues.
Dans un modèle très compétitif et lorsqu’ils n’étaient plus récompensés pour parler comme des êtres humains, les deux intelligences artificielles ont développé une version modifiée du langage. Dhruv Batra, l’un des chercheurs, explique : « Il n’y avait plus d’intérêt à s’en tenir à l’anglais. Par exemple, si je dis « les » cinq fois, vous interprétez cela comme signifiant que je veux cinq exemplaires de cet article. »27

Si ce modèle de conversation a depuis été réparé, il pose des questions sur l’appropriation du langage par les robots qui pourraient développer leurs propres codes de communication.

 

À suivre : quelle place pour les marques dans ce nouvel écosystème ?

L’humain est de plus en plus souvent amené à interagir avec le déshumain. Chatbots, assistants personnels, robots de services… le développement de l’intelligence artificielle entraîne l’apparition de nombreux acteurs.
Ce phénomène pourrait être une opportunité pour les marques qui, en s’appropriant ces nouveaux outils et modèles de communication, seront amenées à réinventer la relation client et le rapport au consommateur.

 

Sources

1 SIMON, Catherine, « Quelles sont les grandes tendances de la robotique ? », pour Aruco, 12 mai 2016
2 LIBERGE, Audrey, « Le robot au service de l’homme ou l’homme au service du robot ? », dans Siècle Digital, 26 janvier 2016
3 Vanson Bourne, « State of articificial intelligence for enterprises », 10 octobre 2017
4 ComScore, « The 2017 mobile app report », 2017
5 SABATIER, Thomas, « Chatbots : vers une révolution de la relation client ? », au Blend Web Mix, Lyon, 27 octobre 2017
6 SABATIER, Thomas, « Chatbots : vers une révolution de la relation client ? », page 18, 27 octobre 2017
7 iAdvize, « Chatbots : comment ils transforment l’expérience client », page 7
8 GOURITIN, Thomas, « L’arnaque chatbots durera-t-elle encore longtemps ? », dans Frenchweb, 15 novembre 2017
9 BOTTELLO, Ulysse, interviewé le 29 novembre 2017
10 Ifop et Do you dream up, « Perception des agents conversationnels et leur utilisation au quotidien », 27 septembre 2016
11 Transparency market resarch – Chatbot market
12 CHERESHNEV, Evgeny, « Un jour, les chatbots seront les maîtres du monde », dans Kasparsky Lab, 26 août 2016
13 STEPANIAN, Hugo, « Chatbot : attention à ne pas casser la relation avec votre communauté ! », dans Siècle digital, 24 janvier 2017
14 iAdvize, « Chatbots : comment ils transforment l’expérience client », page 10
15 DI QUINZIO, Cécilia, « Google Home ouvre la voie du vocal first », dans Stratégies, 13 septembre 2017
16 DUNN, Jeff, « We put Siri, Alexa, Google Assistant, and Cortana through a marathon of tests to see who’s winning the virtual assistant race – here’s what we found », dans Business Insider, 4 novembre 2016
17 PIPAME, « Robotique personnelle et de service : quels produits pour quels usages ? », 14 juin 2012
18 MARANTE, Willy, « Les robots humanoïdes à notre service », dans Futura Sciences, 9 septembre 2016
19 SOBOCINSKI, Aurélie, « Quel avenir pour la robotique de service ? », dans Le journal du CNRS, 28 juillet 2014
20 L., Bastien, « Test de Turing : un test pour mesurer l’intelligence artificielle », dans Artificiel.net, 24 mars 2017
21 DELAHAYE, Jean-Paul, « Non, le test de Turing n’est pas passé ! », dans Scilogs, 10 juin 2014
22 TUAL, Morgane, « A peine lancée, une intelligence artificielle de Microsoft dérape sur Twitter », dans Le Monde, 23 mars 2016
23 « Microsoft muselle son robot Tay, devenu nazi en 24 heures », dans Libération, 25 mars 2016
24 DEVILLERS, Laurence, « Des robots et des hommes : mythes, fantasmes et réalité », éditions Plon, 2 mars 2017, pages 21, 156, 159, 167 et 178
25 JONZE, Spike, « Her », 2014
26 LEWIS, Mike, YARATS, Denis, N. DAUPHIN, Yann, PARIKH, Devi, BATRA, Dhruv, « Deal or no deal ? Training AI bots to negociate », dans Facebook Code, 14 juin 2017
27 « Intelligence artificielle : deux robots Facebook développent leur propre langage », dans France Info, 31 juillet 2017

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