Quels outils digitaux nous permettent de communiquer ? Les relations virtuelles facilitent-elles ou remplacent-elles les relations réelles ? Peut-on revenir à un lien direct entre humains, sans intermédiaire déshumain ?

L’écosystème de la communication digitale est constitué de nombreux acteurs, parmi lesquels on distingue des humains et des déshumains. Ces derniers peuvent eux-mêmes être divisés en deux catégories : les machines et les robots. Tous ces acteurs interagissent au sein de l’écosystème, c’est là le principe même de la communication. Humains et déshumains sont liés. La machine est au service de l’humain, elle facilite son besoin de communiquer et joue le rôle d’intermédiaire entre les humains lorsqu’ils rentrent en communication. Voyons comment se construisent les relations interpersonnelles grâce aux outils de la communication digitale.

Quels outils digitaux nous permettent de communiquer ?

La communication digitale introduit de nombreuses technologies, autant d’acteurs déshumains qui vont mettre en relation les humains. Le nombre d’outils de communication digitale ne cesse de croître. On peut citer les mails et les SMS parmi les premiers à avoir transformé nos usages. Même si la croissance de ces derniers ralentit depuis 2012, leur nombre reste conséquent avec 2,1% d’augmentation en un an au quatrième trimestre 2015, d’après un observatoire de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.1 Mais ces outils semblent déjà faire partie du passé, tant les réseaux sociaux se sont maintenant imposés comme les plateformes privilégiées pour les échanges. 31% de la population mondiale utilisait les réseaux sociaux en 2017, soit plus de 2,3 milliards d’individus.2 Pour le sociologue Dominique Cardon, « c’est l’apparition d’une communication privée en public. Les utilisateurs […] rendent public un échange personnalisé. C’est une manière particulière de socialiser la communication personnelle en la montrant au réseau de contacts. »3

D’autres plateformes s’imposent à grande vitesse : les messageries instantanées. Elles permettent d’échanger des messages textuels ou des fichiers en temps réel entre plusieurs utilisateurs connectés à un même réseau.4 Le plus souvent, ces services de messagerie sont liés aux réseaux sociaux. On peut citer, parmi les plus utilisés, Facebook Messenger, Snapchat ou encore WhatsApp.5 Ces applications possèdent des avantages non négligeables face aux SMS. Elles permettent de partager bien plus que du texte, sont plus conviviales et surtout gratuites puisqu’elles ne nécessitent qu’une connexion Wi-Fi pour fonctionner dans le monde entier.6 L’ère du conversationnel a débuté. Dans son étude Social Life 2017, Harris Interactive en fait l’une des tendances clés du secteur. 77% des individus de la génération Y utilisent les applications de messagerie pour communiquer avec leurs proches, contre 69% qui utilisent les réseaux sociaux.7

Comment utilise-t-on ces outils pour des relations professionnelles ?

Les relations dans un cadre professionnel sont aussi transformées par ces nouveaux outils. Là encore, on trouve des réseaux sociaux, adaptés aux usages du monde de l’entreprise. On peut citer LinkedIn, Slack mais aussi Workplace by Facebook, déclinaison professionnelle du réseau social de Mark Zuckerberg.

Les échanges professionnels se voient eux-aussi dotés d’acteurs déshumains et les relations évoluent. L’attrait grandissant des salariés pour le télétravail est une manifestation de cette envie de repenser les relations. 41% des français souhaitent adopter le télétravail à temps plein et 31% en alternance avec un travail présentiel, d’après un sondage réalisé par Vivastreet.8 Les récentes discussions en vue de donner un cadre légal à ce mode d’organisation montrent que le sujet n’est pas négligeable.9

On peut se demander si ces nouvelles pratiques participent réellement à l’épanouissement personnel et professionnel ou si elles détériorent le lien social entre individus. La présence d’intermédiaires déshumains dans toutes nos relations est-elle vraiment un progrès ?

Les relations virtuelles facilitent-elles ou remplacent-elles les relations réelles ?

Les nouveaux outils digitaux sont-ils bénéfiques pour les relations interpersonnelles ? Peut-être ce contact virtuel se substitue-t-il au contact réel ? L’humain n’aurait-il pas tendance à communiquer davantage avec le déshumain qu’avec son semblable ? Les réseaux sociaux socialisent-ils réellement ou isolent-ils ?

L’idée selon laquelle les réseaux sociaux, les smartphones et autres technologies nous isolent dans une bulle virtuelle et nous rendent addicts est très répandue. « Non, la technologie ne crée pas les échanges, elle les transforme » affirme Dimitri Antoniades, entrepreneur, dans Les Échos.10 Une étude de The Archives of Sexual Behavior montre que les jeunes américains ont moins de relations sexuelles que leurs aînés. Et l’enquête établit un lien direct avec l’essor de ces nouveaux modes de communication.11 D’après Ryne Sherman de l’université de Floride, co-auteur de l’étude, « Internet permet aux usagers de se divertir sans avoir de vie sociale via Netflix, les jeux vidéo, les réseaux sociaux, etc. Les gens sont en contact mais ne se réunissent pas. »12

Mais la construction de communautés virtuelles ne peut-elle pas se transposer dans le réel ? Selon Nathalie Nadaud-Albertini, docteure en sociologie, « le premier contact se fait par le biais d’un centre d’intérêt commun qui fédère une communauté numérique. Les échanges commencent en ligne. Puis, percevant qu’elles ont des affinités dépassant l’intérêt commun, les personnes vont passer aux échanges privés. Si elles constatent qu’elles s’apprécient réellement, elles vont échanger leurs numéros de portable. Puis, viendra la première rencontre IRL (in real life). »13 Une étude du Pew Research Center montre d’ailleurs que l’utilisation des réseaux sociaux augmente la confiance entre les individus.14 Keith Hampton, auteur de cette enquête, révèle que « les gens qui utilisent des sites comme Facebook ont en fait des relations sociales plus développées et sont plus impliqués dans des activités civiques et politiques. »15

Si des arguments existent dans les deux camps, il semblerait qu’un vrai lien social et un nouveau rapport à l’humain soient de plus en plus recherchés.

Peut-on revenir à un lien direct entre humains, sans intermédiaire déshumain ?

Alors que les plateformes digitales s’immiscent dans toutes nos relations, on voit surgir une volonté de revenir à l’humain. Des valeurs d’altruisme, d’attention aux autres et de collaboration sont remises en avant. La dépendance aux nouvelles technologies inquiète de plus en plus, alors que 85% des Français se déclairaient dépendants en 2016.16 Un besoin se fait ressentir de s’affranchir du déshumain et de retrouver une relation directe d’humain à humain. Au travail aussi, 74% des actifs se sentent stressés par les sollications incessantes par mail ou notifications.17 C’est dans ce cadre que des réflexions ont lieu sur le droit à la déconnexion, permettant aux employés de ne pas être contactés en dehors de leur temps de travail.18

La volonté de remettre l’humain et ses besoins au centre de l’attention se manifeste également par l’avènement de l’expérience client, soit l’ensemble des émotions et sentiments ressentis par un client avant, pendant et après l’achat d’un produit ou d’un service.19 Ce phénomène se manifeste par un nombre croissant d’UX designers dans tous les domaines, jusqu’aux secteurs de la banque et de l’assurance.20

Pour Fabrice Liut, facilitateur en stratégie de projet et conduite du changement, l’humain peut encore retrouver une place centrale dans les échanges.21 « La communication digitale est associée à des outils permettant une simplification des usages mais qui sont aussi conçus pour être addictifs. Maintenant, nous sommes un peu pris au piège. Les gens ne communiquent plus entre eux de manière directe mais ils parlent à plein de monde, tout le temps. On ne pourra pas revenir sur le fait de dialoguer avec des gens quand on ne peut pas les voir réellement. Par contre, discuter avec quelqu’un sur Messenger et discuter avec quelqu’un réellement, ce n’est biologiquement pas pareil. C’est donner l’impression à son cerveau d’avoir une relation sociale sans en tirer physiquement aucun bénéfice. Cela provoque une carence et une nécessité d’aller voir les autres. Alors que l’on ne sait plus comment communiquer et se rassembler, la solution est d’avoir une réflexion locale. Il faut reprendre les bases : comment se réunir, échanger des idées et travailler ensemble. Il faut quasiment tout réapprendre pour retrouver ce lien dont on a tous besoin. L’objectif est de reconstruire les bases en appliquant des méthodologies qui reposent sur du bon sens. C’est ainsi que nous pourrons recréer le lien physique nécessaire à chacun. On constate par exemple un retour à l’alimentation locale et l’ouverture de nouveaux lieux de vie. Socialement parlant, les choses évoluent en ce sens avec des actions qui se mettent en place mais qui restent encore trop marginales. Il y a encore de l’espoir parce que les humains ont ce besoin de se retrouver les uns avec les autres, de connaître les gens qui sont autour d’eux. Il est possible de s’impliquer et de trouver des solutions à des problématiques concrètes à côté de chez soi. Il faut créer un terrain fertile localement pour se nourrir humainement et retrouver du sens. »

On voit ainsi éclore des modes de vie centrés sur l’humain et son bien-être, comme la permaculture de l’humain, inspirée de la permaculture, une technique agricole basée sur les interactions entre les différents acteurs d’un écosystème.22 Appliquée aux individus, la permaculture consiste à remettre l’humain au centre et à reconnaître les forces et les qualités de chacun, y compris soi-même, dans son environnement.23

Fabrice Liut explique en quoi son rôle de facilitateur est essentiel pour retrouver ce rapport à l’humain et ces liens sans intermédiaire. « Je constate ce retour à l’humain particulièrement dans le secteur de l’innovation sur des problématiques de conduite du changement et de transformation digitale. On se rend compte que travailler à distance ne fonctionne pas. Pour innover, trouver des solutions et faire avancer les systèmes, il faut mettre des humains qui sont complémentaires ensemble. Le facilitateur permet de les faire collaborer et communiquer ensemble. Quand on parle d’expérience utilisateur, on pense aussi à de l’expérience humaine. L’idée est de réapprendre comment cette expérience se vit, de remettre l’humain et les usages au centre. C’est à ce moment-là que l’on peut reconnecter les humains les uns avec les autres pour retrouver une dynamique et une évolution. »

Malgré tout, peut-on réellement s’affranchir de tout intermédiaire, se déconnecter ? Un journaliste américain, Paul Miller, a tenté l’expérience en vivant pendant un an sans accès à Internet. Après « un premier mois euphorique », Paul Miller commence à s’isoler et à passer ses journées chez lui.24 À la fin de l’expérience, il explique que « [son] idée était de quitter Internet pour trouver le vrai Paul et entrer en contact avec le vrai monde. Mais le vrai Paul et le vrai monde sont aujourd’hui inextricablement liés avec Internet. Je ne veux pas dire que ma vie était différente sans Internet, mais que ce n’était juste pas la vraie vie. »25 Cette expérience a aussi amené Paul Miller à s’interroger sur la frontière entre le réel et le virtuel : « il y a beaucoup de réalité dans le virtuel, et beaucoup de virtuel dans notre réalité. Lorsque nous utilisons un téléphone, nous sommes toujours des humains de chair et de sang, occupant le temps et l’espace. Quand nous gambadons dans un champ quelque part, Internet impacte toujours notre réflexion. »

S’affranchir des intermédiaires déshumains dans nos relations interpersonnelles semble donc difficile, tant ils se sont imposés dans notre quotidien. Le déshumain est un acteur indispensable de la communication digitale.

À suivre : la machine reste-t-elle un intermédiaire ou peut-elle devenir l’interlocuteur final ?

Les relations entre humains utilisent donc de plus en plus des acteurs déshumains comme intermédiaire. La communication digitale bouleverse notre rapport aux autres et interroge sur les liens sociaux que nous créons. Parfois même, l’interlocuteur humain nous paraîtrait presque déshumain, tant il est caché et même remplacé par la machine.

Le rôle du déshumain peut-il alors être reconsidéré ? De simple intermédiaire et facilitateur des relations interpersonnelles, le déshumain ne va-t-il pas devenir l’interlocuteur final ? Le dialogue entre humain et déshumain est lancé.

Sources

1 Arcep, « Observatoire des marchés des communications électroniques », 7 avril 2016
2 COËFFÉ, Thomas, « Les 50 chiffres à connaître sur les médias sociaux en 2017 », dans Le blog du modérateur, 3 janvier 2017
3 CHECOLA, Laurent, « Les réseaux sociaux créent des relations en pointillé », dans Le Monde, 15 octobre 2009
4 DABI-SCHWEBEL, Gabriel, « Messagrie instantannée (chat) », dans 1min30
5 BATHELOT, Bertrand, « Définition : application de messagerie » dans Définitions marketing, 26 novembre 2016
6 SUARD, Camille, « 9 applications de messagerie instantanée pour remplacer les SMS », dans FrAndroid, 9 septembre 2017
7 Harris Interactive, « Social Life 2017 – Baromètre annuel des usages des réseaux sociaux en France », 30 mars 2017
8 SIMON, Marie, « Les Français plébiscitent le télétravail et la souplesse des horaires », dans Le Figaro – Le scan éco, 19 août 2017
9 BALDI, Rémy, « Comment faire évoluer le télétravail ? », dans Le Parisien éco, 13 juin 2017
10 ANTONIADES, Dimitri, « Les relations humaines conventionnelles chamboulées par les nouvelles technologies », dans Les Échos, 30 septembre 2016
11 Jean M. Twenge, Ryne A. Sherman, Brooke E. Wells, « Sexual Inactivity During Young Adulthood Is More Common Among U.S. Millennials and iGen: Age, Period, and Cohort Effects on Having No Sexual Partners After Age 18 », 1 août 2016
12 CHARNET, Agathe, « Les jeunes américains font moins l’amour que lers parents », dans Slate, 3 août 2016
13 « Les réseaux sociaux meilleurs que ce qu’on imaginait pour la vie sociale réelle des ados », dans Atlantico, 10 août 2015
14 Pew Research Center, « Social networking sites and our lives », 16 juin 2011
15 « Les réseaux sociaux encouragent le développement de relations dans la vie réelle », dans 20 minutes, 17 juin 2011
16 Zengularity, « Les Français et les technologies au quotidien », septembre 2016
17 CHERIF, Anaïs, « Les technologies, facteur d’addiction et de stress pour les Français », dans La Tribune, 24 octobre 2016
18 « Droit à la déconnexion : définition et mise en place », dans Le Journal Du Net, 12 octobre 2017
19 BATHELOT, Bertrand, « Définition : Expérience client », dans Définitions marketing, 28 avril 2017
20 RIVOAL, Yves « Les financiers s’arrachent les UX designers », dans L’AGEFI, 12 octobre 2017
21 LIUT, Fabrice, interviewé le 15 décembre 2017
22 DEMEERSMAN, Xavier, « Permculture », dans Futura Planète
23 « Qu’est-ce que la permaculture humaine ? », dans Permaculture Design, 8 octobre 2012
24 RAPHAËL, Benoît, « Il s’est coupé d’internet pendant un an : vivre déconnecté, est-ce bien raisonnable ? », dans L’Obs Le Plus, 2 mai 2013
25 MILLER, Paul, « I’m still here : back online after a year without the internet », dans The Verge, 1 mai 2013

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