*Perspective : Peinture – dessin : Technique de représentation de l’espace et de ce qu’il contient en fonction de lignes de fuite. Sens commun : aspect esthétique que présente un ensemble, un paysage vu à distance.

Les études menées à travers les précédents articles nous ouvrent la voie vers un recadrage de l’espace créatif. En effet, l’approche par les neurosciences démontre une créativité gouvernée par de multiples variables aléatoires, dépendantes de l’individu et de stimuli extérieurs. Bien que le concept semble régi par un véritable labyrinthe cérébral, la compréhension de ces réseaux donne des pistes pour repenser le cadre des créatifs et améliorer leur potentiel en stimulant l’activité et la connectivité des réseaux cérébraux engagés. En prenant en compte les raccourcis du cerveau, l’influence de l’inconscient et divers stimuli externes et internes à l’individu, des leviers s’imposent pour mieux s’adapter aux besoins et fonctionnements des cerveaux créatifs*. 

Plus que des mécanismes complexes et contradictoires, la recherche d’idée est soumise à de multiples interférences brouillant les réseaux et influençant l’orientation des idées. Progressant dans un environnement en constante évolution et face à une place en agence à (re)conquérir, il est peut-être temps de façonner un espace de création idéal pour accompagner les créatifs dans l’expression de leur créativité. 

La question qui se pose désormais est : comment repenser l’environnement des créatifs, notamment en agence, en s’adaptant au fonctionnement et biais de leur cerveau, afin de soutenir leur quête d’inspiration et leur apporter les éléments nécessaires pour l’expression de leur créativité ? 

*Dans le cadre de cette étude, le créatif est considéré le titre professionnel et placé dans le contexte d’une agence de communication. Cependant les enseignements et résultats peuvent s’étendre à toutes les formes de créatifs et pratiques de créativité. 

LA MÉCANIQUE DES CRÉATIFS 

Dans leurs regards 

Lorsqu’on s’interroge sur la créativité et les mécanismes mis en place pour trouver des idées, il semble indispensable d’interroger les personnes directement concernées. Pour tenter de dégager une méthode universelle ou percevoir un process redondant chez divers individus de la catégorie étudiée, nous avons mené une étude sur trois créatifs exerçant en agence. L’idée était de recenser des rituels de création, des moyens pour booster leur créativité et les sources qui pourraient y nuire. 

De manière générale le processus créatif requiert une certaine souplesse et une forme d’adaptabilité. En effet, il ressort de ces entrevues qu’aucun d’entre eux ne dispose d’habitudes ou de méthodes précises, et qu’aucun n’a les mêmes besoins d’aménagements de temps et d’espace.

Néanmoins certaines similitudes peuvent être citées. Pour deux répondants, une phase de critique, de plaintes ou de bougonnement précède celle de création. Cette manière d’aborder le problème permet d’apporter un regard critique, de soulever des questions et de titiller les moindres aspérités de la demande. Des études révèlent d’ailleurs que cette approche négative serait bénéfique pour lutter contre des automatismes et pousser le cerveau à sortir du cadre. 

D’autre part, l’ensemble des répondants évoquent le papier et les stylos comme des alliés incontournables de la créativité. Noter des idées, prendre des notes de choses qui retiennent l’attention, gribouiller … Malgré l’omniprésence du digital, les supports d’antan restent présents sur les bureaux des créatifs. Pour Nicolas Lamarenx, gérant d’une agence de communication, ces outils apportent une certaine mécanique, une aisance et une fluidité dans les gestes, permettant d’esquisser des idées sans contraintes techniques ou matérielles. De même Thomas Ferret, designer stratégique chez CBA, présente le gribouillage comme un moyen de lâcher prise et d’ouvrir son esprit à la recherche d’idées créatives. En effet, la gestuelle aléatoire du gribouillage permet de canaliser l’attention et d’entrer dans un état de veille cérébrale permettant aux idées de voyager sans frontières.  Une technique que l’on peut qualifier d’autohypnose qui ancre le sujet dans le présent, lui permet de lâcher prise sur le besoin de résultat et d’activer le système de mode par défaut, centre de la pensée divergente. Il s’agit en réalité des mêmes circuits activés lors des phases de sommeil. Alors si « la nuit porte conseil », le gribouillage aussi. 

Maxime Roumieu évoque également la notion des biais créatifs, soit différents angles d’approches pour développer une solution originale. Pour être créatif, le cerveau doit s’obliger à tourner le problème dans tous les sens et réaliser des associations insolites. Pour soutenir sa gymnastique cérébrale, il s’appuie sur un jeu de cartes créé à Montréal. Chaque carte pose des questions absurdes et oblige à approcher le problème sous des angles incongrus. 

Au cours de notre étude, les répondants expriment un besoin de prendre l’air et de créer une ou des coupures dans la recherche d’idées. Thomas Ferret, explique notamment que les idées lui viennent sous la douche. Ce phénomène décrit en fait les résultats d’un mécanisme neurologique appelé « farfelu bienvenue ». Dans les faits, prendre une douche, faire une balade ou même s’accorder une pause-café détourne l’attention et crée un éloignement créatif qui opère alors sur la maturation automatique des pensées par une incubation inconsciente. Cette prise de distance avec le problème aide à suspendre le jugement, inhiber l’attention consciente et court-circuiter les inhibitions pour favoriser la recherche d’idées sans se soucier du résultat final. Cependant, le rythme en agence ne permet pas forcément de prendre cette pause. Tous les répondants citent d’ailleurs le temps, et principalement la pression qu’il engendre, comme l’une des nuisances principales à leur créativité. 

Pour mieux cerner leurs besoins, nous leur avons demandé de dessiner leur cadre de création idéal (dessins 1 et 2).  Malgré quelques variations individuelles, nous pouvons relever des besoins similaires. L’idée générale est de pouvoir créer un cocon créatif, personnalisable et customisable au gré de leurs envies. S’ils souhaitent un lieu isolé de l’open-space habituel, ils expriment néanmoins le besoin d’un espace donnant sur la vie extérieure et ouvert au passage. 

Enfin, tous évoquent la nécessité de mettre à disposition des ressources créatives pour alimenter leur créativité ou la laisser s’exprimer. Que ce soient des objets atypiques, des babioles, des livres, des tableaux … Les résultats rejoignent ceux de l’étude menée par le site web Format.com, notant que « 58% des créatifs préfèrent travailler dans un bordel organisé, que dans un espace trop bien rangé ».

Dessinez votre cadre idéal – @ Thomas Ferret et @Nicolas Lamerenx 

Une méthode hors-cadre … 

Bien que chaque créatif ait ses propres techniques, les études scientifiques menées sur la créativité ont élaboré une méthode universelle à suivre, constituée de 4 étapes pour aboutir à une idée originale. Alors qu’est-ce que ce fameux processus créatif dont tout le monde parle ? La première phase consiste à définir le problème, cerner le besoin et rassembler les informations de manière à cadrer la recherche. S’en suit une étape indispensable, l’incubation, qui consiste en une prise de recul. Ce temps off, n’est en fait pas de tout repos. Le problème est relayé à l’inconscient qui initie la manipulation et la maturation des idées. Une fois bien apprêtée, l’ingénieuse fera une apparition plus ou moins soudaine et remarquée. Lorsque l’idée fait son entrée, le process entre dans la phase d’illumination. Un passage très bref où des idées viennent à l’esprit et proposent une base brute de réponses créatives à la solution recherchée. Enfin, dans la dernière étape interviennent la réflexion et l’analyse pour démontrer que l’idée lumineuse répond ou non aux critères définis au départ. 

Ainsi, de l’inspiration à l’illumination, l’ensemble du processus créatif sollicite de nombreux mécanismes cognitifs et émotionnels, qui selon l’étape, activent et associent différentes régions cérébrales. Cependant, comme tous les mécanismes de création, ce processus met en jeu deux circuits cérébraux paradoxaux : l’un structuré, apportant la notion d’espace et de temps, et l’autre à l’inverse peu structuré et désorganisé, facilitant la phase d’incubation. 

Pour Maxime Roumieu, cette méthode est plutôt procédurale, et résulte d’une approche scientifique d’un mécanisme en réalité complexe et aléatoire. F.Dupuis* dans une conférence TED, affirme d’ailleurs qu’il n’existe pas un mode d’emploi de la créativité. Selon lui, malgré les connaissances, les apprentissages et les outils, le créatif, dès lors qu’il se confronte à quelque chose de nouveau, se retrouvera désarmé. Ainsi, face à une nouvelle création, le créatif « *ne sait pas traduire autrement que par des moyens qu’il n’a pas encore trouvés ». Même s’il dispose des outils et des compétences, ceux-ci ne seront que des appuis à la recherche d’inspiration mais ne permettront pas de percer le mystère qui se présente à lui. Finalement, les créatifs ne suivraient pas réellement une méthode précise, mais adapteraient leur approche selon le problème et ce qu’ils en perçoivent.  

Lors de sa conférence, F.Dupuis présente alors l’acte de création, non pas comme un processus cadré par des étapes, mais plutôt comme une succession d’interactions entre le créatif, sa réalisation et l’ensemble des sollicitations qui interviennent lors de  sa recherche. 

« À un moment donné quelque chose se passe, c’est cet instant qui compte le plus dans la création, c’est-à-dire quelque chose qui n’était pas prévu qui apparait. C’est vous qui l’avez fait et en même temps ce n’est pas vous mais plutôt l’œuvre qui se montre sous un jour différent ou un jugement différent à ce moment-là ».

F.Dupuis

Bien que la définition du processus créatif délimite des temps de création et permette de mieux comprendre le cheminement des idées, la quête créative dépend dans les faits d’interactions et d’influences entre les réseaux cérébraux et l’environnement. La créativité conserve alors une part de spontanéité, une mécanique aléatoire et variable selon les sollicitations extérieures, les interactions avec le monde alentour et les bagages individuels. 

Finalement, au lieu d’un processus créatif, ne pouvons-nous pas penser un parcours de création ? Un chemin construit selon les besoins conscients et inconscients du système cérébral et permettant d’offrir les bonnes ressources aux créatifs. 

… Et un schmilblick dans le cerveau 

Du brief à l’Eurêka, de multiples connexions et interactions neuronales dessinent le parcours d’une idée créative, de sa naissance à sa maturation. Dans l’article La créativité, quand le cerveau « s’em-mêle » nous retracions l’ensemble des processus cérébraux et fonctions cognitives intervenant dans son expression. Nous constations alors que la capacité créative requiert deux types de comportements opposés mais complémentaires : l’un volontaire et analytique, l’autre inconscient et intuitif. Avant d’aboutir à la Big Idea, la recherche d’idées parcourt un véritable labyrinthe et repose sur une alternance de phases d’activation et d’inhibition de certaines fonctions cérébrales.  

Schéma simplifié – Le chemin d’une recherche créative – Clothilde Clément

Tout d’abord le problème donné est identifié par les réseaux conscients et analytiques. Une fois défini, les réseaux cérébraux s’activent. Le préfrontal, organisateur de la pensée lorsqu’il tourne à plein régime, passe en mode ralenti et inhibe les fonctions de contrôle afin d’activer les pensées divergentes. C’est l’heure du vagabondage mental, laissant place à un flux de combinaisons et d’associations aléatoires d’idées. Cette phase sollicite plusieurs fonctions plus ou moins conscientes afin de réaliser des associations lointaines et manipuler les idées. Entre autres, la flexibilité cognitive permet l’exploration et la distorsion d’information. Tandis que les corps calleux, eux, piochent dans les bagages intellectuels, les connaissances, les souvenirs et collectent des informations de l’environnement extérieur pour apporter des éléments à la réflexion. Ils interviennent notamment dans ce chantier pour recruter les réseaux nécessaires à l’exploration des possibilités et aux associations d’idées. Au même moment, le cerveau inhibe ses propres inhibitions et bloque les pulsions qui risqueraient de gêner la recherche. C’est ce que l’on appelle la suspension de jugement. Dès qu’un certain flux d’idées est dégagé, le réseau SAR passe à l’action. Il joue deux rôles essentiels dans le processus créatif. L’un de filtre, pour sélectionner, parmi le nuage d’idées émis par le système du mode par défaut, celles qui auront le privilège de passer au niveau supérieur. L’autre, de guide, afin de porter l’attention sur des stimuli extérieurs susceptibles d’être sources d’inspiration. Une fois cette étape passée, les idées favorites sont envoyées au système de contrôle. Géré principalement par le lobe frontal, ce centre recadre les idées et joue un rôle dans la concentration. Il évalue la pertinence des solutions proposées et renvoie en coulisse celles qui doivent être peaufinées. Ce circuit de recadrage déteste ce qui tombe sous le sens et va donc inhiber les automatismes et éliminer les candidats un peu trop banals. 

Au cours de ce cheminement, les stimuli extérieurs, les émotions, la personnalité, les connaissances et des distorsions de la réalité interfèrent et apportent leur grain de sel à la recherche. In fine, c’est de l’assemblage et de la combinaison de tous ces éléments que naissent les idées créatives. 

Globalement, ce parcours suit un tempo à deux balances, l’un rapide et l’autre lent. Pour l’illustrer, prenons l’image d’une navette spatiale. La nacelle (la recherche), s’élance à la recherche de nouvelles inspirations et explore les possibilités en naviguant loin et à vitesse folle. Pourtant, les mouvements à l’intérieur de celle-ci seront apparemment lents et fluides puisqu’en apesanteur. Dans l’acte créatif, les pensées conscientes explorent rapidement les possibilités pour répondre au problème tandis que celles de l’inconscient prennent le temps de recruter les ressources et réseaux nécessaires pour effectuer des associations.  

L’ensemble des recherches menées précédemment démontre que la créativité est, par nature, paradoxale. D’un côté, elle requiert un processus déstructuré, ouvert et peu contraint afin de permettre aux idées d’émerger et de mûrir à leur rythme. Csikszentmihalyi (2006) décrit un idéal où la créativité s’exprime dans un « cadre protégé des sollicitations extérieures, confortable et dans un bel environnement, et de longues périodes d’incubation, un rythme récurrent d’activités, l’accès à une information de qualité et abondante, et de nombreuses connexions avec des collègues dans des disciplines variées ». 

D’un autre, la création a besoin d’être canalisée par des méthodes structurées et un espace spatio-temporel restreint. En se confrontant à des contraintes, les créatifs déploient des solutions pour créer une rupture et sortir du cadre en vigueur. Alors, un paradoxe sous-jacent à la créativité persiste. Entre liberté et contrainte, l’acte de création résiderait dans un juste dosage. 

UN CONTEXTE SANS COMPLEXE 

Dès les premiers travaux d’Amabile, le contexte est identifié comme un facteur agissant sur les réseaux de la créativité. Le temps, le cadre et les stimuli proprio-sensoriels s’inscrivent comme des contraintes situationnelles interagissant avec l’acte créatif. 

L’horloge créative

Selon le philosophe Bergson, il existe deux temporalités. L’une relative, mesurable, linéaire et régulière, elle est fixée comme une norme sociale et scientifique. L’autre, subjective, est propre à chaque individu et représente une durée perçue, vécue et non-mesurable. Cette temporalité subjective est réglée sur le fuseau horaire de l’horloge interne, arbitrée par la perception et les impulsions électriques du cerveau. Selon le flux de neurotransmetteurs et les stimuli extérieurs, le rythme de cette horloge varie et modifie l’impression/la perception du temps qui défile. Alors branché sur un fuseau horaire différent, le cerveau tourne selon sa propre temporalité et ne subit pas réellement les contraintes de temps. Cependant, le temps relatif, s’il peut être un booster de créativité, peut aussi tourner dans le sens inverse des aiguilles de l’horloge interne et devenir un frein à l’acte créatif.  Lors d’une interview, Maxime Roumieu exprime cette relation complexe avec le temps. Selon différentes situations, il peut à la fois engendrer un blocage créatif ou à l’inverse une effervescence d’idées. 

Le temps, en lui-même, est plutôt considéré comme un stimulant pour la création. Il permet d’inscrire la réflexion dans une durée et donner un rythme, indispensable pour centrer et canaliser à la fois les recherches et l’expression créative. Pourtant, l’injonction : « C’est pour demain », imposant un rendu rapide et précipité, est, selon M.Roumieu, source de frustration et éveille un sentiment d’une réflexion créative inaboutie. L’obligation accélère soudainement la perception du temps et bouscule alors l’horloge interne qui doit se régler sur une nouvelle cadence.

D’autre part, Nicolas Lamerenx, exprime une relation toxique entre le temps et sa créativité. Pour lui le temps manque. Les heures défilent et ne laissent pas de place pour les pauses créatives. La réactivité et la rentabilité imposées par son environnement de travail prennent le dessus et ne lui accordent que peu d’espace pour laisser sa créativité s’exprimer. Selon ces deux cas de figure, est-ce réellement le temps qui joue sur la créativité ou la pression, le stress et les enjeux qu’il peut susciter ?

En 2017, Youtube lance un défi aux réalisateurs et agences créatives lors du Festival du Film Sundance : raconter une histoire en 6 secondes. Ce format très court, aussi dit Bumper Ads, vient démontrer que la contrainte de temps n’est pas forcément un frein créatif, il peut même être très porteur. Pour Tony Xie, producteur associé de broadcast à Droga5, « la créativité a besoin de restrictions. Les difficultés nous montrent la direction à prendre et les obstacles à franchir. ». Le temps ne serait alors une contrainte que sous certaines conditions. 

Les différents écrits parcourus sur cette notion laissent planer une certaine ambiguïté. Lorsque la temporalité fait partie des contraintes de création, il semblerait que le temps se transforme en consigne, un challenge stimulant les réseaux créatifs pour trouver une solution, sortir du cadre donné et jouer avec cette contrainte. À l’inverse, si le temps impose un délai d’exécution, il se transforme en un frein potentiel à la créativité puisqu’il impose au cerveau un rythme dans sa quête d’idée originale. 

Pour évaluer l’impact du temps sur le cerveau des créatifs, nous avons réalisé un test consistant à dessiner la créativité suivant différentes contraintes. L’une d’entre-elles était : « dessinez-moi la créativité en bleu, en 30 secondes ». Malgré la contrainte de temps, le dessin se révèle être le plus élaboré des 4. Dans cette consigne, le temps s’accompagne de deux autres contraintes aiguillant les recherches : l’une donnant la couleur et l’autre donnant le thème. La contrainte temporelle se transforme et devient un impératif plus facilement résolu grâce aux indications données.  À contrario, lorsque la demande est de dessiner quelque chose en 30 secondes, le doute s’installe et la pression temporelle prend le dessus. Sans aucune autre prescription, le cerveau ne sait plus vers quel circuit se tourner ni quels réseaux recruter. Comme pour se défendre, la pensée primitive place le cerveau en alerte. Les automatismes reprennent alors le dessus et le cerveau réalise des raccourcis pour répondre rapidement au problème. Le dessin adopte alors des formes, des mécanismes ou des automatismes connus du créatif, requérant peu d’attention et de combinaisons. 

Légende : 

1/ Dessinez-moi la créativité en un trait 

2/ Dessinez-moi la créativité en bleu et en 30 secondes

3/ Dessinez-moi la créativité sans stylos 

4/ Dessinez-moi la créativité 

L’expérience démontre également que la contrainte pousse à faire preuve d’imagination. Le dessin 3 devenant alors le plus créatif puisqu’il a demandé une certaine dextérité et réflexion pour répondre à la consigne. 

Bien qu’une certaine flexibilité temporelle soit nécessaire pour donner du temps à la réflexion créative, le cerveau garde le besoin de progresser dans un cadre spatio-temporel délimité. De plus, chacun étant régit par sa propre horloge interne et sa propre gestion du temps, le rapport au temps reste très personnel et demande des adaptations au cas par cas.  

L’appel du vide  

Les notions de temps et de flexibilité amènent directement à se questionner sur le temps accordé au vide, et qui plus est dans un monde où le temps est toujours occupé, stimulé et où le véritable vide n’existe plus. Le cerveau des créatifs requiert un temps de vagabondage pour activer certains réseaux, circuits et laisser l’idée mûrir. Cette idée de suspendre le jugement est au cœur de la méthode du brainstorming proposant un temps où toutes les idées valent la peine d’être entendues, même les plus absurdes. La prise de distance libère de la contrainte et de la censure personnelle et accorde une certaine liberté aux pensées qui s’expriment sans crainte. 

D’autre part, des études ont démontré que ne penser à rien stimulerait l’imagination. Il suffirait d’arrêter de penser pour trouver des idées. Plus facile à dire qu’à faire ! Abus de langage, ne penser à rien est physiologiquement impossible puisque, même en état de veille, le cerveau reste en activité. Cependant, il est possible de penser d’une autre façon et ce sans solliciter l’attention de l’individu. C’est le rôle de l’inconscient. 

L’une des meilleures solutions pour laisser son esprit tisser des connexions serait l’ennui ! Cette contrariété, engendrée par une impression de vide, serait une ressource créative infinie. Si de l’extérieur il semble être une perte de temps, l’ennui est tout le contraire. En effet, ce temps creux déclenche les réseaux de mode par défaut pour réaliser des connexions inconscientes en réalisant, sans que l’on y prête attention, de nombreuses associations. Pour Thomas Ferret, « l’ennui est primordial pour faire cogiter son cerveau ». Il évoque d’ailleurs sa relation conflictuelle avec les outils digitaux. Il considère son téléphone comme un outil nuisible pour sa créativité puisqu’il devient un lieu de fuite, un outil du quotidien venant occuper l’ennui. Or, comme nous l’avons vu, ce dernier doit intégrer une réelle place dans le processus créatif. 

Par surcroit, l’omniprésence des outils numériques et l’accès à l’information en continu créent des schémas et raccourcis mentaux imposant des références universelles. Dans l’urgence ou gouvernés par l’injonction du résultat, les créatifs intègrent une boucle créative qui peine à se renouveler. En plus des réseaux sociaux, ils doivent également faire face à une forme d’infobésité en interne. Mails, multiples dossiers, réunions dispersées, brainstorming … Autant d’informations qui nuisent au temps créatif et empêchent la coupure. 

Pour soutenir l’expression créative il faudrait alors créer ou accorder des temps de « rien ». Pourquoi ne pas prévoir des plages horaires réservées à l’ennui ? Même si programmer l’ennui semble un pari difficile, nous pourrions envisager certains ajustements pour créer du temps pour s’ennuyer. Un instant off, coupé de tout outil numérique et d’occupation littéraire, lors duquel le créatif pourra sympathiser avec l’ennui et rencontrer l’inspiration et l’élan créatif. 

Vers un cadre idéal ?  

Tout comme le temps, le cadre, considéré ici comme l’environnement physique, joue sur l’activité créative. Il donne un climat influençant la perception des contraintes et initiant ou non la création. Plus qu’un décor et une assise confortable, les créatifs ont besoin de ressources pour s’exprimer. Cohendet et Simon parlent notamment de slack créatif, une réserve de ressources exploitables mises à disposition. Un stock qui ne se limite pas aux ressources matérielles mais s’alimente également de connaissances, de temps, d’idées, … Autant d’outils à mobiliser pour générer des idées et permettre aux créatifs de trouver l’inspiration. 

L’un des premiers points serait d’adapter le management à leur mode de fonctionnement et non les contraindre à respecter des schémas généralisés. Faut-il réapprendre à manager les créatifs ? Le mot manager, sous-entendu gérer ici, sonne déjà faux et se positionne comme une solution trop raide pour des individus poussés par un besoin de liberté et de flexibilité. De même, les créatifs ne répondent pas à des méthodes de coaching factuelles, trop rigides face à un processus créatif très aléatoire et personnel. En fin de compte, Gilles Deléris, directeur de la création de l’agence W explique qu’« obtenir le meilleur d’un créatif, c’est créer les conditions de sa curiosité. Il lui faut du temps ». Alors, le challenge pour l’agence créative de demain est de trouver des moyens d’encourager, d’outiller et d’émanciper les créatifs pour leur permettre d’offrir le meilleur de leur capacité et alimenter leurs réseaux cérébraux des bons nutriments. Un changement qui a du bon puisque remanier le cadre booste la motivation, un facteur essentiel dans la recherche d’idée créative. 

De plus, pour s’exprimer la créativité requiert des stimuli de tout horizon. Le cerveau, selon les éléments qui attireront son attention et joueront sur sa perception de l’environnement qui l’entoure, réalisera des associations et combinaisons plus ou moins créatives. 

Ainsi, une manière de repenser leur espace serait de le rendre mobile, éphémère et interchangeable. Nous pourrions par exemple créer diverses pièces de création dans lesquelles les décors et les ambiances varieraient. Quoi qu’il en soit, les créatifs ont besoin d’être mobiles, de parcourir différents espaces et d’accéder à des ressources diverses pour cultiver leur potentiel créatif. En effet, selon une étude, fréquenter les mêmes lieux aurait une influence négative puisqu’ils négligent le temps de réflexion, la prise de recul nécessaire et l’importance de la rupture.

Partie intégrante de leur compétence, visiter des musées, flâner dans les rues pleines de vie, parcourir des sources d’inspiration, devraient faire partie de leur temps de travail. En effet, alimenter son stock d’idées prend un temps considérable. Aujourd’hui, la plupart considèrent que ces temps de curiosité sans objectifs, de vadrouille inspirante doivent être assurés par chacun après les heures à l’agence. Or, le quotidien ne permet pas forcément d’accorder du temps pour nourrir sa créativité. Intégrer dans les plannings des créatifs des fenêtres pour sortir, accorder du temps à la réflexion et offrir divers espaces pour créer seraient des éléments favorables à la créativité. 

LES NŒUDS DU CERVEAU  

Outre des contraintes situationnelles, le cerveau émet lui-même des interférences qui jouent sur les capacités créatives. En avoir connaissance et chercher des moyens pour supporter les créatifs face à ces contraintes endogènes sont à considérer pour repenser un cadre favorable. L’idée principale est d’équilibrer les différents réseaux pour optimiser la créativité. À l’instar des apprentissages du neuromarketing et des adaptations qui en découlent pour solliciter le cerveau des consommateurs, les enseignements apportés par les neurosciences aiguillent vers des solutions pour gérer les nuisances du cerveau et conceptualiser un parcours de création idéal.

Les pièges de la pensée 

Le cerveau nous joue des tours ! La quantité d’informations qu’il reçoit au quotidien dépasse ses capacités conscientes de traitement. Le cerveau a alors tendance à se réfugier derrière un mode de pensée automatique pour prendre des décisions et porter des jugements sans recourir à la raison. Ces raccourcis mentaux, aussi appelés biais cognitifs, sont inhérents au fonctionnement général du cerveau et agissent dans la prise de décision. Plus précisément, ces biais cognitifs sont des «formes de pensée qui deviennent de la pensée logique ou rationnelle et qui ont tendance à être systématiquement utilisés»[i]. Ces expédients sont la conséquence de ressources cognitives limitées, de facteurs motivationnels, émotionnels ou moraux, ancrés dans l’inconscient. Perturbateurs de l’équilibre cognitif, la raison tentera de les justifier et de mettre en œuvre une stratégie afin d’éviter une dissonance cognitive[ii].

Ces pièges viennent remettre en question les capacités de jugement et de décision que nous pensons fiables et rationnelles. En effet, le système cognitif englobe l’ensemble des processus mentaux se rapportant à la notion de connaissance : mémoire, langage, raisonnement, apprentissage, intelligence, prise de décision, perception … Les biais cognitifs sont alors des erreurs, des distorsions ou des illusions du traitement d’une information et de la façon de connaître ou reconnaître le monde qui nous entoure. Le terme de biais en lui-même résume cette idée d’un traitement oblique de l’information. Entre l’information reçue et celle perçue, le cerveau intervient et ajoute, enlève ou modifie des choses. Plus que des erreurs aléatoires, ces biais sont en réalité des erreurs de programmation non-modifiables, et les créatifs n’y échappent pas ! Parmi les nombreux biais identifiés ces 50 dernières années par la psychologie cognitive et sociale, 8 méritent d’être étudiés puisqu’ils pourraient nuire à la créativité ou à la recherche d’inspiration. Leurs enseignements invitent à retravailler les messages et repenser les lieux comme des sources ou pistes d’inspirations. Nous pouvons les regrouper en 5 grands effets : 

Une attention orientée

Le biais de confirmation et celui de croyance. Le premier oriente les recherches uniquement sur des informations confirmant les idées préconçues de l’individu. Le second, lui, forme des hypothèses et prend des décisions en fonction des désirs et de ce qu’il plait à imaginer. Tout cela au détriment de la réalité. Ces deux leurres aiguillent automatiquement l’attention vers des éléments confortant les croyances ou préjugés. Ainsi, lors d’un brief ou d’une recherche d’idée, le créatif disposera d’une attention particulière sur certains éléments ou accordera plus rapidement de l’importance à certaines réponses selon son imaginaire et les idées dont il prédispose. 

Cela va de soi 

L’illusion de corrélation, elle, consiste à relier deux évènements. Le fameux raccourci qui aboutit à l’expression « cela va de soi ». Influencé par ses propres expériences, souvenirs et idéaux, le cerveau créatif peut établir des liens entre deux éléments qui n’auront du sens que pour lui. 

La première impression 

L’effet de halo donne une interprétation ou perception sélective d’information allant dans le sens d’une première impression que l’on cherche à confirmer. De même, le biais d’ancrage pousse le cerveau à retenir une première information comme référence.  Ainsi, lors d’un brief créatif, le choix des mots et des éléments mis en avant a son importance puisqu’ils donneront la première impression. De même, si le créatif porte un premier ressenti sur le projet ou la marque pour laquelle il travaille, sa quête d’idée sera, à son insu, orientée et biaisée. 

Ces raccourcis sont également à relier avec le biais de cadrage. En effet, le cerveau est influencé par la manière dont un problème est présenté. Surcharge d’informations, visuels attractifs, éléments motivationnels, les créatifs développeront des idées créatives plus ou moins originales selon le « physique » du projet.

En savoir trop 

L’effet de fixation ou « la prise en compte d’éléments préexistants lors d’une tâche de résolution de problème » (Duncker) a tendance également à limiter la créativité puisqu’il impose une matrice de pensée et un cadre de perception. Selon Koestler, « la première condition de l’originalité est l’art d’oublier, au bon moment ce que l’on sait. » Pour sortir du cadre et générer des associations nouvelles le réflexe à adopter est de prendre de la distance avec les méthodes et techniques acquises. L’hypnose pourrait permettre au créatif de s’affranchir de l’esprit critique et de la posture sociale afin de chercher des motivations profondes et explorer les possibilités sans porter de jugement. Sans dire de devoir être en hypnose pour créer, la pratique de celle-ci accorde un accès au vagabondage mental, à l’exploration lointaine et place dans un état d’esprit donnant la parole à l’inconscient. Nul besoin d’un hypnotiseur, l’autohypnose s’apprend et s’adopte pour gérer ses émotions, canaliser l’attention et s’émanciper de certaines pensées, dans ce contexte, nuisibles à la recherche ou créant des interférences dans les circuits d’exploration.  

Ne retenez pas ça

Le biais de négativité, définit que le cerveau a tendance à retenir plus facilement des expériences ou expressions négatives. Les injonctions de langage et la manière de penser les messages à diffuser aux créatifs sont alors à retravailler. La technique de PNL, programmation neurolinguistique, donne des outils de communication verbale et non verbale pour s’adresser au cerveau de la bonne manière. L’idée est de réapprendre à utiliser la négation et l’employer avec parcimonie. 

La technique du nudge, consistant à influencer sans contraindre, s’appuie sur cette notion et donne des idées pour imaginer un parcours de création en agence. Grâce à certains aménagements, ce coup de pouce pourrait épauler ou orienter les créatifs dans leurs recherches d’idées. 

En fin de compte, pour contrer l’influence de ces biais trois solutions s’ouvrent à nous. La première est l’éducation. À défaut de pouvoir les déjouer, avoir conscience de leur existence et s’en méfier est un bon point de départ. Un autre moyen consiste à pratiquer l’introspection « honnête » en assurant une autocritique ou une analyse de ses propres biais. Cependant, à la fois « juge et partie » les résultats peuvent être eux aussi biaisés. Enfin, la troisième solution rejoint l’idée du ping-pong d’idée évoqué par M.Roumieu. Pour se prémunir contre les biais cognitifs, il suffit d’avoir recours aux autres et donc à l’intelligence collective. En effet, chaque individu souffre de biais cognitifs différents, qui dans un groupe se compensent entre eux. Grâce à des regards extérieurs, il est possible de détecter des erreurs de jugement dans la réalisation et noter les biais cognitifs qui ont glissé dans la recherche d’idée. 

Le cerveau a ses raisons, que la raison ignore

La créativité s’appuie également sur des fonctions majeures du cerveau telles que la perception, l’attention, la mémoire et l’apprentissage. Ces processus psychologiques spécifiques jouent sur la manière de recevoir, traiter l’information et générer de nouvelles idées.

Dans tous les sens  

Grâce aux 5 sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher, le cerveau perçoit ce qui l’entoure. Des stimuli quotidiens qui lui permettent de reconstruire sans cesse sa perception de la réalité. À l’instar des techniques de neuro-marketing, pourquoi ne pourrions-nous pas créer un paysage proprio-sensoriel propice à la créativité ?  Comme le montrent les méthodes employées par le neuromarketing, les stimuli sensoriels permettent d’activer des liaisons, générer des émotions et connexions cérébrales spécifiques. Odeurs, sons, matières, visuels, tous permettent d’évoquer des souvenirs et de provoquer des connexions au sein des circuits neuronaux. Pour soutenir la création, les sens pourraient devenir un moyen d’immersion dans un univers permettant d’envoyer l’esprit dans la bonne direction. Alors, tout comme il existe une odeur de vacances, ne serait-il pas possible de créer une odeur de la créativité ?  Des sons, des odeurs diffusées, des matières à palper pourraient être étudiés pour apporter au cadre créatif des éléments répondant aux critères et besoins du cerveau, et ainsi repenser le chemin créatif en parcours sensoriel

Un concept à mettre en place dès les consignes imposées aux créatifs. En effet, le brief créatif reste encore très formel et prend généralement une forme visuelle et numérique. Pour immerger les créatifs dans un univers, leurs sens doivent être mis en éveil. Brief sonore, diffusion d’odeur en lien avec le projet, mise à disposition de matières ou d’éléments palpables, toutes ces techniques permettraient de stimuler les réseaux neuronaux et développer la créativité. Attention ! Le risque reste de jouer sur des souvenirs individuels et de laisser la porte ouverte à de nombreux biais.

Oh attention ! 

La faculté d’attention donne elle aussi des pistes pour supporter les créatifs dans leur quotidien. L’étude de cette capacité révèle que l’on ne peut faire qu’une chose à la fois. Le cerveau passe d’une tâche à l’autre de façon séquentielle. Ainsi l’esprit multitâche n’est physiologiquement pas possible. Les mails, sms, nuisances sonores… coupent l’activité dans sa lancée et mettent sur pause la réflexion. Si consciemment il nous semble possible de switcher rapidement et d’être sur plusieurs choses à la fois, le cerveau, lui, se perd dans l’alternance des réseaux à activer, entrainant alors des confusions. C’est un peu comme si vous vous amusiez à allumer et éteindre rapidement l’interrupteur. Vous risquez à force de faire disjoncter l’ampoule. 

Le stress est, entre autres, un facteur qui détourne l’attention. Il se traduit par une cascade d’événements biologiques et la sécrétion de deux hormones : l’adrénaline et le cortisol.  Lors d’un stress intense le cerveau se place en état d’alerte. Le métabolisme s’accélère et la perception du temps est distordue. Le stress peut induire alors deux comportements totalement différents. Face à la menace, le système primitif reprend le dessus. Le corps agit sans accord préalable du cortex et l’instinct de survie prend le contrôle. Stimulé par une montée d’adrénaline, l’esprit est alors plus vif et conduit à différents comportements. Walter Cannon parle du réflexe « fight or flight », comme une réaction des animaux, et donc des humains, face à un danger. Certains auront le réflexe « de se battre » tandis que d’autres resteront tétanisés. La réaction au stress suit cette idée. Le stress ponctuel a des effets variant en fonction de la sensibilité des personnes face à des perturbations soudaines. Certains seront stimulés tandis que d’autres seront totalement immobilisés. Pour autant, le stress chronique, lui, est nocif puisqu’il place le corps en état d’alerte permanent. Le cortisol remplace l’adrénaline, perturbe le système nerveux et rend le cerveau et le corps incapables de suivre les sollicitations extérieures. L’ensemble des circuits forme un fouillis d’information et ne peut plus recruter les bons réseaux au bon moment, créant des confusions dans les connexions. 

Au cœur, les émotions

Directement liées au système cognitif, les émotions mobilisent l’attention, la mémoire, les connaissances et activent l’action. Elles engendrent une cascade de réactions naturelles agissant sur les associations et combinaisons neuronales, se liant donc à toutes les fonctions recrutées dans l’acte de création.  Placées au cœur du processus créatif, les émotions et leurs nuances, tels que l’euphorie, le coup de mou, la joie, la tristesse, la colère, jouent sur la perception et les liens tissés entre deux éléments.   

Il faut savoir que les émotions et la créativité ont une relation de complicité, une influence mutuelle et à double sens. Qu’elles soient positives ou négatives, les émotions intenses favorisent la créativité et la créativité, elle, permet de les réguler et de ramener à l’équilibre. En effet, au cœur même de son fonctionnement, le cerveau cherche perpétuellement à équilibrer et harmoniser les processus qui l’animent. Ces mouvements de régulation, c’est ce qu’on appelle l’homéostasie. Ainsi, que les émotions soient positives ou négatives, le cerveau va chercher à rétablir l’équilibre émotionnel. Pour cela, il va alors activer et inhiber des réseaux cérébraux, dans ce cas-ci, ceux impliqués dans la création. C’est pourquoi les grands artistes exploitent leur période noire pour créer, et que les émotions positives induisent la capacité à faire jaillir et associer plusieurs idées différentes et nouvelles. L’excitation est notamment l’un des stimulants les plus efficaces pour la création. Face à un sujet qui passionne, l’état de conscience est optimal, l’attention focalisée et les connexions au meilleur de leur forme. Cet état presque d’abandon dans la création est aussi nommé le flow. Plus efficace que certaines drogues et produit directement par le cerveau, le flow génère un déferlement de neurotransmetteurs.  Une sorte de bombe naturellement libérée par le corps permettant de focaliser l’attention, équilibrer les humeurs, produire un effet de béatitude et d’ouvrir à une sensation d’extase.

Créer en pleine conscience

Outre les multiples aménagements envisageables, il existe un moyen, ou plutôt une pratique que tout le monde a la prédisposition de développer.  Un état d’esprit qui pourrait résoudre la plupart des contraintes exposées. Principalement appliquée dans le cadre personnel, la méditation en pleine conscience s’inscrit et est reconnue comme une pratique permettant, entre autres, de calmer le mental, d’apaiser les tensions, de canaliser les pensées et d’accueillir plus facilement les pensées inconscientes. Autant de facultés indispensables pour être créatif. Grâce à son potentiel pour réguler les émotions, des chercheurs ont démontré un lien entre pleine conscience et créativité. Tout d’abord, cette pratique se base sur le principe du non-jugement. En réduisant la rigidité cognitive, elle soutient un mode de pensée « improvisateur » ; une capacité de pensée divergente considérée comme l’une des plus importantes dans le process cérébral de la créativité.  

Tout au long de cet article nous avons prouvé que l’acte de création réside dans l’équilibre subtil entre contrainte et liberté, vagabondage et structure. En permettant d’accepter d’une part les contraintes liées à la demande et d’une autre part de prendre des libertés créatives au sein de ces mêmes contraintes, la pratique de la méditation en pleine conscience serait une clef pour trouver cet équilibre. 

Comme expliqué précédemment, le cerveau tourne selon deux modes : la pensée rapide et la pensée lente. L’une rationnelle et analytique opère lors d’un état d’alerte. L’autre intuitive et créative joue lorsque le calme est revenu. Les réseaux et systèmes cérébraux actionnés lors du processus créatif tournent selon ces deux régimes. La méditation en pleine conscience intervient alors à chaque étape du processus créatif, en favorisant à la fois une réflexion vive et attentive, et une pensée lente et créative. Lors de la préparation, elle permet d’apaiser l’esprit, de réduire la distraction et de stimuler la pensée divergente afin de générer un éventail d’idées. Lors de l’incubation, elle permet de déconnecter pour laisser le réseau de mode par défaut faire son travail, tout en gardant l’esprit ouvert. Marcher, prendre l’air, ces méthodes de détente et d’éloignement permettent à l’inspiration de venir plus naturellement. De même, la méditation permet de mieux percevoir ses propres pensées et d’avoir une pleine attention sur ce qui se passe. Elle place ainsi dans des conditions optimales pour accueillir l’illumination. Enfin, lors de l’affinage, dernière étape, il est nécessaire de repasser sur un mode de réflexion convergent, avec plus de contrôle cognitif. Cependant la méditation peut permettre de se recentrer dans le moment présent et de canaliser l’esprit avant de démarrer cette démarche. 

Labyrinthe créatif – Le cerveau créatif, de multiples interférences et influences

 

En fin de compte, tout au long de leur réflexion et de l’expression de leur créativité, de multiples interférences, plus ou moins conscientes, viennent jouer sur les connexions et associations effectuées. Bien qu’éliminer la contrainte semble un prérequis pour la créativité, celle-ci s’appuie et se déploie également sur l’existence de certaines. En effet, les contraintes restent étroitement liées au processus créatif puisqu’elles canalisent le flux des idées, imposent de bousculer le cadre et les codes donnés. Ainsi, la contrainte et la créativité ne sont pas nécessairement en opposition. Elles peuvent même très bien s’entendre du moment qu’un certain équilibre est trouvé. 

La perception de la contrainte dépend d’un climat organisationnel plus ou moins favorable à la créativité et d’un certain seuil à ne pas dépasser. Gérer la créativité exige alors : de redonner du sens, de développer une sensibilité aux besoins et au fonctionnement des créatifs, et d’utiliser les contraintes de manière intelligente, modérée, au juste dosage pour les transformer en levier créatif. 

Finalement, plus qu’un cadre idéal, les créatifs auraient besoin d’une part de cerner et comprendre les mécanismes qui les habitent pour s’en prévenir. Et d’autre part, de bénéficier d’une structure qui favoriserait la liberté, l’autonomie, la tolérance, le dialogue, le partage et l’accès à des ressources suffisantes. Les agences, plus que d’avoir conscience de la complexité des créatifs, devraient alors adopter un management de support plus que de contrôle, et se reconstruire autour de « trois principes essentiels : fluidité, intégration et énergie » (Dougherty, 2008).

Les neurosciences apportent des enseignements sur lesquels s’appuyer pour mieux s’adapter aux créatifs. Pour autant, booster, optimiser, stimuler, développer, augmenter, sont des termes qui placent la création comme une performance à rentabiliser. Au fil de cette étude sur le fonctionnement du cerveau des créatifs, une question persiste : quelle limite mettre à ces enseignements ? En effet, en voulant percer à jour les mystères de l’acte de création, n’est-ce pas une nouvelle manière de nuire à la créativité ? Si je pensais découvrir des techniques ou aménagements pouvant soutenir les créatifs en agence, leur permettre de reconquérir leur place et leur offrir des ressources adaptées, je me confronte en réalité à une limite entre vouloir prendre soin et tenter de les manipuler. Et c’est là toute la complexité de l’étude sur la compréhension des mécanismes cérébraux. Décrypter le cerveau créatif est passionnant, mais dans quel but ? L’analyse en détails des réseaux de la création tend à rendre l’acte procédural et finalement contraindre la flexibilité et la spontanéité, essentielles à la création. Alors, s’intéresser aux créatifs et à leurs mécanismes pour qu’ils puissent mieux exprimer leur créativité, ne serait-ce pas en réalité de laisser un peu de liberté, de mystère et de non-interprétation de leur fonctionnement ? 

C. Clément – MKP


[i] Neuro-boostez vos équipes – p.63 – Comprendre votre cerveau – Erwan DEVÈZE et Ricardo CROATI 

[ii] Dissonance cognitive : un concept introduit par le psychologue social Leon Festinger, est un état de tension ressenti par une personne en présence de cognitions (connaissances, opinions ou croyances) incompatibles entre elles.- Psychomedia 

Bibliographie 

  • Les Echos – Paul Molga – Comment les neurosciences s’emparent du monde de l’entreprise – 12 octobre 2019
  • Une étude exploratoire de la créativité dans les organisations – Kamel Mnisri et Haithem Nagati – Étude quantitative – 2012 
  • Structures et mécanismes cérébraux sous tendant la créativité : une revue de la littérature – Grégoire Borst, Amandine Dubois, & Todd I. Lubart – Laboratoire Cognition et Comportement (CNRS-FRE 2987), Centre Henri Piéron, Université Paris V – Étude quantitative
  • HAL archives ouvertes – Audrey Lamblin – Qu’est-ce que la créativité ? Comment la développer ? Pour quelles finalités ? Cycle 1 – 25 septembre 2012 
  • Pourquoi votre cerveau n’en fait qu’à sa tête ? – Eric La Blanche – First edition –– Mai 2020
  • Neuro-boostez vos équipes ! –  Erwan Devèze et Ricardo Croati – Edition EMS – Janvier 2017
  • Management des situations extrêmes des expéditions polaires aux organisations orientées exploration – Guy Parmentier – Chapitre : La créativité sous contraintes organisationnelles – Edition ISTE – 2019
  • Cairn – Clément Marinos – L’émergence des lieux de retraite et de réflexion pour entrepreneurs créatifs – 2020
  • Maxime Roumieu  – Concepteur-Rédacteur chez Elvis – Interview
  • Nicolas Lamerenx – Gérant makerofnothing – Interview
  • Étude qualitative – Entrevue Thomas Ferret & Nicolas Lamerenx 

Webographie 

  • 1min30.com – Jérémie Dornbusch – Le nudge marketing appliqué au coworking – Avril 2016
  • Good morning creativity – Est-ce que les contraintes favorisent la créativité ?  
  • Lemonde.fr – Marc Gozlan – Le Temps, un sixième sens à explorer – 08 novembre 2012
  • L’essentiel Cerveau & Psycho – N°22 – Joséphine Maier – Ne penser à rien favorise l’imagination – 13 mai 2015
  • Graphéine – Série « Temps et création » – Temps et création #02 : quel est l’impact du sur notre cerveau créatif ?  – 31 mars 2021
  • Mmindfulness.fr – Jean-Marc Terrel – Créativité et pleine conscience, une affaire d’affinage – 07 février 2021
  • Stratégies – N°1919 Gilles Deléris – Rubrique Storytelling – Manager les créatifs ?  – 05 octobre 2017
  • Nos Pensées – Actualité et psychologie – Le biais de négativité selon la science – 28 mai 2020
  • Cerveau&Psycho N°46 – Marion Botella – Les émotions, au cœur de la création – 13 juillet 2011
  • Cairn – Gaëlle Dechamp, Bérangère L.Szostak – Créativité organisationnelle et territoire créatif : nature de l’influence et enjeux stratégiques pour les organisations – 2016
  • Cafeyn – Sciences & Vie – Êtes-vous créatif ? La réponse des neurosciences – 23 mai 2018
  • Cafeyn – Sciences & Vie – La créativité, ça se voit dans le cerevau ? – 11 septembre 2019 
  • Tangram-Lab – Clothilde Clément –La créativité, quand le cerveau « s’em-mêle » – 15 avril 2021
  • Tangram-Lab – Clothilde Clément – Les créatifs : une espèce en voie d’évolution ? – 12 janvier 2021 
  • LILLITL – Journée type d’un créatif – 21 février 2016
  • Out-of-the-box.fr – Anatomie de la créativité : le processus créatif disséqué en 5 étapes. 
  • Points-traits-tâches.com – Qu’est-ce-que le processus créatif ?  – 2019    
  • Sonic Blue – Infographie – Les créatifs 

Vidéographie