Après avoir retracé l’évolution et la place des créatifs en agence, il semble indispensable de décrypter cette capacité qui fait leur réputation : la créativité ! Quand il s’agit de mettre des mots sur cette notion, la plupart d’entre nous restent muets. En proie à la question « qu’est-ce que la créativité ? » la technique du détournement de l’attention et de l’énumération d’exemples ou de preuves sont de rigueur. Bien que l’Homme n’ait jamais cessé d’imaginer, d’explorer, de casser les codes, de combiner des idées, et donc créer, la créativité reste source de mystères. Elle interroge par sa part d’irrationalité, sa subjectivité, ses ambiguïtés et intrigue depuis des siècles les Hommes en perpétuelle quête de sens. Coincée entre l’imagination et l’intellect, la capacité et le don, la créativité apparaît comme une science inexacte et imperceptible.  

Depuis les années 1940, les recherches se bousculent pour mettre la main sur la clef de cette grande énigme. D’où vient-elle ? Qu’est-ce qui l’influence ? Quels sont les mécanismes qui déclenchent l’acte de création ? Parlons ensemble de créativité, un concept qui retourne le cerveau ! 

La créativité dans tous ses états 

Retour à l’an 0 de la créativité  

De nombreux scientifiques cherchent à détecter les premières traces de créativité. La plupart considèrent cette aptitude comme le phénomène qui aurait permis à l’être humain de s’adapter, d’évoluer et de passer de l’état de nature à celui de culture. Selon eux, la « créativité » est née dès lors que l’Homme a pu se consacrer à autre chose qu’à sa survie. Disposant de plus d’attention sur le monde qui l’entoure, il a pu développer ce que l’on considère aujourd’hui comme des preuves de créativité. Maxime Roumieu, concepteur-rédacteur à l’agence Elvis, situe l’an zéro de la créativité lors de la première connexion originale : celle de la découverte du feu. Ces dernières décennies, des préhistoriens éclairent son histoire par des découvertes de traces d’art et de techniques avancées, datant de plus de 200 000 ans. Ils démontrent que la capacité de l’Homme à inventer, innover et créer est bien plus ancienne. Mais d’où est-elle née ? Pour d’anciens paléontologues, la créativité provenait d’une mutation génétique qui aurait provoqué un bond apparent de la cognition humaine. Or, elle se serait développée au fil des millénaires, en s’alimentant des facteurs biologiques et sociaux. D’un point de vue ontogénique, des études révèlent une relation entre le développement des structures cérébrales et l’émergence de la créativité. Changeux et Chavaillon, en 1995, relèvent des changements morphologiques du cerveau depuis quelques millions d’années. Ils démontrent que la créativité consciente serait liée à l’évolution biologique du système nerveux central entre chaque génération.

Pour autant, le concept de créativité est, en lui-même, relativement nouveau. Dérivé de deux verbes latins, creare (créer) et crescere (croître, faire grandir), le mot apparaît seulement dans les années 1940 aux États-Unis – Creativity – et est introduit dans la langue française une dizaine d’années plus tard par des socio-psychologues. Jusqu’aux années 50, les idées et inventions étaient qualifiées de découvertes, d’imagination ou encore de génie. Au Moyen-Âge, on assimilait les actes créatifs à des inspirations divines. Le siècle des Lumières éclaire cette aptitude et reconnaît la responsabilité de l’individu, mais, la limite encore à la notion d’imagination et d’intelligence. Dans les années 1920, grâce à la naissance de la psychologie, le concept tel que nous le connaissons apparaît. Cette nouvelle approche change le paradigme et recentre l’intention sur l’individu, sa personnalité et ses capacités. 

Depuis plus d’un siècle, la créativité est disséquée par tous les domaines de recherche. Psychologie, neurosciences, philosophie, sciences humaines, tous tentent de la définir, de la comprendre et de l’appréhender. 

« La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse* » 

En seulement six mots, Albert Einstein* définit la créativité comme le divertissement de notre intelligence. Dans son sens commun, elle correspond à une capacité individuelle, généralement synonyme d’imagination. Le Larousse parle d’une « faculté d’invention, d’imagination ; un pouvoir créateur » et décrit la créativité comme une disposition, un potentiel, qui échappe à toutes explications rationnelles. De ce fait, la caractériser demeure un sujet de recherche en soi. Comme si le comble de la créativité était de devoir en faire preuve pour la définir. 

Rapidement intégré au vocabulaire scientifique, ce néologisme anglais, revêt de multiples définitions, preuves de sa complexité. Bien que l’on retrouve des similitudes dans la littérature, une ambiguïté persiste selon les auteurs, les approches et les champs d’applications. Alors, pour répondre à « qu’est-ce que la créativité ? » et cerner toutes les nuances de sens, il est nécessaire de mettre en perspective les différents points de vue. 

Certains considèrent la créativité comme une capacité mentale. Mednick, pionner dans l’étude des psychopathologies, l’illustre comme la « capacité d’associer des éléments pour former de nouvelles combinaisons qui ont une valeur scientifique, esthétique, sociale ou technique ». Koeslter1, écrivain et journaliste hongrois, souligne que ces combinaisons résultent d’une association d’éléments préexistants. Le créateur « 1découvre, mélange, combine, synthétise des faits, des idées, des facultés, des techniques qui existaient déjà ». Selon eux, la créativité se définit comme la capacité à concevoir une idée nouvelle à partir de ce qui existe. Maxime Roumieu les rejoint et la décrit comme la capacité à réaliser de nouvelles connexions, associations de plusieurs éléments perceptibles. 

Pour d’autres, la créativité n’est pas qu’une capacité intellectuelle, mais tient compte d’interactions diverses ; d’une combinaison de caractères et d’aspects extérieurs. Walter, Jones ou encore Barron et Harrington[i], la considèrent comme une association de facteurs favorables à la recherche d’idées et à l’acte de création. Pour Walter, elle naît de « l’interaction de la connaissance, l’intelligence, l’expérience, l’effort, l’intérêt et l’enthousiasme. » P.Jones, lui, la relie à une combinaison de traits de personnalité, tels que la flexibilité, l’intelligence, l’originalité et la sensibilité. Ainsi, la créativité résulterait de la conjugaison des capacités mentales de l’individu, de son caractère et de son environnement de création.  

Mackinson et Amabile[ii]apportent une dernière nuance, plus pragmatique, celle de l’adaptation de l’idée à la réalité. Plus que de trouver une idée originale, la créativité intègre la notion d’utilité. Selon eux, ce qui la différencie de l’imagination est qu’en plus d’être nouvelle, l’idée doit servir à résoudre un problème et atteindre un but identifiable.

Finalement, un consensus est admis autour de la définition de Sternberg et Lubart (1995) : « la créativité, est la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée au contexte dans lequel elle se manifeste ». Le milieu scientifique s’accorde alors pour considérer comme créative une idée qui se distingue (même par une déviation minime), s’adapte à la situation dans laquelle elle est créée et satisfait des contraintes définies. Kelly Morr[iii], réunit les approches et résume la créativité comme « la capacité à transcender les façons traditionnelles de penser ou d’agir et de développer de nouvelles idées, méthodes ou objets ». Elle pose alors 3 notions essentielles : « la capacité », qui induit la notion de compétence, « transcender », qui demande de repousser les limites, et « développer » qui impose que l’idée ou l’objet créatif dépasse la phase d’imagination, se confronte au monde, soit testé et conçu. 

Pourtant, la créativité interroge encore dans sa capacité à être soudaine et incontrôlable.

Mais de quelle créativité parlez-vous ? 

Malgré tout, la créativité reste subjective et dépend de critères aléatoires, variant en fonction du juge, de la comparaison réalisée et du point de vue. Néanmoins, deux indices ressortent pour qualifier un objet, une technique ou une idée de créatif : l’originalité et l’adaptation

Cette difficulté à la cerner peut se justifier par ses diverses formes et manifestations. Emmanuelle Volle, neurologiste à l’INSERM, en distingue deux types dans une interview pour Le Monde. La « big C », qui crée une rupture, reste dans l’histoire et est reconnue par la société comme une œuvre.  Et la « little c » qui se manifeste au quotidien à échelle individuelle. Dans les deux cas, l’élan créatif est insufflé par des facteurs catalysants, personnels et extérieurs.

Arne Dietrich[iv], lui l’étudie au niveau du cerveau et dégage 4 typologies, classées selon le degré de prédictibilité (délibérée ou spontanée) et le caractère émotionnel ou cognitif de l’acte de création. La créativité cognitive dépend des connaissances intégrées et enregistrées. Sa forme spontanée résulte d’associations de savoirs qui interagissent soudainement avec l’environnement dans lequel l’individu se situe. On l’appelle aussi « l’illumination », cette fameuse idée de génie qui survient sans prévenir. La forme délibérée, elle, provient de la mise en réseau de connaissances, d’expériences et d’essais qui aboutissent in fine au développement et à la réalisation de l’idée. 

La créativité émotionnelle, quant à elle, est une attitude créative liée aux émotions vécues, perçues ou ressenties. Comme la précédente, dans sa forme spontanée l’idée créative surgit de nulle part, mais, dépend ici, du bagage émotionnel de l’individu. Dans le cas où l’élan créatif vient pour s’adapter à une situation émotionnellement difficile, il s’agit de la forme délibérée

Mais alors, quelle typologie de créativité pour les créatifs ? M.Roumieu, ne range pas la créativité dans une case et dépeint un élan créatif aux influences aléatoires. Il ne parvient pas à décrire ce qui physiologiquement ou psychologiquement provoque la naissance d’une Big Idea. Il parle d’une phase dite « d’idéation », un temps de latence où des combinaisons et associations diverses se font à notre insu pour aboutir, sans le savoir, à l’idée Eurêka. 

Une question d’approche 

Outre ces multiples formes et définitions, aujourd’hui, un paradoxe persiste entre ce que l’on sait de la créativité et la manière dont nous la décrivons. « Eurêka », « illumination », « idée de génie » … Nos abus de langage continuent de définir l’acte créatif comme un événement inconscient, presque magique. Bien qu’Aristote envisageât qu’elle proviendrait non pas d’une intervention divine, mais de la sphère mentale, il faudra attendre les années 1880 pour voir naitre la première étude scientifique sur la créativité[v].

Au début du XXe siècle, des scientifiques s’attellent à comprendre les mécanismes du processus de création. Ils tentent, via différentes approches, de dépeindre l’origine physiologique et/ou psychologique de la créativité. Sternberg et Lubart, en 1999, élaborent une typologie (non-exhaustive) de sept approches différentes qui marquent le cheminement historique des recherches autour de la créativité. 

« Quand votre démon est à l’œuvre, ne pensez pas consciemment. Laissez-vous porter, attendez et obéissez. » 

Rudyard Kipling, auteur des Livres de la Jungle, résume ici l’approche dite mystique ou théologique, qui traverse les siècles et perdure encore dans les conceptions collectives. Une vision ancestrale qui relie l’acte créatif à des forces externes, surnaturelles, voire spirituelles, et décrit la créativité comme une aptitude ne relevant d’aucun mécanisme physiologique ou psychologique. A contrario, l’approche pragmatique, suggère que la créativité est une compétence que l’on peut par définition apprendre et améliorer. A mi-chemin entre les deux, la psychanalyse, basée sur les théories freudiennes, envisage une approche psychodynamique et « présume que la créativité naît d’interactions entre la réalité consciente et les commandes inconscientes » – Todd Lubart. Selon Freud, « la créativité présente en toute formation, substitutive : un symptôme, un rêve, un lapsus, est une expression symbolique d’un désir ou d’un conflit défensif. ». Ici, les études abordent l’aspect fantasmatique de la créativité. 

Dans les années 1950, Joy Paul Guilford puis Torrance[vi], proposent et mesurent, par des tests encore utilisés, l’idée selon laquelle la créativité naît d’opérations intellectuelles identifiables. Par une approche psychométrique, Guilford cherche à différencier les niveaux de créativité individuelle et détermine que cette capacité se développe au quotidien. Son hypothèse crée alors une rupture avec les précédentes. Pour lui, la créativité est « un mode de pensée commun à tous les individus mais à des degrés variables. » Par la suite, Ward et Finke, Sternberg ou encore Davidson[vii], s’intéressent aux rôles de la cognition dans l’acte de création et abordent la créativité selon un aspect cognitif. Ils suggèrent que la pensée créative est une succession de phases de génération, de représentation de schémas mentaux et d’explorations, qui débouchent sur des idées originales. Pour eux, la créativité loge dans le cerveau ! La balance entre la vision scientifique et psychologique est amenée par Amabile, Barron ou encore Mackinnon, qui posent l’hypothèse que le processus créatif ne résulterait pas uniquement de représentations mentales. Par une approche socio-affective, ils relient la créativité à la personnalité, la motivation et l’environnement socio-culturel, et replacent alors l’individu au centre de l’acte de création. 

M. Roumieu ajoute une nouvelle source de créativité, encore non-évoquée, celle de l’interaction avec un binôme ou d’autres personnes, qu’il nomme « le ping-pong d’idées ». Il considère ces échanges comme sources de créativité. 

Finalement, la complexité de la créativité réside dans une approche de confluence puisqu’elle résulte de la combinaison de l’ensemble des variables citées précédemment. Pour l’appréhender dans sa globalité, l’identifier, et lui permettre de s’épanouir, il faut l’étudier selon ses différents aspects.

Décryptage de la boite à idées

Longtemps vue comme une faculté mystique, tenant d’une inspiration divine plus que d’un processus intellectuel construit, la créativité a peu à peu été démystifiée et abordée comme une aptitude à part entière. Depuis quelques années, les recherches menées sur la créativité centrent leur attention sur l’organe le plus imperceptible de l’être humain : le cerveau. Les avancées technologiques offrent aux scientifiques des moyens pour capturer des images de celui-ci, détecter des connexions et disséquer l’ensemble des réseaux neuronaux. Résultat, les études autour de la créativité se multiplient. Selon Todd Lubart[viii], « les publications scientifiques sur le sujet entre 2000 et 2019 sont près de deux fois plus nombreuses que celles produites sur les cent cinquante années précédentes ». 

Le rapprochement entre cerveau et créativité

Psychologie, sciences cognitives et désormais neurosciences, depuis le début du XXIe siècle, chacun tente de percer à jour le rôle du cerveau dans les pensées créatives. Depuis une vingtaine d’années, l’approche cognitive utilise des techniques d’imagerie et de stimulations cérébrales pour explorer les représentations mentales et le traitement de l’information lors de l’acte créatif. Cependant, les recherches sur les mécanismes cérébraux du processus de création ne sont pas nouvelles. Le premier à développer une théorie sur un lien entre notre cerveau et la créativité est l’anatomiste et physicien autrichien Franz Jospeh Gall, père fondateur de la phrénologie. Pour Gall, les capacités de l’homme sont innées et logées dans des aires identifiables. Il établit une corrélation entre le développement des facultés psychologiques et celui des zones cérébrales. La phrénologie considère que « les os du crâne sont des empreintes du cerveau ». Il suffirait alors de les palper pour connaître les forces, les faiblesses et identifier un talent dans un domaine. Aujourd’hui cette théorie est totalement obsolète mais marque, sur un plan historique, les premiers essais pour localiser et identifier le processus créatif dans notre cerveau. 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, la psychologie de la créativité fait son apparition. Comme vu précédemment, Guilford expose la créativité comme une aptitude présente chez tous les individus mais à niveau variable et suggère qu’elle requiert des capacités intellectuelles. Il élabore une théorie factorielle de l’intelligence – Structure of Intellect – et détermine que la créativité s’appuie sur différentes opérations mentales (transformation, visualisation, redéfinition, jugement), principalement sur la pensée divergente, la capacité à trouver un grand nombre d’idées à partir d’un stimulus unique. Il admet également plusieurs composantes créatives : la fluidité, la flexibilité, l’originalité, la sensibilité et la redéfinition (aptitude à changer la fonction d’un élément), et construit un schéma tridimensionnel de la phase de créativité. Celui-ci comprenant : l’exploration, où les pensées divergent, la convergence créative et la phase de synthèse qui mesure l’intérêt et la cohérence de l’idée retenue. 

Dans les années 80, un autre courant s’intéresse aux différences individuelles et à la convergence d’éléments déclencheurs de créativité. Cette perspective propose une approche dites multivariée de la créativité, suggérant que celle-ci n’est pas uniquement une capacité cognitive, mais le résultat de l’interaction entre plusieurs composantes. Ainsi, Lubart, Mouchiroud, Tordjman et Zenasni, distinguent en 2003 quatre types de ressources nécessaires à l’émergence de la créativité : « les facteurs cognitifs (intelligence, connaissances), les facteurs conatifs (personnalité, motivation), les facteurs émotionnels et ceux relatifs à l’environnement » .  (cf. Figure 1)

Figure 1 : L’approche multivariée de la créativité. Source : Lubart, T. I., Mouchiroud, C., Tordjman, S., et Zenasni, F. (2003). Psychologie de la créativité, p. 13. Armand Colin : Paris.

La coaction de caractéristiques intrinsèques et contextuelles, par leur interaction et une combinaison particulière, influenceraient le degré de créativité. Une théorie que l’on retrouve dans le tryptique de Feldman, Csikszentmihalyi et Gardner, décrivant l’interaction de 3 systèmes dans l’acte créatif. L’individu, transforme les informations qu’il perçoit grâce à un processus cognitif, sa personnalité et sa motivation. Le champ, un groupe d’individu qui évalue et sélectionne de nouvelles idées. Et le domaine, symbolise le savoir culturel transmis. 

Maslow et Rogers, tentent quant à eux de définir les traits de caractère favorables au développement de la créativité. Ils parlent notamment de self-actualization, des « moyens de réaliser ses potentialités » qui passeraient par la confiance en soi, la liberté d’esprit, l’indépendance de jugement et le courage. 

En 2003, un lien anatomique entre cerveau et créativité est établit : la théorie des 2 cerveaux déposée par Kenneth Heilman [ix]et ses collègues. Ils élaborent un schéma binaire, considérant l’hémisphère gauche comme le lieu où émerge l’idée créative et l’hémisphère droit comme celui de l’analyse et de la compréhension des émotions. Les corps calleux, reliant les deux hémisphères, eux, favorisent la communication entre les deux cerveaux et permettraient de booster la créativité. Aujourd’hui, cette hypothèse est reconnue comme partielle et caricaturale. 

Progressivement les recherches sur la créativité s’orientent sur les bases cérébrales du processus. Les neurosciences cognitives ouvrent une nouvelle voie grâce aux outils développés pour étudier le substrat cérébral (IRM, encéphalogramme, …). Depuis les premiers travaux en 2008 par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), les hypothèses neuroanatomiques tendent à rendre compte des fondements neurologiques de l’acte créatif, comprendre les mécanismes et détecter les composantes, les réseaux et les systèmes activés. 

Grâce à une approche interdisciplinaire et l’apport des différentes disciplines des neurosciences (cognitives, conatives et émotionnelles) les études détectent, petit à petit, les structures et aires cérébrales impliquées dans la créativité, ainsi que les facteurs l’influençant. 

Le cerveau se met à nu !

Prenons un temps pour comprendre cet organe. Le cortex cérébral (déf. Substance grise et tissus nerveux contenant les corps cellulaires des neurones et siège des fonctions nerveuses) possède deux hémisphères. Chacun se divise en segments fonctionnels où siègent les sens et fonctions majeurs de l’être humain :  le cervelet (équilibre), le thalamus (gare de triage neurosensorielle) et les 4 lobes : le frontal (moteur), l’occipital (vision), le temporal (audition) et le pariétal (sensations). Tous disposent de fonctions qui leur sont propres, mais interagissent ensemble et fonctionnent de manière complémentaire et interdépendante. 

Le fonctionnement général de notre cerveau repose sur des cellules nerveuses, appelées neurones, où circulent les informations sous forme d’activité électrique dit influx nerveux. La connexion entre deux neurones, la synapse, donne lieu à des sécrétions chimiques, appelées neuromédiateurs, assurant la transmission des informations perçues. 

La réception, la transmission et la mémorisation des stimuli reçus et perçus par le cerveau permettent de nous adapter. Le substrat cérébral se développe donc en permanence par la création de nouvelles connexions neuronales, une souplesse connue sous le terme de neuroplasticité.

Les neurosciences, nées de la biologie et de la médecine, correspondent au champ d’expertise qui englobe toutes les disciplines étudiant l’anatomie et le fonctionnement du système nerveux. Leur application s’étend de l’étude des mécanismes électrochimiques à celle du comportement. Parmi toutes les disciplines qu’elles intègrent, celles principalement utilisées pour l’étude de la créativité sont : la neuroanatomie qui observe la structure anatomique du système nerveux, la neuropsychologie qui analyse les relations entre le système nerveux et le fonctionnement psychologique de l’individu, et les neurosciences cognitives. Ces dernières étudient les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent à la cognition (perception, mémoire, langage, motricité, émotions …), et se divisent en quatre spécialités : les neurosciences affectives, comportementales, sociales et neurolinguistiques.

Les aires cérébrales créatives   

Comme nous l’avons vu, la créativité ne se limite pas à des emplacements précis du cerveau et relève d’une réalité beaucoup plus complexe. Par son aspect contradictoire, elle inclut deux comportements opposés. L’un, volontaire qui implique de manipuler les idées, les recombiner et inhiber certaines propositions. Il monopolise des fonctions élaborées dites « fonctions de contrôle », logeant dans le cortex frontal. Cette partie antérieure du cerveau module les émotions et les états de veille favorisant ainsi l’expression de la créativité. L’autre, à l’inverse, nécessite une prise de distance, une rupture avec les contraintes et nos propres inhibitions. Cette action, nommée vagabondage mental, ou association spontanée d’idées, demande d’inhiber certaines fonctions de contrôle. 

Une récente étude par imagerie du neuroscientifique américain Roger Beaty, démontre qu’en plus du cortex frontal, la créativité repose sur le cortex préfrontal dont le rôle est d’organiser les pensées. Cette aire cérébrale aurait le rôle principal dans la recherche de nouveauté, la prise de risque et le psychotisme ; trois critères indispensables à l’émergence d’idées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’inspiration naît lorsque le cortex préfrontal tourne au ralenti. En d’autres termes, les idées créatives émergeraient lorsque les pensées sont désorganisées. 

Une partie de la littérature suggère également le rôle des corps calleux, de la substance blanche et du locus coeruleus (noyau sous-cortical) dans la créativité qui, par leur capacité à recruter de vastes réseaux neuronaux, favoriseraient les associations d’idées surprenantes. Enfin, l’analyse de la plasticité neuronale démontre l’influence de facteurs extrinsèques sur la créativité, tels que l’environnement, la culture et le contexte social. 

Pour résumer, Alice Flaherty, neurologue à Havard, élabore un modèle anatomique de la créativité à 3 facteurs reposant sur l’interaction des lobes temporal, frontal, du système limbique, et contrôlé par l’activité dopaminergique. Elle admet l’implication de certains neuromédiateurs, principalement la dopamine qui, selon d’autres études, stimulerait les émotions positives, faciliterait l’attention, la sélection et la recherche de nouveauté. 

Nous notons alors l’influence de nombreux processus cognitifs, émotionnels, physiologiques, ainsi que la co-activation et la communication de différentes régions cérébrales lors du processus créatif. Ces révélations marquent la fin du mythe des deux cerveaux et appuient l’idée que, de l’inspiration à l’illumination, la créativité résulte de l’interaction dynamique de plusieurs zones cérébrales, fonctionnant non pas indépendamment les unes des autres mais en réseaux ou circuits interconnectés.

Une aptitude branchée sur 3 réseaux 

La créativité réside dans la capacité à faire émerger des idées non-conventionnelles et originales dont la clé se trouve dans l’intensité des connexions entre 3 systèmes permettant de lier imaginaire et réalité. Roger Beaty (université Havard), suite au recueil d’imageries de l’activité cérébrales analyse les régions activées lors de la réalisation d’une tâche et attribue un score d’originalité aux idées émises. Il identifie trois processus recrutés lors de l’acte créatif : le système de contrôle, le système de salience et le système du mode par défaut. 

Le premier, aussi appelé système exécutif, sert à la concentration et au recadrage de la pensée. Notre cerveau le mobilise pour fixer l’attention et élaborer un raisonnement. Lors du processus créatif, il possède deux rôles. Le premier est d’évaluer la pertinence des idées et de réorienter les recherches si nécessaires. Le deuxième, consiste à inhiber les pensées automatiques pour s’éloigner du cadre conventionnel, dépasser les connaissances acquises, et résister aux idées classiques. 

Le réseau de Salience ou SAR (Système d’activation réticulaire), lui, joue le rôle de filtre et de relai entre les différents systèmes. Il se placerait entre la partie consciente et inconsciente de notre psyché. Sa fonction serait de capter les éléments externes et les idées originales générées par le système par défaut, décider de celles qui méritent l’attention et les transmettre aux réseaux de contrôle. Il s’assure de guider notre attention vers les éléments sur lesquels nous sommes concentrés. Concrètement, il est responsable d’un phénomène connu de tous, celui qui, par exemple, lorsque la décision d’acheter des baskets rouges est prise nous fait voir des baskets rouges aux pieds de tous ceux que l’on croise. Pourtant, il n’y a pas plus de personne portant cette couleur, il s’agit simplement de notre cerveau qui oriente notre attention sur elles. 

Enfin, le système du mode par défaut est le système par excellence de nos moments dits « dans la lune ». Mis en marche lorsque nous sommes « inactif », il s’active lors du vagabondage des pensées. Lié aussi à l’hippocampe (rôle dans la mémoire) ce réseau débride le flux d’idées et réalise spontanément des combinaisons, des associations d’idées et d’images issues des connaissances stockées dans notre mémoire, et au résultat parfois inattendu. Surnommé aussi le réseau de l’imagination par Randy Buckner[x], il permet de construire des représentations mentales inspirées d’expériences personnelles et d’évoquer ainsi des souvenirs, penser à l’avenir et imaginer des scénarios de vie. 

Ces 3 systèmes mis en réseau donneraient naissance à la créativité. Roger Beaty et son équipe révèlent même que le degré de créativité serait lié à la force des connexions et l’activation quasi spontanée de ces réseaux, principalement entre le mode par défaut et le réseau de contrôle. 

@ Sciences & Vie – Processus recrutés lors de l’acte créatif

« Dites-moi ce que vous créez, je vous dirai ce que votre cerveau pense » 

Par alternance des phases d’activation et d’inhibition de certains réseaux, créer nécessite un travail de déconstruction mentale pour s’éloigner des schémas et ouvrir vers de nouvelles perspectives. Pour Alan Snyder, la créativité est représentée comme un acte de rébellion contre l’ordre établi et le cadre naturel des choses. 

Les différentes approches précédentes nous permettent de mieux cerner les mécanismes de la pensée et d’identifier une combinaison de quatre facteurs (cognitif, conatif, émotionnel, environnemental) considérés comme acteurs dans l’acte de création

Les capacités cognitives créatives

Les neurosciences identifient huit capacités cognitives nécessaires à l’acte créatif : l’identification et la définition d’un problème, l’encodage, la comparaison et la combinaison sélective, la pensée divergente, l’auto-évaluation et la flexibilité. 

Dans la recherche d’idées, la première qui entre en jeu est celle de pouvoir identifier ou définir un problème sous plusieurs angles, via un process d’imagination et de représentation mentale. L’imagerie, ou l’aptitude à visualiser en l’absence de perception visuelle, favoriserait la manipulation mentale des idées et donc l’expression de la créativité. Autre composante qui serait fondamentale : la pensée divergente. Elle désigne la capacité à dégager, à partir d’un stimulus unique de nombreuses idées pluridirectionnelles. Différents tests, notamment ceux de Guilford, évaluent d’ailleurs la corrélation entre divergence et créativité. 

D’autre part, la flexibilité cognitive permettrait de faire preuve d’adaptabilité et d’originalité. Grâce à cette capacité, l’individu est en mesure d’explorer des pistes, d’aborder le problème sous différents angles, de réaliser des associations lointaines et non-conventionnelles. Des études (menées sur le locus caeruleus et le système norépinéphrique) démontrent que cette flexibilité serait liée à la taille des réseaux recrutés lors de la réflexion. 

Des chercheurs démontrent également que la créativité engage l’intelligence et les connaissances de l’individu. En effet, les connaissances favorisent, entre autres, la compréhension de la situation ou du problème, l’intégration de ce qui existe et pousse à sortir des sentiers battus. « Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés » – Pasteur – le « hasard heureux » ne serait alors qu’un mythe. Bien entendu, tout réside dans le juste équilibre. Trop de connaissance engendre une rigidité mentale et un manque de souplesse, nuisibles à la créativité, et limite les associations d’idées. De ce lien entre l’intelligence et la créativité, ressort la notion de connectivité, expliquant l’organisation particulière du cerveau et les actions de certaines structures dans l’intelligence générale intervenant dans le potentiel créatif.

Les facteurs conatifs, marqueurs de différence  

S’ajoutent à celles-ci, des facteurs conatifs, justifiant les différences individuelles dans l’expression créative. La notion de conation, sous partie des neurosciences cognitives, invoque les traits de personnalité, les styles cognitifs (méthodes individuelles des opérations mentales) et la motivation. Par l’étude des mécanismes d’action et d’expression de l’individu, Cox (1926), MacKinnon (1962) ou encore Feist (1998) dévoilent un lien de causalité entre la personnalité et la créativité. Les recherches sur les profils types des créatifs isolent ainsi 6 traits de personnalités liés à la créativité : « la persévérance, la tolérance à l’ambiguïté, l’ouverture à de nouvelles expériences, l’individualisme, la prise de risque et le psychotisme* » – Borst, Dubois, & Lubart. Maxime Roumieu en cite, quant à lui, 3 essentiels à la création : l’ouverture d’esprit, l’expérience, et la curiosité. 

De plus, le psychotisme, ou la notion de rapport à la réalité, influerait sur l’originalité et la fluidité des associations. Principalement approché dans le cadre des maladies psychotiques, le psychotisme dévoile les capacités du cerveau à jouer avec les perceptions d’un individu et inhiber certaines facultés cognitives. Ainsi, l’expression de la créativité dépend de la balance entre l’activation et l’inhibition des fonctions cognitives, ainsi que sur l’appréhension du monde qui nous entoure. 

Les émotions, guides de la création 

Les artistes avaient déjà fait le rapprochement entre leur créativité soudaine et leurs émotions en justifiant leur travail comme des moyens d’expressions de ce qu’ils ressentent. Pourtant, dans la littérature, les avis divergent sur la relation entre les émotions et la créativité. Certains, comme Isen, constatent qu’une émotion positive augmenterait l’attention et la sollicitation de la mémoire et par induction la créativité. D’autres, établissent à l’inverse que les émotions positives nuiraient à la recherche d’idée originale. Par exemple, Kaufman, en s’appuyant sur la théorie du calibrage cognitif de Schwartz[xi](1990), suggère qu’un état émotionnel positif induit une satisfaction précoce et une baisse de l’effort, diminuant ainsi la fluidité des pensées, soit le nombre de propositions créatives. Comme pour trouver un compromis entre les deux, Hirt et Al. déterminent que la relation entre les émotions et la créativité dépend de la nature de la tâche créative. 

En 1997, Lubart et Getz élaborent un modèle de « résonance émotionnelle ». Ils définissent les combinaisons créatives comme la « construction de chemins inter-concepts conduisant à la construction d’une association entre un concept « source » (activé au cours d’une tache) et un concept émotionnellement rattaché à celui-ci. » Ils établissent alors un lien entre les émotions liées à une expérience vécue et la capacité à construire des associations créatives en sollicitant la mémoire. En d’autres termes, les expériences et les souvenirs d’un individu influencent la capacité à faire preuve de créativité.  

Enfin, les émotions étant liées à l’état de veille du cerveau, des études démontrent la capacité accrue à trouver des idées originales dans des phases d’endormissement ou de réveil. Il semblerait alors que les idées fusent lorsque le cerveau est « inactif ». 

Les interférences de l’environnement

Enfin, un dernier facteur semble nécessaire à l’expression de la création : l’environnement, soit le cadre dans lequel évolue et se trouve le créateur. Pendant longtemps, on considérait que les connexions cérébrales conduisant à la créativité étaient génétiques. En 1890, W.James insinue que l’environnement pourrait jouer sur les réseaux neuronaux. L’émergence des technologies ces dernières années permet d’appuyer cette idée et met notamment en évidence l’influence des stimuli sensoriels. Suite à une expérience sur des singes, un groupe de chercheurs (Merzenich, Nelson, Stryker, Cynader, Schoppmann, et Zook), illustre la modification des connexions neuronales par l’environnement. 

Notre cerveau perçoit par le biais des différents récepteurs sensoriels ce qui l’entoure. Grâce aux 5 sens, il collecte des informations du monde extérieur, les analyse, les apprécie, génère des réactions et stocke une partie de ce qu’il apprend dans la case souvenir. La perception de la réalité est alors sans cesse reconstruite. Rien n’est jamais acquis ! En effet, le cerveau se nourrit en permanence et est façonné par l’interaction de 2 éléments : la progénétique (les routes construites dès la naissance) et l’environnement (les routes que l’on choisit d’emprunter). La notion de plasticité neuronale exprime cette idée que le cerveau crée toute sa vie de nouvelles connexions, se transforme au fil des expériences, des apprentissages et reconfigure les circuits en permanence.

Aujourd’hui, aucune études n’établit de lien direct entre la créativité et l’environnement. Cependant, celui-ci est considéré comme un stimulant favorisant l’émergence d’idées. Selon C.Rogers, le cadre familial, scolaire et professionnel, ainsi que le milieu social et culturel, sont autant de catalyseurs d’idées créatives puisqu’ils influencent tous les connaissances, l’expérience et la mémoire de l’individu. Dans un contexte individuel, l’environnement ouvre également sur un cadre plus ou moins propice à l’expression de la créativité. 

L’inconscient créatif 

« La réalité de ce que nous percevons est en fait sans cesse reconstruite par notre cerveau », selon E.Devèze et R.Croati, « le monde n’est pas tel qu’il est, mais tel que notre cerveau le décrypte ou l’interprète. » Notre cerveau analyse et déchiffre les informations qu’il collecte en fonction de ce qu’il est (génétique), des apprentissages et des expériences qu’il a vécues. C’est ce que l’on appelle la réalité fonctionnelle. La notion de perception suggère alors que les informations reçues par notre cerveau influencent nos pensées, nos émotions, nos décisions et notre personnalité, et cela sans que l’on intervienne. Selon J.Bardh, de Yale, « la part de conscient est minime dans notre perception et dans nos actions au quotidien ».  Tel un iceberg, l’ensemble de nos capacités cognitives est gouverné en grande partie par cette face immergée de notre cerveau, dit inconscient. Maître de nos comportements, choix, émotions et décisions, nous sommes en réalité guidés à 90 % par notre inconscient. En effet, face aux nombreux stimuli, le cerveau effectue un tri et décide de ce qui doit ou non solliciter la conscience. De ce fait, pour ne pas surcharger notre cerveau, nous occultons une partie de la réalité extérieure. De telles révélations nous poussent à nous méfier de notre perception du monde. Finalement la phrase « je ne crois que ce que je vois » pourrait être remise en question. 

« Dans les ténèbres, l’imagination travaille plus activement qu’en pleine lumière. »

Emmanuel Kant. 

Dans le processus de création, l’inconscient cognitif a un rôle essentiel. Toujours actif, il réalise des liens sans que l’on s’en aperçoive. Les grands moments d’illumination en sont la preuve. En effet, même lorsque nous sommes « inactif », notre cerveau mouline et poursuit la recherche lancée. Les états de veille, les phases de suspension de jugement ou de divergence, les « vides », résultent d’un mécanisme neurologique permettant d’inhiber nos inhibitions, indispensable à l’expression de la créativité. Lors de ces « pauses », l’inconscient réalise discrètement des associations entre un souvenir, une expérience antérieure et le problème posé. Pour illustrer l’idée, une fois le problème délimité, les connaissances pré requises intégrées, notre inconscient travaille en coulisse. Il réunit les informations stockées, recrute les réseaux nécessaires, tente d’associer des idées, brainstorme avec toute l’équipe des neurones, et, parfois sans prévenir, Eurêka, La Big Idea surgit. 

« Être créatif, c’est se bagarrer avec ses acquis, ses certitudes et sa culture et l’envie de faire quelque chose de différent, c’est en fait une pagaille dans la tête ». 

F.Dupuis – Conférence TED

Lors d’une conférence TED, F. Dupuis résume la complexité et le paradoxe de la créativité. Il considère que les créatifs, pour trouver l’inspiration, se confrontent à de nombreux paradoxes.  Résultant de l’interaction, de la combinaison et de la coaction de nombreux facteurs, elle est sûrement l’un des concepts les plus difficiles à cerner et à décrypter. Les apports des différentes disciplines, et notamment celles des neurosciences, dénotent l’action de facteurs aux multiples nuances et aspérités, jouant sur la perception du monde, l’interprétation des informations collectées et ainsi sur l’expression de la créativité. Comme nous avons pu le voir, le cerveau, par des connexions entre réseaux et aires cérébrales, joue un rôle central dans la génération d’idées originales. La créativité recrute plusieurs fonctions cognitives exécutives, telles que la mémoire, la pensée abstraite, l’attention et la flexibilité, ainsi que des facteurs endogènes et exogènes à l’individu qui interfèrent avec les connexions cérébrales. Les expériences antérieures, les émotions, le cadre social et culturel, la personnalité … Tous affectent l’expression de la créativité et sont propres à chaque individu. 

Sachant que la plupart de nos actes et pensées sont contrôlés par l’inconscient, comment pouvons-nous déterminer ce qui influence réellement la créativité ? En effet, la notion de processus créatif schématise la création comme un acte contrôlé et maîtrisé, respectant une méthode fixée. Pourtant, la créativité semble gouvernée par de multiples variables aléatoires, dépendantes de l’individu et de stimuli extérieurs. Bien que les neurosciences dévoilent un concept difficile à coordonner, elles montrent aussi, de par la notion d’expérience et de plasticité cérébrale, qu’il est possible de modifier et d’améliorer volontairement le potentiel créatif en stimulant l’activité et la connectivité des réseaux cérébraux engagés. Reconsidérer le cadre créatif, solliciter tous les réseaux nécessaires, prendre en compte les raccourcis du cerveau et l’influence de l’inconscient, sont autant de leviers pour mieux comprendre les besoins et fonctionnement des créatifs. 

Quelles sont ces interférences qui viennent brouiller les réseaux de la créativité ? Les apports détaillés dans cet article ne sont–ils pas des sources d’information à prendre en considération pour façonner un espace de création idéal ?  Par la connaissance du fonctionnement du cerveau créatif ne pouvons-nous pas mieux les accompagner dans l’expression de leur créativité ? Comment repenser l’environnement des créatifs, notamment en agence, en s’adaptant au fonctionnement et biais de leur cerveau et soutenir leur quête d’inspiration ? 

Après un temps d’incubation, favorable à l’assimilation des informations, nous parlerons dans un prochain article des biais cognitifs qui affectent l’acte de création et envisagerons le paysage idéal des créatifs, notamment en agence.

C. Clément – MKP


[i] Walter Kohn physician autrichien, Pr Peter Jones, Barron, F., Harrington, D. (1981), “Creativity, intelligence and personality”, Annual Review of Psychology

[ii] Mackinson Mackinnon D.W. (1965), Identifying and developing creativity, Journal of Secondary EducationT.Amabile, Universitaire américaine, professeur d’administration des affaires Edsel Bryant Ford au sein de l’unité de gestion entrepreneuriale de la Harvard Business School.

[iii] Kelly Morr: Responsable content strategy pour 99designs de 2015-2020

[iv] Arne Dietrich professeur et président du département de psychologie de l’université américaine de Beyrouth, au Liban.

[v] Première étude scientifique sur la créativité menée par Francis Galton 

[vi] Joy Paul Guilford : psychologue et professeur de psychologie à l’université de Caroline du Sud-américain, connu notamment pour ses travaux sur l’intelligence. Paul Torrance psychologue américain de Milledgeville, en Géorgie.

[vii] Ward et Finke The creative cognition approach // Robert Sternberg psychologue et professeur de psychologie cognitive américain // Donald Davidson philosophe américain. 

[viii] Todd Lubart professeur de Psychologie à l​’Université Paris Descarte – (2003), La psychologie de la créativité, ARMAND COLIN EDITION,

[ix] Kenneth Heilman, neurologue américain du comportement, considéré comme l’un des pères de la neurologie comportementale moderne.

[x] Neuroscientifique et psychologue américain dont la recherche se concentre sur la compréhension de la façon dont les circuits cérébraux à grande échelle soutiennent la fonction mentale.

[xi] Calibrage cognitif : Ensemble de méthodes statistiques permettant d’étudier la relation entre le niveau de confiance que des personnes attribuent à leurs souvenirs avec la performance réelle de leur mémoire.


Bibliographie

  • Neuro-boostez vos équipes – Erwann Devèze et Ricardo Croati – Les ressources de notre cerveau dans l’environnement professionnel 
  • Pourquoi votre cerveau n’en fait qu’à sa tête – Eric La Blanche – Études des mécanismes cérébraux à l’origine des biais cognitifs. 
  • L’année psychologique – Lucie Leboutet – La créativité – Avril 2018 
  • Une étude exploratoire de la créativité dans les organisations – Kamel Mnisri et Haithem Nagati – Étude quantitative – 2012 
  • Structures et mécanismes cérébraux sous tendant la créativité : une revue de la littérature – Grégoire Borst, Amandine Dubois, & Todd I. Lubart – Laboratoire Cognition et Comportement (CNRS-FRE 2987), Centre Henri Piéron, Université Paris V – Étude quantitative
  • HAL archives ouvertes – Audrey Lamblin – Qu’est-ce que la créativité ? Comment la développer ? Pour quelles finalités ? Cycle 1 – 25 septembre 2012 
  • Maxime Roumieu – Concepteur-Rédacteur chez Elvis – Interview – Mars 2020 
  • Management des situations extrêmes des expéditions polaires aux organisations orientées exploration – Edition ISTE – Chapitre 9 – Guy Parmentier – La créativité sous contraintes organisationnelles – 2019 

Webographie 

  • Le Monde – Laure Belot  –Comment naissent les idées lumineuses ? Le grand mystère de la créativité  – 23 décembre 2019 
  • Slate.fr – Robin Tutenges  – La créativité vient-elle du côté droit ou gauche du cerveau ?   – 09 avril 2020  
  • Scienceshumaines.com – Chantal Pacteau et Todd Lubart – Le développement de la créativité – Mensuel n°164 – Octobre 2005 
  • Gus & Co Agitateurs d’imaginaire – 4 types de créativité – 28 février 2013 
  • 99design – Kelly Morr – Qu’est-ce que la créativité ? Le guide ultime pour comprendre cette aptitude indispensable –2019 
  • Impact Mémoire – Les sciences cognitives 
  • Trendemic – Créativité et neurosciences – 25 avril 2014
  • Sciences & Vie – Marie-Catherine Mérat – La créativité se voit-elle dans le cerveau ?  – 22 janvier 2021  
  • Pour la science n°437 – John Bargh – La puissance de l’inconscient – 21 février 2014 
  • Iris Créativité – Le rôle de l’inconscient dans la production d’idées – Mars 2021 
  • L’essentiel Cerveau & Psycho – Marie de Montalenbert et Maud Besançon– Les paradoxes du cerveau créatif – 13 mai 2015 
  • Cafeyn – Sciences & Vie – Êtes-vous créatif ? La réponse des neurosciences – 23 mai 2018
  • Cafeyn – Sciences & Vie – La créativité, ça se voit dans le cerevau ? – 11 septembre 2019 
  • L’essentiel Cerveau & Psycho N°22 – Nesia Victoria Bryce – « Eurêka ! » Comment avoir des idées de génie – 13 mai 2015

Vidéographie