« L’innovation se produit lorsque des combinaisons inattendues sont formées. 

Els Dragt

L’innovation s’enracine dans un écosystème complexe, où la vision s’incarne. Si la démarche implique de forts engagements pour les entreprises, elle impacte aussi le futur de l’humanité à bien des niveaux. Ne serait-il pas temps de la mettre à distance pour mieux la (re)penser ?

1. L’INNOVATION : ÉCOSYSTÈME ET IMPLÉMENTATION

A) Le marché français : puissant réseau d’innovation 

Chaque année depuis plus de dix ans, l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) s’associe à l’Université de Cornell et à l’INSEAD pour publier le classement des pays les plus innovants sur la planète. Le Global Innovation index repose sur plusieurs indicateurs de mesure comme le nombre de demandes de brevets, les investissements en Recherche & Développement mais également des « données relatives au contexte économique et aux capacités d’innovation » de chacun des pays. En 2020, le podium se partage entre la Suisse, suivie de la Suède et des États-Unis. Si l’on se concentre sur les changements par rapport à 2019, on remarque une nette progression pour la France qui passe de la 16ème à la 12ème place, coiffant au poteau les « géants asiatiques de l’innovation », à savoir la Chine et le Japon. Une évolution de +4 points pour l’hexagone, qui s’explique notamment par trois points forts : 

  • La croissance de l’investissement humain : en 2018 (derniers chiffres disponibles), le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation dénombrait 10,3 chercheurs pour 1000 actifs en France. Cela représente au total 71 159 doctorants et plus de 295 000 chercheurs. 
  • Le nombre de publications de travaux de recherche et de dépôts de brevets dont la France occupe le 6ème rang, avec exactement 7 934 brevets déposés en 2020. Sur le plan européen, elle se place en 2èmeposition, juste derrière l’Allemagne, et enregistre même une progression de 0,2 points par rapport à l’année précédente. 
  • La qualité de la recherche et des infrastructures : pour la première fois, une université française a intégré le top 15 du prestigieux classement de Shanghai. Paris-Saclay est ainsi devenu le premier établissement public français reconnu comme référence sur le plan académique et universitaire. Avec 30 établissements classés, dont 5 dans le top 100, 3 dans le top 50 et 1 dans le top 15, la France se hisse désormais à la 3ème position dans le classement mondial. Un bon indicateur de la performance du pays en matière de recherche. 

En 2018, la France a dépensé 51,8 milliards d’euros dans la R&D, soit 2,20% de son Produit Intérieur Brut (PIB), un chiffre légèrement supérieur à la moyenne de l’Union Européenne (2,18%). Sur 51,8 milliards d’euros, 33,9 ont été investis par les entreprises. Car au-delà des investissements publics et de la recherche universitaire, la France c’est aussi un puissant réseau de startups innovantes. Et c’est dans le but de les réunir qu’a été créé le mouvement de « La French Tech » (à l’initiative du gouvernement). Cet écosystème réunit quatre grands types d’acteurs : des startups et des investisseurs, mais aussi des décideurs et des community builders. En 2021, on compte 30 nouvelles structure entrantes sélectionnées parmi les plus prometteuses par la French Tech, dont 12 au sein du programme d’accompagnement Next40. Les secteurs les plus représentés par ces startups sont : 

  • L’industrie (27%)
  • Les HealthTech et MedTech (23%)
  • Les Fintech (15%) 
  • Les Cleantech-Mobility (12%) 

Dans une logique de responsabilisation des lauréats « sur les sujets de diversité, de mixité et de développement durable », la French Tech lance pour la première fois cette année un « board impact ». Cela pourrait traduire une vraie volonté d’engagement au service de défis sociétaux et environnementaux.  

L’innovation en France semble être au cœur des préoccupations du gouvernement, des programmes universitaires et des entreprises. Elle s’organise en réseau et utilise la collaboration pour renforcer sa puissance de frappe à l’échelle internationale. Si la R&D reste le levier majeur reconnu pour innover, les talents créatifs et visionnaires se voient aussi propulsés sur le devant de la scène. Et pour cause, ce sont bien souvent eux qui sont à l’origine des programmes de recherche, impulsés par leur vision et leurs idées.  La France, connue pour sa culture de la créativité et de l’imagination, pourrait-elle devenir championne de l’innovation ? 

B) Créativité versus innovation

C’est indéniable, la créativité ça n’est pas l’innovation. Dans les faits, comme le souligne Carole Strombini dans son livre Innover en Pratique, « on peut avoir un grand nombre d’idées très créatives sans être innovant et inversement, il est possible d’être innovant sans des idées très créatives ». Malgré tout, ces dernières années, les deux notions s’entrechoquent, se répondent et se pensent dans une logique globale pour créer des idées originales et pertinentes. En effet – comme étudié dans mon précédent article intitulé Demain – l’innovation est une démarche qui vise à apporter un nouveau regard sur une ou des problématiques, afin d’améliorer significativement leur statut. Elle se construit sur l’étude, l’analyse et la compréhension du marché, des individus ou groupes cibles et des tendances qui s’expriment au sein de la société. Finalement, l’innovation répond à un besoin correctement identifié ou pressenti. La créativité, est selon moi, un outil qui favorise l’émergence d’idées. C’est aussi l’aptitude qui, dans sa sensibilité, amène cette dimension unique, « out of the box » indispensable à la démarche d’innovation. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les entreprises cherchent à attirer les esprits créatifs, valorisent leurs compétences et intègrent la créativité à leur culture d’entreprise, pour encourager la multiplication et le partage d’idées qui donneront lieu à des stratégies d’innovation. Pour innover ne faudrait-il pas alors simplement se reconnecter à son intuition ? Sûrement. C’est en tout cas la promesse que porte la créativité, si on la considère comme un vivier d’idées qui alimente l’innovation et reconnecte les entreprises à leur instinct. Encore faut-il qu’elle puisse se libérer dans un environnement qui lui est propice : cela implique un climat de confiance, une collaboration multidisciplinaire et sans jugement, et une grande culture de la prise de risque. Car la créativité tout comme l’innovation, c’est un pari. Si elle frôle le sport national en France, on se rend rapidement compte qu’avoir des idées, ça ne suffit pas pour innover. Ressources, accompagnement, design de l’offre et de l’expérience, définition des usages : pour être champion de l’innovation, il faut surtout réussir à les porter.

C) Viabilité de l’innovation, un objectif utopique ? 

« Une idée, c’est 10% du chemin vers l’innovation » 

Carole Stromboni 

Avoir l’idée, c’est bien. Lui donner vie, c’est toujours mieux. Aussi, quand on sent que l’on tient enfin la bonne idée, 90% du chemin reste à parcourir. Pour cela, Carole Stromboni définit deux postes clés sur lesquels les efforts de l’entreprise doivent se concentrer : 

1. L’exécution, ou « excellence opérationnelle » qui compte pour 40% de la démarche : « c’est la façon de faire, et surtout la rapidité à atteindre ses objectifs ». En d’autres termes, c’est toute la démarche post-idée qui va permettre de donner vie au concept sur son marché. J’entends par là son développement, sa validation par la « proof of concept (P.o.C) », son financement, mais également toute la démarche marketing qui vise à déployer l’innovation : définition des usages, des publics cibles, du design d’expérience, constitution de l’offre, branding, et j’en passe. 

2. L’engagement, qui compte pour 50% de la démarche : « c’est l’adoption de l’innovation par les personnes visées ». Autrement dit, est-ce que la société est prête à recevoir mon innovation ? Et là, pas de recette miracle. Même quand la phase d’exécution est menée avec brio, et que les facteurs du succès de l’innovation ont été correctement identifiés et « packagés », c’est bien le consommateur qui fait la loi. Il existe pourtant des outils comme le Gartner Hype Cycle qui permettent de représenter graphiquement la maturité et l’adoption des technologies et de leurs dérivations. 

Gartner Hype Cycle (2020)

L’utiliser, c’est pourvoir apprécier leur pertinence pour résoudre des problématiques business réelles et ainsi exploiter de nouvelles opportunités. En fonction du plan d’innovation de l’entreprise et de son degré de projection dans le futur, il permet de jauger la maturité des technologies pour pouvoir mieux les choisir. Si l’outil favorise la prise de décision, il ne peut cependant pas garantir le succès de l’innovation. Car innover, c’est avant tout de la vision, du pari, et beaucoup de timing. Alors, puisqu’il n’est pas possible de maîtriser complètement la prise de risque mais qu’il est primordial d’innover pour créer des futurs meilleurs, ne faudrait-il pas tout simplement le faire dans une logique d’abnégation et de pleine conscience ?

2. INTRODUCTION DE L’« INNOVATION CONSCIENTE »

Du latin cum scientia, la conscience désigne « l’activité psychique qui fait que je pense le monde et que je me pense moi-même. » Elle est une mise à distance, qui permet se rapporter à soi et à son environnement, de s’y visualiser, et de s’y projeter. La conscience implique de « devoir répondre de ses actes et de les assumer ». 

A) Conscience des mécanismes de l’entreprise

Produire plus et toujours plus vite. Tel est le système dicté par le modèle capitaliste sur lequel se sont construites les sociétés modernes, qui impose aux entreprises un rythme effréné et une course au profit. Car s’il est crucial de comprendre l’importance de la rentabilité pour la durabilité d’une entreprise, il en va de même pour les enjeux qui découlent de la mise en place d’une stratégie d’innovation. C’est en ce sens que la notion de conscience se révèle essentielle. Essentielle pour anticiper les investissements humains et financiers qu’elle implique. Essentielle pour adapter l’organisation et accroître l’agilité de la structure qui innove. Parce que l’innovation se construit et s’accompagne dans le temps. Alors, comment trouver le juste équilibre entre rentabilité et impact positif ? Comment concilier profit et vision sur le long terme ? Peut-être est-il temps de commencer à penser autrement. 

En tenant compte de ce raisonnement, le mouvement Time for the Planet semble proposer un regard nouveau sur la conception des modèles économiques, en réconciliant entreprenariat, innovation et impact écologique. Le constat ? « Nous sommes la dernière génération capable d’agir contre le dérèglement climatique ». L’idée ? Rassembler 1 milliard d’euros pour créer 100 entreprises au service de l’urgence environnementale. Dans les faits, l’initiative repose sur un gigantesque système d’actionnariat, et une vision réaliste de l’urgence de la situation. Ainsi, Time for the Planet a identifié 20 problématiques majeures qu’il est primordial de résoudre pour tacler les émissions de gaz à effet de serre. Pour y répondre, chaque entreprise créée possède donc une mission prédéfinie, pouvant aller de la rénovation de maisons et de bâtiments, à la réduction de l’emploi de combustibles fossiles. La stratégie de ce mouvement repose sur deux leviers principaux : 

  • La collaboration : sur le principe de l’open source, Time for the Planet souhaite rendre publiques toutes les découvertes de ses entreprises. De ce fait, quand une entreprise est créée, « des dizaines d’autres se créent en copiant ou en améliorant l’innovation ». 
  • La rentabilité : les entreprises Time for the Planet doivent être rentables pour pouvoir assurer la création de futures structures. 

Si « le temps n’est plus à la concurrence mais à la coopération » comme le suggère Time for the Planet, les entreprises doivent non seulement innover en repensant leurs business modèles mais aussi, et ce plus que jamais, en étant en accord avec les attentes de la société. 

B) Conscience de l’évolution sociétale

« Alors que la recherche sur les tendances consiste à détecter et à comprendre le changement, un processus d’innovation vise à créer le changement » 

Els Dragt

Dans son livre How to research trends, Els Dragt insiste sur l’importance de la compréhension des tendances socio-culturelles et des changements qu’elles impliquent dans les attentes de la société. Les utiliser en tant que fondement de la stratégie d’innovation permet pour elle de suivre et d’anticiper les mutations de l’environnement, des besoins et des valeurs des publics visés par l’innovation. C’est aussi ce que souligne Jakob Sutmuller, conférencier spécialiste de l’innovation : « Si vous n’utilisez pas les tendances dans le processus de conceptualisation de l’innovation, cette dernière ne répondra qu’à la demande actuelle du marché, qui n’a qu’un faible potentiel de croissance. » Aujourd’hui, débuter une démarche d’innovation sans adopter une vision humaniste, c’est un peu comme faire un saut dans le vide, et sans le parachute. Peut-on alors réconcilier valeurs et bénéfices ? En 2014, Sutmuller conceptualise un outil qui conjugue les différentes perceptions des valeurs, le Valuefit. En effet, il met en lumière le fait que les valeurs exprimées par une tendance ne sont pas des « variables isolées », mais doivent matcher ou se confronter avec d’autres aspects du challenge que représente la démarche d’innovation : les valeurs de l’entreprise, les valeurs de la cible, les valeurs qui guident le développement du secteur d’activité par exemple. Grâce à cette vision globale, le Valuefit constitue un point d’équilibre pour créer des concepts d’avenir qui améliorent vraiment la qualité de vie des individus : « là où les valeurs rencontrent la valeur ».

Valuefit, Sutmuller (2014)

Cela permet d’innover en ouvrant des perspectives pour le futur et en même temps, de combiner les ingrédients qui impulsent le changement (acceptation et bénéfices). L’« innovation consciente » doit alors se penser dans une logique de durabilité (elle vit sur le long terme), de rentabilité (elle génère du profit pour que l’entreprise puisse réinvestir) et de changement effectif (elle induit un impact réel sur une problématique de société). 

C) Conscience de tous les impacts

L’innovation devrait désormais se penser dans une logique d’impact, qui plus est, positif. Mais est-il possible de le mesurer à l’échelle de la société, de l’environnement, de l’entreprise ou du marché ? Il est en réalité encore difficile de comprendre comment l’action d’aujourd’hui peut changer le cours de demain. D’abord, les relations de cause à effet sont loin d’être évidentes : comment être certain d’avoir participé à la transformation d’un schéma traditionnel ? Comment s’assurer qu’en apportant une solution à une problématique, on maîtrise aussi les effets de bord, voire l’effet papillon ? Comment savoir si l’on a réfléchi l’innovation dans sa globalité ? En être convaincu, ce serait occulter les effets des influences conjuguées et avoir peut-être négligé certains paramètres clés. D’autre part, il existe trop peu d’outils de mesure capables de chiffrer et d’analyser la portée d’une innovation à différentes échelles. Innover consciemment, serait alors parvenir à avoir une vision exhaustive des impacts de la démarche, aussi bien d’un point de vue interne dans l’entreprise, qu’externe sur les plans sociaux, économiques et environnementaux. Finalement, au lieu de réfléchir la démarche d’innovation comme une ligne tout droit tracée vers l’avenir, il s’agirait de mieux la contextualiser, de façon plus circulaire et systémique. Plus que du design thinking, on parlerait alors de system thinking.  

3. PRÉVISION ET INNOVATION : UN PARI GAGNANT POUR LES ENTREPRISES ? 

A) Prévoir, atout stratégique ou piège temporel ? 

La prévision en entreprise s’exerce le plus souvent au sein de deux disciplines bien distinctes : 

  • Le forecast, ou la prévision appliquée au business. Il permet d’ajuster la stratégie de l’entreprise et d’avoir une vision très opérationnelle. Avec le forecast, on planifie des dépenses, on estime le nombre de produits que l’on va écouler, on alloue des budgets. En somme, on optimise les coûts et on augmente l’agilité de la structure. Il offre une projection à court ou moyen terme, et impacte donc le quotidien. Il apparaît comme un soutien dans la réalisation de la mission de l’entreprise.  
  • La prospective, ou la prévision appliquée à l’humain. Elle permet d’entrevoir le monde futur, d’en imaginer les scénarios, et repose sur une vision humaniste. Avec la prospective, on comprend la société et son environnement, on décrypte leurs changements, on visualise là où l’on pourrait et voudrait aller. Finalement, on donne les clés de lecture du temps long et on impulse une direction de changement. Elle offre une projection à long terme, et accompagne les projets structurants. 

Dans un cas comme dans l’autre, pour que le pari de la projection soit gagnant, il faut que l’entreprise soit capable d’agir en conséquence, en pleine conscience et d’assumer ses prises de position, parce que la prévision n’est pas une science exacte. Elle implique d’importants investissements, requiert une grande capacité d’ajustement et demande d’être mise en place sur le long terme, mais constitue aussi un excellent levier stratégique d’aide à la prise de décision. Elle permet de garder une longueur d’avance et d’anticiper les schémas de changement à l’échelle de la société. L’objectif étant de trouver le juste équilibre entre opérationnel et vision à long terme. Il s’agit de faire évoluer les projections pour ne pas s’enfermer dans une vision tronquée ou obsolète du futur, tout en apportant des réponses aux problématiques du présent. 

B) Innover en conscience, une démarche (trop) engageante pour l’entreprise ?

L’innovation est une démarche complexe qu’il convient d’intégrer de façon transversale et de placer au cœur de la culture d’entreprise. Lorsqu’elle est bien menée, elle peut favoriser la communication interne, la collaboration multidisciplinaire et conduire à un dépassement du traditionnel fonctionnement en silos. Certes, elle décloisonne l’entreprise pour faire naître des idées, mais ce n’est pas tout.  A terme, miser sur une stratégie d’innovation, c’est possiblement assurer des retours : 

  • En interne, en boostant l’engagement collaborateur et en favorisant le partage de connaissance et la reconnaissance des aptitudes de chaque salarié ;
  • En externe, en redynamisant l’image de marque et en soutenant les initiatives de co-création de nouveaux produits ou services. En animant les communautés, l’innovation renforce le lien avec les cibles et rencontre les vrais besoins des consommateurs. 

D’autre part, l’action d’innover doit pouvoir s’appuyer sur une vision claire en plus de projections crédibles pour le monde de demain.  Aussi, elle est de plus en plus soutenue par les stratégies de ressources humaines. Cette fonction support clé permet de recruter les bons profils et d’injecter la culture de l’innovation directement dans le projet de l’entreprise. 

Au-delà de la démarche, l’innovation est un état d’esprit qui se transmet, se cultive et s’entretient. Pour qu’elle soit un succès, elle doit être motivée par des intentions sincères et pertinentes, au risque de n’être comprise ni par les collaborateurs ni par les cibles et le marché. Par-là, j’entends que l’innovation trouve sa source dans la volonté de résoudre de véritables problématiques, et non pas dans des motivations purement mercantiles. Approche humaniste, authenticité, transparence, collaboration sont autant de facteurs qui participent à la réussite et à la durabilité d’une démarche d’innovation. Malgré son lot de bénéfices, si l’innovation se pense avant tout pour la société dans une logique de conscience, n’implique-t-elle pas trop de sacrifices du point de vue de l’entreprise ? 

C) Prôner la conscience, jusqu’à l’abnégation ? 

C’est indéniable, la conscience apporte sa part de responsabilités et d’engagements pour les entreprises. En effet, quand on a la connaissance, deux options s’offrent à nous : ignorer ou agir. Cependant, face aux signaux d’alarme émis par les projections à long terme et aux besoins exprimés par les jeunes générations, une seule option me paraît valable : il s’agirait de mettre sans plus tarder le savoir au service de l’action. Si l’innovation consciente est résolument tournée vers l’avenir, elle implique malgré tout des sacrifices non négligeables pour les structures qui souhaitent la mettre en place, et ce à plusieurs niveaux :  

  • Sur le plan financier, l’innovation consciente bouscule les schémas de profit traditionnels, en plaçant l’humain et son environnement au cœur des préoccupations plutôt que l’argent ;
  • Sur le plan structurel, elle impose de repenser le modèle classique du « top down management », ou l’organisation verticale des entreprises pour engager les collaborateurs autour d’un projet commun ; 
  • Sur le plan concurrentiel, elle pousse à favoriser l’open source, le partage d’information et la collaboration entre acteurs dans un but partagé : agir pour impacter positivement ou transformer le statu quo ;  
  • Sur le plan communicationnel, elle invite à sacrifier l’image de marque lisse pour communiquer avec plus de transparence et d’authenticité sur ses prises de position, ses engagements et sur le processus de recherche et développement ;

En poussant le raisonnement à l’extrême, on pourrait aussi affirmer qu’innover consciemment, c’est avoir la connaissance nécessaire des impacts et des enjeux à tous les niveaux, pour pouvoir résoudre des problèmes, sans en créer de nouveaux. Je fais notamment référence à l’exemple des voitures électriques et hybrides. Présentées à leur début comme une solution écologique pour remplacer les anciens véhicules diesel et essence, leur caractère « green » est largement contesté. Durée de vie et recyclage des batteries, renouvellement du parc, épuisement des minerais … toutes ces problématiques, lorsqu’elles sont mises bout à bout, remettent en question la pertinence de la démarche d’innovation qui y a été associée. Aurait-on pu anticiper ces dérives en adoptant une vision plus globale et une meilleure mesure des impacts en amont de la commercialisation ? 

Finalement, innover consciemment, c’est inévitablement sacrifier une part des intérêts des entreprises. Mais on ne parle pas ici de sacrifice sans fondement. Il s’agit de sacrifier pour mieux changer. Changer de point de vue, changer de business modèle, voire changer de rôle ? Gardons à l’esprit que même si l’inconnu fait peur, il est hautement valorisant pour une entreprise de se positionner en tant qu’acteur de ce changement. 

La mise en lumière de la démarche d’”innovation consciente” invite les entreprises à s’organiser de manière collective pour revoir leur rôle, leur organisation et leur modèle de rentabilité traditionnel. Mais est-ce que savoir, c’est être dans l’obligation d’agir maintenant ? Si le sentiment d’urgence pousse parfois à l’innovation précipitée et non à l’innovation consciente, que vaut-il mieux ? Avancer étape par étape ou stopper le processus tant que l’on ne possède pas une vision éclairée des enjeux et des impacts ?

 Avons-nous le luxe de prendre le temps ?  

Emma Bailly – MKP

BIBLIOGRAPHIE

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