« Souriez, vous êtes filmés ». Qui ne connaît pas cette phrase ? D’où vient cette expression ? Cela est en fait le dérivé du slogan de l’émission humoristique culte Candid Camera aux Etats-Unis : « Smile, you’re on camera ». Créé en 1948, le programme de caméra cachée, grand succès d’audience jusque dans les années 1970, révélait aux participants qu’ils étaient victimes d’un canular.
Aujourd’hui, il y a des caméras partout dans nos villes, nous sommes en permanence surveillés, le moindre de nos gestes est enregistré. Mais il est nécessaire aussi de rappeler que surveiller, c’est aussi « veiller sur » et que le fait de veiller a un côté plus positif sans doute que surveiller, qui est souvent connoté négativement.
De plus, dans nos esprits, il y a toujours, sans avoir nécessairement lu le roman, Big Brother, qui est partout, qui nous surveille, le grand frère dans 1984, de George Orwell. Cela révèle la peur que nous pouvons avoir, de la crainte d’être trop surveillés.

 

1 – 1984 : George Orwell, 1948.
1984, c’est aujourd’hui au XXIe siècle ! Ce livre est souvent cité pour ses terrifiantes anticipations. Edward Snowden, ex-agent de la NASA, dans The Guardian et The Washington Post en 2013 a d’ailleurs écrit : « Récemment, nous avons appris que nos gouvernements travaillent ensemble pour créer un système de surveillance mondiale. George Orwell nous avait prévenus du danger de ce genre d’informations. Les types de collecte utilisés dans le livre, comme les microphones, les caméras, les télévisions qui nous regardent, ne sont rien comparé à ce que nous avons aujourd’hui. Nous avons des capteurs dans nos poches qui permettent de nous suivre partout ».

En effet, dans 1984, Winston Smith travaille au Ministère et décrit la société qui l’entoure : la surveillance généralisée, la négation du sexe et de toute sensualité, la police de la pensée et de la langue et surtout la surveillance de Big Brother, un système de caméra, réduisant l’individu à néant et l’écartant de tout. On peut donc parler de société totalitaire, réalisation la plus extrême qu’on puisse imaginer d’un gouvernement moderne, une ère d’ultra surveillance.

 

2 – Le meilleur des mondes, Aldous Huxley, 1932.
L’essayiste Neil Postman, en 1984, dans la préface Se distraire à en mourir, faisait la différence entre les deux auteurs : « Orwell prévoit que nous serons bientôt submergés par une oppression imposée. Mais chez Huxley, il n’y a pas besoin de Big Brother pour priver les gens de leur autonomie, de leur maturité et de l’histoire. De la façon dont il le voyait, les gens finiront par aider d’eux-mêmes leur oppression et adorer les technologies qui annihilent leurs capacités à penser ».

 

3 – La reconnaissance faciale : définition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
« La reconnaissance faciale est une technique qui permet à partir des traits de visage :
– d’authentifier une personne : c’est-à-dire vérifier que la personne est bien celle qu’elle prétend être (dans le cadre d’un contrôle d’accès)
– d’identifier une personne : c’est-à-dire de retrouver une personne au sein d’un groupe d’individus, dans un lieu, une image ou une base de données. »

La reconnaissance faciale semble donc être une technologie biométrique capable d’identifier les individus en fonction de caractéristiques de leur visage telles que l’écartement des yeux, des arêtes du nez, des commissures des lèvres, des oreilles… La caméra ne devient-elle pas physionomiste ?

 

4 – Importance du visage chez le philosophe Emmanuel Levinas et l’anthropologue David Le Breton.
E. Levinas, dans Ethique et Infini, affirme que le visage est la source de l’éthique du fait qu’il est nu, expressif, doué de la parole humaine et semble vous dire : « Tu ne défigureras pas » ou « tu ne tueras point ». Pour David Le Breton, dans Des visages, « il incarne la différence infinitésimale portée par chaque homme, donne vie à notre esprit ». Aujourd’hui, ces traits sont donc devenus une donnée exploitable. Le visage est donc donné à la vision d’autrui.

 

5 – Omniprésence de la reconnaissance faciale en Chine.
Les Chinois sont aujourd’hui les champions de la reconnaissance faciale. Pour la police chinoise, filmer les passants, c’est chouette. Mais ce qui est encore mieux, c’est de pouvoir les reconnaître. En effet, leurs caméras scrutent les visages des passants en direct et les policiers les comparent ensuite à leur base de données pour identifier chaque individu. Ces bases nous donnent accès aux informations privées de chacun et celles-ci sont très vastes. Tous les lieux sont concernés : les fast-foods, les banques afin de remplacer les cartes, les universités, les toilettes publiques (afin de distribuer le papier toilette et d’éviter l’usage intensif de papier), les bureaux, les casinos et les aéroports, etc. En effet, les autorités chinoises disposent de nombreuses données : tous les Chinois à partir de 16 ans doivent être munis d’une pièce d’identité avec photographie et adresse. Selon Le Figaro du 13 décembre 2017, la Chine « a déjà installé quelques 170 millions de caméras nourries à l’IA et en prévoit trois fois plus d’ici 2020 ».

 

6 – Qu’en est-il en France ?
En 2018, selon TV5 Monde, l’Etat français envisagerait de déployer à son tour des caméras de surveillance dotées d’une technologie similaire à celle utilisée en Chine. Cela permettrait de repérer, localiser et suivre bien plus rapidement les individus dans la rue. Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a d’ailleurs réaffirmé cette volonté en juin 2018 : « En matière d’exploitation des images et d’identification des personnes, on a encore une grande marge de progression. L’intelligence artificielle doit permettre, par exemple, de repérer dans la foule des individus au comportement bizarre ».

 

7 – La reconnaissance faciale : outil-clé pour la lutte contre l’insécurité ?
Il faut grâce à cette technologie un temps très court, entre trois secondes et une minute pour identifier un individu. La machine apparaît donc dans ce cas comme quelque chose qui va se substituer au travail d’enquête des forces de l’ordre. Avant, elle les épaulaient, alors qu’aujourd’hui, elle les remplace en désignant tout simplement le coupable. Cette machine semble pouvoir cloner les individus à partir d’empreintes faciales et dépossède l’individu de son « visage ».

 

Depuis deux décennies, la reconnaissance faciale n’a cessé de progresser et permet aujourd’hui de rendre l’anonymat d’une personne indésirable impossible. De plus, ceci reste très algorithmique. La reconnaissance faciale est de moins en moins fictive comme dans la série Person of interest ou « personne d’intérêt » créée par J. Nolan et produite par J.J. Abrams. La phrase d’ouverture de cette série citée par Harold Finch lors du générique est d’ailleurs primordiale : « On vous surveille. Le gouvernement possède un dispositif secret, une machine. Elle nous espionne jour et nuit, sans relâche (…). Je l’avais conçue pour prévenir des actes de terrorisme, mais la machine voit tout… »