Comment la technologie peut-elle bénéficier à l’humain ? Quels sont les limites et les risques de l’humain augmenté ? Réparer ou augmenter, quel est le véritable objectif pour l’humain ?

La communication digitale a introduit de nouvelles manières d’échanger mais aussi de nouveaux interlocuteurs déshumains. En prenant une place toujours plus importante dans la société, ils redéfinissent celle de l’humain et la remettent en question.
De bien des manières l’humain semble fusionner avec le déshumain notamment à travers le statut de data. Certains imaginent maintenant une fusion physique entre l’humain et la machine. Ce nouvel individu cyborg laisse songer à un humain augmenté, amélioré et réparé de ses maux par la technologie. Ou comment la communication digitale apporte avec elle de nouvelles perspectives à l’anthropotechnie.

 

Comment la technologie peut-elle bénéficier à l’humain ?

Les nouvelles technologies peuvent servir l’humain et modifier ses capacités ou caractéristiques physiques. Le déshumain se mêle alors à l’humain dans le but d’améliorer son développement. On parle d’humain augmenté.

De nombreuses applications se développent notamment dans le secteur médical. Le programme de recherche FollowKnee se propose ainsi de mettre les nouvelles technologies au service des opérations du genou.1 Au programme : scan de la morphologie, impression 3D d’une prothèse sur mesure, opération en réalité augmentée et suivi par des capteurs intégrés. Le professeur Éric Stindel expose la chronologie de ce projet : « d’ici 3 ans, nous allons d’abord réaliser des prothèses de genoux imprimées en 3D qui seront implantées sur 220 patients. Ensuite, nous y implanterons les capteurs que nous testerons avec 30 patients. Nous proposerons cette nouvelle prothèse à des patients plutôt jeunes pour superviser son fonctionnement sur un temps long. »

De son côté, la designer Sophie de Oliveira Barata conçoit des prothèses fonctionnelles et esthétiques au sein de The Alternative Limb Project.2 Ce projet a permis à James Young, un chercheur anglais ayant perdu un bras dans un accident de train, d’obtenir une prothèse bionique.3 Cette prothèse inspirée du jeu Metal Gear Solid contient de nombreux gadgets parmi lesquels un laser, un port USB et même un drône.4 Prochaine étape : une intégration osseuse sous forme d’implants de titanium reliés directement à la moelle des os des moignons qui amplifiera sa force et sa dextérité.
Si le prix élevé de ces prothèses devrait empêcher leur généralisation,5 cette pratique pose des questionnements quant à la création de cyborgs, êtres humains aux capacités modifiées par des dispositifs cybernétiques.6

Autre exemple : Neuralink, société créée par Elon Musk en juillet 2016, après Paypal, SpaceX et Tesla.7 Son objectif : développer des interfaces cerveau-machine à très haut débit pour connecter les humains et les ordinateurs.8 En pratique, cela passe par l’implant d’électrodes intra-corticales permettant une connexion avec les neurones humains. A la clé, des capacités de traitement des informations et une vélocité accrues.9
Elon Musk explique que ce projet permettra d’augmenter l’humain et de le rendre plus à même de résister aux intelligences artificielles. Laurent Alexandre, technomédecin et auteur de La Mort de la mort explique que « la première application de son projet, c’est la défense face à l’intelligence artificielle. Pour Musk, on est forcément dans une thématique d’augmentation. Les gens vont être submergés par le datanami, le tsunami de data. Et une société dans laquelle 90 % des gens ne sont pas compétitifs face à l’IA est une société qui explose très rapidement. Elon Musk veut éviter cela. »10 L’entrepreneur a d’ailleurs affirmé qu’« au fil du temps, nous allons probablement voir une fusion plus étroite de l’intelligence humaine avec l’intelligence numérique. Si vous ne pouvez pas battre la machine, le mieux est d’en devenir une. »11

Alors l’humain doit-il se transformer pour survivre ? Avec Neuralink, ne va-t-on pas acter l’emprise des intelligences artificielles sur les humains plutôt que de limiter leur pouvoir ?
Si d’autres comme le chercheur à Oxford Newton Howard ont aussi pour projet d’implanter des puces dans les cerveaux humains,12 ces pratiques qui fusionnent humain et déshumain soulèvent de nombreux problèmes d’ordres médical, éthique et légal.

 

Quels sont les limites et les risques de l’humain augmenté ?

Ces pratiques alliant biologie et technologie et aboutissant à la création d’individus qu’on peut qualifier de cyborgs soulèvent de nombreuses questions quant à leurs risques éventuels. Ces pratiques sont-elles dangereuses et pas encore suffisamment maîtrisées ?

La Food and Drug Administration américaine a indiqué qu’une réaction allergique ou un rejet de l’implant d’un puce sous-cutanée étaient envisageables. La proximité avec un champ magnétique puissant comme une IRM pourrait aussi causer des brûlures graves. Des tumeurs malignes pourraient aussi se développer dans les zones entourant ce type de puce.13

Au-delà des risques physiques, le piratage de tels dispositifs reste le plus grand danger. Un élément technologique, même s’il est présent dans un corps humain, peut toujours être piraté et les données qu’ils contient être volées. Ces dispositifs étant directement reliés à l’humain, peut-on imaginer des dérives plus graves encore comme le contrôle des individus ? Que faire si ce type d’interfaces était utilisé pour de mauvaises intentions ?
Déjà en 2012, des chercheurs expliquaient avoir récupéré des données personnelles comme des adresses et des codes de cartes bleues en utilisant une interface cerveau-ordinateur.14
En 2017, Facebook a confié travailler sur un système permettant de décoder les pensées via un casque ou un bandeau et de les transcrire sur un ordinateur.15 Comment garantir qu’un tel outil ne sera pas piraté pour voler les données et les pensées des utilisateurs ?

Que penser de l’éthique de ces projets de création de cyborgs ? Et au-delà, ces pratiques sont-elles légales ?
« C’est un réel danger. On flique dorénavant les employés au plus profond de leur chair. C’est un outil de contrôle total » a déclaré Alexis Deswaef, président de la Ligue des Droits de l’Homme belge, à propos du projet de New Fusion.16 En réaction aux pertes fréquentes des badges, cette société belge a proposé à des salariés volontaires l’implantation d’une puce sous-cutanée permettant d’ouvrir la porte d’entrée et d’activer leur ordinateur. Le porte-parole de la société a expliqué que « la puce est dotée d’une mémoire, ce qui permet d’y insérer des cartes de visite. Si vous placez un smartphone devant, vous pouvez transmettre vos données à quelqu’un d’autre. »
Pour Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris, il faut « trouver un juste équilibre entre le respect de la vie privée du salarié au sein de l’entreprise et le pouvoir de surveillance et de contrôle de l’employeur. »17

En France, l’autorisation d’implanter des puces connectées sur des humains devrait se heurter au refus de la CNIL. Geoffrey Delcroix, chargé des études prospectives pour la commission, se veut rassurant face à l’arrivée de ces technologies qui n’apportent rien de plus qu’un téléphone ou un bracelet tout en étant plus difficiles à retirer ou à améliorer.18
Les lois sur la bioéthique, l’étude des problèmes moraux soulevés par la recherche biologique, médicale ou génétique,19 protègent aussi les citoyens français. Pour combien de temps ? Après les boîtes de nuit en Espagne et les policiers au Mexique,20 allons-nous vers une démocratisation de l’humain augmenté ?

 

Réparer ou augmenter, quel est le véritable objectif pour l’humain ?

On peut alors se poser la question du réel objectif de ces pratiques. Quels intérêts l’association entre humain biologique et déshumain technologique présente-elle ? Si des progrès louables sont effectués dans le domaine médical comme l’amélioration des prothèses, d’autres projets comme Neuralink semblent plus inquiétants et pas forcément nécessaires au bien-être de l’humain.
Une différence existe entre la réparation d’un humain grâce à la technologie et l’amélioration d’un humain qui n’en éprouve pas un besoin vital. C’est ce que Jérôme Goffette, Maître de conférences en Philosophie des Sciences, définit sous les termes de « human ehancement » pour « augmentation humaine » ou « anthropotechnie » comme l’« activité visant à modifier l’être humain en intervenant sur son corps, et ceci sans but médical. »21

Dans son roman Une vie sans fin, Frédéric Beigbeder imagine une nouvelle espèce vivant dans les années 2020 : les Ubermen, qu’il décrit ainsi : « les Ubermen n’avaient plus besoin de parler. Ils communiquaient par la pensée, s’envoyaient des MM (Mental Mails) et accédaient instantanément à la connaissance universelle via Google. »22

Dans Homo Deus, Yuval Noah Harari affirme qu’« il n’existe pas de différence claire entre la guérison et l’amélioration. Si la médecine commence presque toujours par empêcher les gens de tomber au-dessous de la norme, elle peut employer les mêmes moyens et le même savoir-faire pour surpasser la norme. La médecine du XXè siècle visait à soigner les malades. Celle du XXIè siècle cherche de plus en plus à optimiser les sujets sains. »23

Une volonté de créer un surhomme apparaît, entraînant la naissance d’un nouvel acteur, à la fois humain et déshumain. Cet être que l’on peut appeler post-humain puisqu’il prétend à succéder à l’humain est l’ambition des adeptes du mouvement transhumaniste.24

 

À suivre : les robots vont-ils remplacer les humains ?

La volonté croissante d’améliorer l’humain et de l’associer pour cela à des éléments déshumains questionne sur le rapport entre l’humain et la machine. Les progrès scientifiques et technologiques donnent des espoirs d’immortalité et de capacités physiques et intellectuelles démultipliées. Mais est-ce vraiment une amélioration ou plutôt une dégradation de l’humain qui perdra sa singularité, son humanité ?

La communication digitale bouleverse les usages et redéfinit la place de l’humain dans la société. Humains et déshumains vont-ils cohabiter ? Vont-ils fusionner ? Ou vont-ils entrer dans un conflit à l’issue duquel les uns vont disparaître et voir les autres prendre le pouvoir ?

 

Sources

1 BERGOUNHOUX, Julien, « FollowKnee combine réalité augmentée, impression 3E et pothèse connectée pour révolutionner la chirurgie du genou », dans L’usine digitale, 23 janvier 2018
2 « Les prothèses design de Sophie de Oliveira Barata », dans Le Huffington Post, 16 mai 2013
3 GARCIA, Victor, « Amputé, il se fait greffer un bras bionique version Metal Gear Solid », dans L’Express, 24 mai 2016
4 RAMASSEUL, David, « James Young : ce cybord a un drone dans le bras », dans Paris Match, 17 mai 2016
5 CAZORLA, Camille, « Bras bionique : un coût trop élevé pour être généralisé en France », dans Le Point Santé, 12 juin 2016
6 « Cyborg », dans Futura-Sciences
7 LECOMTE, Erwan, « Elon Musk lance Neuralink pour connecter nos neurones à l’intelligence artificielle », dans Sciences et Avenir, 28 mars 2017
8 Neuralink
9 TOUZET, Claude, « Avec Neuralink, Elon Musk veut réorienter l’intelligence artificielle », dans Slate, 10 juillet 2017
10 LEDIT, Guillaume, « Neuralink, le projet d’Elon Musk pour augmenter nos cerveaux », dans Usbek & Rika, 28 mars 2017
11 LEVY, Sophie, « Elon Musk : comment il veut implanter des puces dans notre cerveau avec Neuralink », dans Capital, 28 mars 2017
12 GRALLET, Guillaume, « Cet homme veut mettre une puce dans votre cerveau », dans Le Point, 15 mars 2018
13 « Une société belge veut implanter des puces à ses employés. Mais quid de ça concrètement et surtout : quid niveau sécurité ? », dans Newsmonkey, 10 décembre 2016
14 « Votre cerveau peut être piraté pour collecter vos données personnelles », dans Atlantico, 20 août 2012
15 BEAUDONNET, Laure, « Vous avez été infecté : et si on pouvait hacker votre cerveau ? », dans 20 minutes, 31 mai 2017
16 TYMEN, Élodie, « Une société belge équipe certains employés de puces électroniques », dans Le Figaro Économie, 7 février 2017
17 VALLAT, Thierry, « Une micropouce implantée sous la peau des salariés : est-ce bien légal ? » dans Le blog de Thierry Vallat, 27 juillet 2017
18 DELCROIX , Geoffrey, « La puce RFID sous la peau est-elle la voiture volante du numérique ? », dans LINC, Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL, 14 février 2017
19 Larousse, « Dictionnaire de français », 2017
20 MOLINARI, Hélène, « Faut-il avoir peut des puces RFID ? », dans Numerama, 24 avril 2017
21 GOFFETTE, Jérôme, « De l’humain réparé à l’humain augmenté : naissance de l’anthropotechnie », dans KLEINPETER, Édouard, « L’Humain augmenté », CNRS Éditions, 2013, page 85
22 BEIGBEDER, Frédéric, « Une vie sans fin », éditions Grasset & Fasquelle, 2018, page 232
23 HARARI, Yuval Noah, « Homo Deus : une brève histoire de l’avenir », éditions Albin Michel, 30
août 2017, pages 64 et 373
24 « Transhumanisme », dans Futura-Sciences