D’après une étude de l’« International Federation of the PhonographicIndustry », le Hip-Hop/RNB était le 5e « genre » le plus écouté dans le monde en 2020. Il était aussi le plus écouté aux Etats-Unis (marché musical numéro 1) ainsi qu’en France (5e marché mondial).

De nombreux artistes sont constamment dans les tops et ce genre est réellement devenu « Mainstream », en étant notamment présent sur les radios, les playlists et les plus grands festivals. Plusieurs facteurs expliquent cela, comme la diffusion de la culture américaine à travers le monde, mais ce qui va nous intéresser aujourd’hui, c’est l’immense impact d’Internet sur ce genre musical et cette culture (même si ces 2 facteurs sont évidemment liés). Nous allons plus précisément étudier l’impact qu’il a eu pour l’indépendance et l’émergence de ces artistes parfois considérés comme « alternatifs », puisque, bien que le rap soit devenu un genre mainstream au même titre que le rock ou la pop, il a aussi su développer une, voire des « sous-cultures » propres aux artistes indépendants et émergents.

La culture rap et hip-hop a toujours été étroitement liée à la technologie et à l’innovation. Depuis les premiers jours du hip-hop, lorsque les DJ utilisaient des platines et des « samplers » pour créer de nouveaux sons, jusqu’à aujourd’hui, où les rappeurs et les producteurs utilisent des stations de travail audio numériques et d’autres logiciels pour créer et distribuer de la musique, la technologie a joué un rôle crucial dans le développement du genre. L’un des développements technologiques les plus importants dans l’histoire du rap et du hip-hop a été l’essor d’Internet. Internet a transformé la façon dont la musique rap et hip hop est créée, distribuée et consommée, et a eu un impact profond sur la culture dans son ensemble. Il a impacté créateurs comme auditeurs et quand il a permis aux uns de faciliter le partage de son œuvre, sa création, en outrepassant les contraintes liées aux gros labels, il a permis aux autres de se rassembler autour de communautés numériques, que ce soit sur des blogs ou des réseaux sociaux, et d’échanger autour d’une passion commune. Il a permis aux deux de communiquer plus directement entre eux et d’apporter une proximité. Bien sûr, il a aussi grandement chamboulé la manière dont les labels réfléchissent et produisent leurs artistes puisqu’il a touché l’ensemble de la culture, nous le verrons en partie car il est nécessaire d’expliquer le phénomène dans sa totalité, mais nous allons vraiment nous concentrer sur ces artistes indépendants.

L’indépendance, qu’est-ce que c’est ?


Ce thème suscite cependant une problématique à laquelle il nous faut impérativement répondre : l’indépendance, qu’est-ce que c’est ? C’est une question assez compliquée qui a été étudiée longuement, par exemple dans « Culture et (in)dépendance. Les enjeux de l’indépendance dans les industries culturelles » (S. Noël, A. Pinto, O. Alexandre ; 2017) et qui mériterait un article dédié. L’indépendance n’est pas seulement logistique, pas simplement le fait de ne pas être distribué par un major, elle est surtout idéologique et renvoie à des notions d’authenticité, de liberté. Elle est « une construction sociale, dépendante d’environnements institutionnels et marchands singuliers, soumise à des enjeux de luttes, des rapports de pouvoir et des systèmes d’opposition spécifiques » (2017, p. 10) et n’a donc pas une définition précise et définitive : elle est le fruit des rapports entre les différents acteurs et les organisations qui régulent la création-production (les labels, les médias, etc). On peut finalement s’accorder sur le fait que l’indépendance est juridique, économique et artistique. Comme c’est un terme qui évolue dans le temps, nous allons voir dans cet article ce que cela implique.


La promotion avant Internet


Mais pour savoir comment Internet a impacté ces artistes indépendants, il faut savoir comment ces derniers communiquaient et promouvaient leur art avant son apparition. Leurs options étaient évidemment bien plus limitées et ils devaient utiliser des moyens plus traditionnels de promotion et de distribution. Concerts dans des salles locales, open-mic, distribution de CD et cassettes et essais de développement du réseau personnel avec des professionnels de l’industrie, diffusion dans des radios locales, etc. Tout cela devait être réalisé sans le support des majors et des labels de distribution qui, à l’époque, avaient un immense contrôle de l’industrie. Ce sont ces grandes entreprises qui avaient les ressources nécessaires pour une promotion et une distribution à large échelle. Le chemin classique de promotion pouvait se résumer ainsi : l’artiste passait en radio et attirait l’attention des médias qui attiraient eux même l’attention des auditeurs, ces derniers allaient ensuite acheter l’album et voir le concert et ainsi de suite. Mais vous l’aurez compris, ce chemin nécessitait de passer en radio et d’avoir une équipe suffisante pour faire des concerts. Le marketing mix traditionnel était ainsi capable de négocier une présence dans les playlists des radios. Cela pouvait aussi s’accompagner d’un clip sur les chaînes TV musicales. Ce sont aussi ces chaines qui choisissaient qui diffuser ou non. Le choix n’était presque jamais celui de l’artiste, mais des responsables du label, de la radio ou de la chaîne. De plus, pour les fans, c’était l’information qui venait à eux plutôt que l’inverse et il leur était compliqué, voire impossible, de s‘informer sur des artistes émergents autrement que par les canaux traditionnels.
Pour surpasser cette problématique, il fallait quelque chose qui dérègle ce chemin, il fallait quelque chose d’externe qui puisse changer les règles du jeu, il fallait Internet.


Plus qu’Internet, il fallait le Web 2.0. qui peut se définir comme « l’avènement du Web contributif ». Il arrive véritablement en 2002 et permet aux différents utilisateurs d’être actifs et interconnectés entre eux. Les publics ne sont plus simplement attentistes et simples récepteurs des informations comme nous pouvons le voir avec les médias traditionnels (logique top-down). Ils deviennent aussi émetteurs et véritablement acteurs et chacun d’entre eux devient un vecteur potentiel de diffusion d’information (Quoniam & Boutet, 2008, p. 139). De plus, ce n’est pas seulement un changement dans la relation émetteur/récepteur mais une restructuration de l’information. La communication n’est plus basée sur la diffusion d’un message mais plutôt structurée comme une interaction dans un espace où tout le monde peut participer (Cavazza F. 2016). C’est à mon sens la plus grande révolution qu’a amenée Internet et qui a impacté la société dans pratiquement tous les domaines et les aspects, dont évidemment la musique, et nous allons voir tout au long de cet article comment cela s’est fait.

Les années 2000, le chaos, la piraterie et la « blog era »


Nous sommes le 1er juin 1999 quand Napster est lancé. Le principe de l’application est simple : du partage de fichiers en pair à pair. L’application se démarque de ses concurrents de l’époque (Internet Relay Chat, Usenet) par une interface facile d’utilisation et une facilité de partage des fichiers mp3. Elle va très vite gagner en popularité et à son pic de l’époque, elle atteint 80 millions d’utilisateurs enregistrés. Le logiciel va cependant être retiré pour des raisons judiciaires puisque le partage instantané ne respectait bien souvent pas les droits d’auteurs. Elle va être rachetée et pensée pour une utilisation plus légale par Roxio et va ainsi devenir une des premières plateformes de streaming payantes, même si nous nous intéresserons plus tard à ce sujet.


Si j’évoque ce logiciel, c’est pour 1 raison principale que vous aurez sans doute devinée. Napster a été l’étincelle qui a embrasé toute l’industrie musicale, dont le hip hop. Car comme l’adage « rien ne se perd, tout se transforme » le dit si bien, ce n’est pas parce que Napster avait changé sa manière de fonctionner qu’elle avait enterré le partage gratuit et illégal de fichiers, bien au contraire. C’est ainsi que des sites comme LimeWire, puis Megaupload ou encore Mediafire ont pris le pas sur le logiciel et ont donné aux internautes un accès à une source infinie de musiques gratuites. Et cette liberté d’accès à ces musiques (et leurs nombreux virus disséminés dans les .mp3) fait partie intégrante de la « blog era ».


Arrivé dans les années 2000 et permettant un partage facile et instantané où il suffit d’une connexion pour pouvoir poster à peu près n’importe quoi.Le blog devient rapidement un grand moyen d’expression et c’est tout naturellement que des communautés vont commencer à se former dessus, avec des blogs spécialisés sur le sport, sur la littérature et bien évidemment, sur le rap. Ainsi, HipHopDX, véritable pionnier qui proposait des critiques d’albums, des interviews et des analyses des tendances, voit le jour en 99. Mais c’est surtout à partir de 2005 avec des blogs tels que Nahright ou encore 2DopeBoyz que les choses vont s’accélérer. Mais qu’est ce qui fait que cette « Blog Era » a vraiment révolutionné son monde et va s’inscrire dans la légende, au même titre que le « Gangsta Rap Era » des années 90 ? C’est ce que nous allons voir.


La fin du dictat artistique et l’apparition de Datpiff.


Je pense qu’il est nécessaire, pour bien comprendre cette époque, de parler d’un site qui est entré dans la légende et qui ne peut être dissocié de cette ère : Datpiff.
Datpiff, lancé en 2005, est un site de téléchargement de mixtapes. La principale caractéristique du site, et sans doute celle qui lui a permis de prendre une place si importante dans le monde du hip hop, c’est la gratuité de son utilisation. N’importe qui peut alors poster son œuvre qui sera disponible et visible par n’importe qui allant sur le site. C’est là une véritable révolution. Évidemment, il était déjà possible de poster son œuvre sur des blogs, des sites, etc. mais le site va véritablement centraliser cette pratique, si bien qu’il va devenir incontournable et véritablement s’inscrire dans l’histoire du genre, et que les labels eux mêmes vont devoir prendre en compte Datpiff et tous les blogs.


Quand Datpiff permet à l’artiste de publier sans contrainte son œuvre et aux fans de l’écouter gratuitement, les blogs vont permettre une promotion et un échange facilité sans faire appel à des tiers (radio, label, journaux, etc). Il va s’en dégager une atmosphère d’authenticité alors rarement vue : les mixtapes sont produites par des artistes qui n’ont pas de label leur dictant quoi faire et peuvent donc avoir une très grande liberté artistique, tandis que les blogs sont créés, gérés et maintenus en vie par des fans de hip-hop. On pourrait presque parler d’un « circuit-court » faisant fi des grandes structures ayant un objectif uniquement pécuniaire (même si les artistes ont souvent comme but de vivre de leur art). En 2011, le cofondateur de 2DopeBoyz MekaUdoh évoquait sa vision du site dans une Interview pour Black Enterprise. « Nous ne sommes jamais tombés dans l’idéal selon lequel poster une vidéo de deux idiots qui se battent dans le ghetto ou être soutenus financièrement par un grand label, puis avoir l’audace de prétendre que nous “documentons la culture” ferait de nous un succès ou une influence. Il était plus important pour nous d’attirer l’attention sur les [artistes] peu connus que de faire un clin d’œil à Gucci Mane. Le site a vu le jour lorsque deux amis aux goûts musicaux très différents ont décidé de créer un site pour mettre en avant ce que nous aimions, et par la grâce de la divinité qui veille sur nous, il est devenu un succès. »


Cette liberté accordée aux artistes comme aux auditeurs va permettre de développer grandement la créativité des rappeurs qui ne sont plus obligés de faire quelque chose de similaire aux têtes d’affiches, ils vont pouvoir créer ce qu’il leur plait, pas ce qui plait aux managers des labels. C’est ainsi que vont se développer de nouveaux courants dans le rap, dits « Alternatifs ». On pense notamment au groupe « The Cool Kids » originaire de Chicago, qui partageaient leurs sons sur leur page Myspace et sur Datpiff, influencés dans leur œuvre par la Funk et la culture Old School.


Auparavant, pour devenir une star dans le rap, les deux facteurs les plus importants étaient la radio et les relations publiques, donc, par exemple, passer sur des émissions telles que 106 & Park ou Spring Bling de MTV. Il y avait aussi les journaux et magazines tels que Billboard et Rolling Stones, mais ils couvraient en grande partie les musiques de labels. C’est pourquoi les blogs se sont développés si rapidement : ils ont donné une visibilité, une place publique où tous ceux oubliés par les labels et les radios pouvaient se diriger. Le voyage d’un amateur de rap ne commençait alors plus sur les radios, il commençait sur les blogs. C’est un changement fondamental qui va de facto chambouler la manière dont les Labels vont trouver leur pépite. Ils vont faire comme tout le monde à cette époque, ils vont les trouver sur les blogs, et ils vont en trouver de bons. J. Cole, Wiz Khalifa, Chance The Rapper et bien sûr Drake sont des rappeurs qui ont commencé leur carrière en diffusant leurs mixtapes sur Datpiff et en attirant la curiosité des blogueurs qui, en écrivant de plus en plus d’articles, contribueront à leur notoriété jusqu’à la signature en label.


D’un point de vue Marketing, la « blog era » est ce qu’on peut considérer une ère très chaotique. D’abord pour les artistes indépendants puisqu’ils téléchargeaient leurs mixtapes sans date fixe, sans publicité, avec simplement une page sur un blog ou un tweet et qu’il n’y avait aucune standardisation des dates de sorties. Tout était fait à l’instinct, un des autres facteurs qui donnaient ce sentiment d’authenticité et qui complique une analyse totale des mécaniques de communication de l’époque. Ensuite pour les artistes signés en label, qui respectaient l’ordre de sortie suivant : album à minuit la nuit du lundi au mardi sur itunes et cd disponible le mardi matin chez les revendeurs, avec une probabilité non négligeable que le projet ou du moins une partie soit leak quelques jours avant (leak veut dire qu’il a fuité sur Internet et qu’il est déjà disponible en téléchargement illégal). Le leak, c’était (et ça l’est encore dans une moindre mesure) une des plus grandes lies musicales de l’époque. C’est un terme qui, comme l’indépendance, mériterait aussi un article dédié, et qui est proprement entré dans la culture en impactant la sortie et la distribution d’albums au point d’en faire annuler certains. Un bon exemple est celui de Kendrick Lamar. A cette époque, en 2012 (la fin de la blog era), l’artiste, qui s’est notamment fait découvrir sur les blogs et Datpiff, sort son album Good Kid M.A.A.D. City, alors très attendu à l’époque. Problème, il est leak plusieurs jours avant sa date prévue de sortie. L’artiste va alors répondre à ça en enregistrant et en publiant sur Soundcloud (plateforme de streaming dont nous parlerons après), 3 jours avant la date de sortie, le morceau « The Heart part3 » dont les paroles « Even when my album leak, people stillbuyit for proof » et « Will you let hip-hop die one October 22nd ? » s’inscriront comme une parfaite résonance à cette époque, montrant que même pour un artiste signé en label, le chaos régnait.

La « blog era » était une ère légendaire du rap qui a profondément marqué sa culture, si bien qu’on la sent encore, mais, comme toute ère, elle a un début et une fin. Qu’est ce qui l’a remplacé et y a mis fin ? Nous avions déjà en partie la réponse avant même qu’elle ne commence, et c’est ce que nous allons voir maintenant.

Du chaos naquit l’ordre, les années 2010, le streaming et les Réseaux Sociaux


Nous l’avons vu, le streaming musical ne date pas d’hier et a été “inventé” (du moins sa conception économique comme nous l’avons maintenant) il y’a 20 ans quand Rhapsody, ce qui pour la chronologie d’Internet, remonte au début de l’écriture, est mis en ligne sur le marché. Napster emboîte le pas du logiciel les mois suivants, tandis que l’actuel géant suédois qu’est Spotify arrivera en 2006 et que BlogMusik.net, comme Napster, renaîtra de ses cendres judiciaires pour devenir Deezer en 2007. Pourtant, ce n’est que dans les années 2010 que le format du streaming va véritablement exploser. La question est, pourquoi ? Nous y avons déjà en partie répondu en début d’article. Nous avions expliqué que ce qui avait permis aux blogs de se développer, c’est parce qu’ils étaient à une place qui à l’origine n’attirait pas les labels. C’est là une raison essentielle. Si le streaming n’a pas explosé dans les années 2000, c’est parce que les labels ne croyaient pas en l’avenir de cette technologie, ou plutôt, ne voulaient pas y croire. En effet, durant les années 90, c’était l’âge d’or du CD, et par extension, de l’album. Et qu’est-ce qu’un album ? C’est évidemment un format plutôt long qui est bien souvent bâti avec une logique de production et pour l’artiste l’envie de raconter quelque chose d’impossible à faire en une seule chanson. Pour un label, la vision est moins artistique qu’économique. Pour un label, un album, c’est un moyen de vendre 10 titres à un auditeur ne voulant en écouter qu’un. C’est cette poule aux œufs d’or, alors matérialisée par le compact disc, que les labels vont défendre tant bien que mal pendant toute une décennie. Ce format va cependant lentement, mais inexorablement, abdiquer face à l’invention qui a « libéré la musique » (terme du Livre How Music got Free de Stephen Witt qui revient sur ce thème), à savoir Internet. Voyons maintenant comment le streaming a modifié l’ensemble de l’industrie musicale avant de voir son impact plus spécifique sur l’indépendance.


Le streaming, tsunami dans l’écosystème musical, l’ère de l’accès à la demande


Du chaos amené par le trou noir qu’est le web en aspirant toute création et en les diffusant sur des blogs, des sites peu sécurisés et des logiciels malveillants, un ordre va petit à petit émerger. Le premier article de cet ordre du monde mainstream de la musique, c’est l’apparition du magasin de fichiers du géant à la pomme, l’Itunes Store. Alors que l’idée d’un accès en illimité à la quasi intégralité de la musique mondiale n’égayait pas encore les majors, ils ont accepté l’idée de dématérialiser leur CD pour le vendre en téléchargement légal. Et pas chez n’importe qui, chez Apple, alors très large leader du baladeur mp3 et des smartphones. Steve Jobs résume très bien la pensée de l’époque dans une interview donnée à Esquire : « Nous pensons que 80% des gens qui téléchargent de la musique illégalement ne le font pas par plaisir, il n’y a juste pas d’alternatives légales ». Comme nous avons pu le voir rapidement avec l’exemple de Kendrick Lamar, Itunes va devenir, au fil du temps et pendant une certaine période, une variante indispensable de toute stratégie de distribution, puisque ce sera le premier « endroit » où l’album sera disponible. Surtout, à l’inverse des sorties chaotiques sur les blogs et autres Datpiff, la distribution de l’album sur cette plateforme permet de générer de l’argent. Ainsi, en 2013, elle génère un record de 3.9 milliards de dollars et représente 63% des parts de marché en musique, selon NPD. Après cette année, la plateforme a cependant vu ses chiffres constamment diminuer avant d’être abandonnée, au profit d’Apple Music.


Les chiffres de constante baisse d’Itunes coïncident avec d’autres chiffres qui eux sont en hausse constante : ceux des plateformes de streaming. En effet, les labels, après avoir bataillé de longues années, ont finalement compris qu’il était inutile de faire face au Web, et qu’il valait mieux l’utiliser et le voir comme une opportunité. D’après une étude de la SNEP, les ventes numériques ont fait jeu égal puis surpassé les ventes physiques. Même après, le numérique a continué de prendre des parts de marché et comptait pour les ¾ du chiffre d’affaires dans l’hexagone. C’est donc le marché dans son ensemble qui s’est vu drainé dans cette pratique, mais qu’en est-il de nos artistes indépendants ?


Selon une étude de l’Université de Miami intitulée “The Streaming Revolution:Disrupting the Music Industry“, les plateformes de streaming ont permis aux artistes indépendants de se passer des services traditionnels des maisons de disques en leur offrant des moyens de promouvoir et de distribuer leur musique directement aux consommateurs. Cela a entraîné une augmentation de la diversité musicale et une réduction des barrières à l’entrée pour les artistes indépendants, permettant à de nouveaux talents de se faire connaître et de se développer.
En outre, les plateformes de streaming ont également permis aux artistes indépendants de gagner de l’argent à partir de leur musique en leur offrant des modèles de revenus alternatifs tels que les abonnements, les publicités et les achats à l’unité. Selon une étude de la RIAA (Recording Industry Association of America) en 2020, les revenus générés par les services de streaming ont représenté plus de 80 % des revenus totaux de l’industrie de la musique aux États-Unis. Cela montre que les plateformes de streaming ont joué un rôle clé dans la création de revenus pour les artistes indépendants qui ne disposaient pas auparavant de ces sources-la.


Tout n’est cependant pas rose pour l’indépendance. Appuyons-nous sur une théorie datant de 2004 pour l’illustrer. Cette théorie, c’est celle de la longue traîne de Chris Anderson, qui stipule que dans un environnement en ligne qui n’a pas de taille limite, toute chanson (ou film, livre, etc.) est vouée à être écoutée au moins une fois, chose normalement impossible dans le monde physique. Ainsi, tous ces produits à faible demande (ici les morceaux, albums des indépendants) et à faible volume de vente, pourraient collectivement représenter une part de marché égale ou plus importante que les best sellers si les canaux de diffusion et de distribution permettent de les découvrir. Est-ce que cette théorie s’applique pour le monde de la musique et du streaming ? La réponse est évidemment… Non. Cela peut paraître étrange à première vue, mais en 2020, le New York Times rapportait que le top 1% des artistes les plus écoutés sur Spotify représentait 90% des écoutes. De plus, la rémunération des artistes est très disparate entre les différentes plateformes.


Ces 3 derniers paragraphes peuvent sembler très contradictoires, mais en fait, ce qu’il faut garder à l’esprit c’est que les artistes indépendants, d’une part, ne cherchent pas forcément à atteindre des sommets en termes de nombre d’écoutes et qu’ils se positionnent plutôt sur des marchés de niche écoutés seulement par un nombre restreint de personnes (un groupe qui, on le rappelle, serait encore plus restreint si il n’y avait pas Internet pour l’aider à former des communautés). D’autre part, le streaming n’est qu’une partie des revenus des artistes, et leurs rentrées d’argent se font par de nombreux flux plus ou moins importants, tels que les concerts, le merchandising mais aussi la vente physique de CD et vinyles, ainsi que la vente en téléchargement légal sur des plateformes dédiées. Et enfin, ces artistes indépendants, qui à terme sont évidemment présents sur les plateformes de streaming traditionnelles, on les retrouve tout d’abord sur les plateformes suivantes.


Soundcloud et Bandcamp, le paradis du digging


Nouvelle sous-partie, et nouveau terme sans doute obscur pour ceux qui ne sont pas habitués à ce milieu. Traduit de l’anglais, un digger est un « creuseur » et correspondait, au temps de la ruée vers l’or, à des personnes creusant inlassablement jusqu’à l’obtention du précieux métal. Remplacez maintenant ce minerai par la musique, et vous avez la définition actuelle : celle d’une personne fouillant Internet pour trouver une perle rare, un artiste indépendant n’attendant qu’un peu d’exposition pour faire rayonner son art. Ce terme s’est largement démocratisé ces dernières années, et nous pouvons dire que ces diggers sont les auditeurs principaux des artistes indépendants. Nous pouvons aussi dire que cette pratique a su se démocratiser car le web 2.0 a permis aux internautes de devenir acteurs de ce milieu puisque ce n’est plus forcément l’artiste qui vient à eux, mais bien eux qui cherchent l’artiste. La question est, ont-ils des sites, des plateformes favorites ? Nous avions déjà vu que durant la décennie précédente et le début de celle-ci, les blogs et Datpiff étaient les mines providentielles. Mais ces mines ont fini par s’essouffler, et ces explorateurs 2.0 ont migré vers d’autres sentiers, à savoir Soundcloud et Bandcamp.


Fondé en 2007 en Allemagne, Soundcloud est une plateforme de distribution musicale en tous genres en ligne. Soundcloud a joué un rôle clé dans le développement des courants indépendants dans le rap en offrant une plateforme simple et accessible aux artistes pour partager leur musique. Cela a permis aux artistes indépendants de contourner les barrières traditionnelles à l’entrée dans l’industrie de la musique, comme les exigences de distribution et de promotion de l’industrie. Un des avantages de Soundcloud par rapport aux autres plateformes de partage de musique était sa facilité d’utilisation et sa flexibilité. Les artistes pouvaient facilement télécharger leur musique sur la plateforme, y inclure des tags et des descriptions, et partager leurs morceaux sur différents réseaux sociaux. En outre, les utilisateurs pouvaient intégrer facilement les morceaux de Soundcloud sur leur propre site web ou blog. Cette facilité d’utilisation a permis aux artistes indépendants de créer une présence en ligne et de construire une fanbase. Les artistes ont pu utiliser Soundcloud pour diffuser leur musique à un public plus large et pour obtenir des commentaires et des retours de la part de leur public cible. En outre, Soundcloud a permis aux artistes de créer des communautés en ligne autour de leur musique. Les utilisateurs pouvaient suivre des artistes, laisser des commentaires et partager des morceaux avec leurs amis. Cela a permis aux artistes de construire des relations avec leurs auditeurs et de stimuler la découverte de leur musique par des auditeurs potentiels. Il est important de noter que Soundcloud a également joué un rôle clé dans le développement de différents courants musicaux comme le cloud rap ou la wave. Ce sont des courants qui ont émergé sur la plateforme et ont vu leurs artistes se faire repérer par les maisons de disques. Ces courants n’auraient sans doute pas pu émerger sur des plateformes telles que Spotify à cause des barrières et finalement, ce qu’a permis Soundcloud pour ces artistes, c’est une plateforme accueillant tout type de genre, tout type de musique et ne bridant pas leur créativité.


L’autre plateforme majeure utilisée par ces artistes fut Bandcamp. C’est une plateforme en ligne qui permet aux artistes indépendants de vendre leurs créations musicales directement à leurs fans. Elle a été créée en 2007 et se distingue des autres plateformes de streaming en se concentrant sur les artistes indépendants et en leur offrant une plus grande flexibilité pour vendre et distribuer leur musique. Bandcamp permet aux artistes de télécharger leur musique sur la plateforme sous forme de fichiers numériques, mais aussi de vendre des formats physiques tels que des CDs et des vinyles. Les artistes peuvent également utiliser la plateforme pour vendre des articles dérivés tels que des t-shirts et des posters. Ce qui distingue vraiment Bandcamp des autres plateformes de streaming, c’est sa politique de revenus. En effet, elle permet aux artistes de définir leurs propres prix pour leurs créations, et ils conservent la majeure partie des revenus générés par les ventes. Il y a aussi une option de “nameyourprice” ou de “payer ce que vous voulez” pour les utilisateurs qui permettent de télécharger leurs créations gratuitement. De plus, elle offre également des outils de marketing pour les artistes indépendants pour les aider à promouvoir leur musique. Les artistes peuvent utiliser des outils de marketing tels que des campagnes d’e-mail, des liens de partage sur les réseaux sociaux, et même des widgets pour intégrer leur boutique Bandcamp sur leur propre site web.

Les réseaux sociaux, la continuité des blogs


Selon Pierre Lévy, un réseau social est un système d’acteurs liés par des relations sociales, des liens de communication et des interactions, qui sont à la base de la formation de communautés virtuelles et de la circulation de l’information et des ressources. Ici ce sont les réseaux socio-numériques qui nous intéressent particulièrement et qu’il définit cette fois-ci comme des réseaux sociaux dématérialisés, qui se déploient sur la toile des réseaux de télécommunications et qui sont animés par des usagers connectés aux technologies de l’information et de la communication. Nous pouvons ajouter que ces réseaux sociaux utilisent ces technologies pour permettre aux individus de créer, de partager, de consommer des contenus et d’interagir entre eux. Un blog peut être considéré comme un réseau socio-numérique, mais nous allons ici étudier ceux qui entrent dans la définition d’usage générale, soit les nouveaux réseaux que sont Instagram, Facebook, Twitter et plus récemment TikTok.


Les principaux avantages pour les artistes d’utiliser ces réseaux, c’est l’interaction qu’ils peuvent avoir avec leur public et la facilité de promotion à moindre coût. Dès lors, et selon Emily Gonneau, il est préférable pour ces artistes d’élaborer une stratégie d’image visant une proximité avec leur public et une relation durable : il faut que les fans se sentent investis pour devenir de véritables ambassadeurs (Gonneau, 2016). La communication ne se fait plus dans un seul sens. Les réseaux sociaux, avec le référencement, permettent aussi de mieux cibler leur public. Cela permet, à moindre coût, de créer une stratégie spécifique pour une typologie d’auditeurs que l’on souhaite atteindre. Enfin, des fonctionnalités telles que les story ou les Lives permettent aux fans de se plonger dans l’univers de l’artiste et d’avoir une relation étroite : le concert n’est plus le seul moment où l’auditeur peut parler directement avec son artiste favori.

Qui dit avantages dit aussi inconvénients. Le principal problème auquel les artistes doivent faire face, c’est la temporalité. En effet, dans un monde de partage instantané de l’information, il n’est pas rare pour certains artistes d’avoir une carrière éphémère constituée d’un morceau avant de retomber dans l’oubli, pour être remplacé par un autre. L’autre problème, c’est que l’utilisation des réseaux sociaux peut également entraîner des pressions supplémentaires pour les artistes pour produire constamment du contenu et maintenir une présence en ligne active, qui peut avoir des conséquences négatives sur leur bien-être mental et leur créativité (Albinsson, Pär,2018), et cette proximité est à double tranchant : elle permet de fidéliser sa cible et de la rendre investie, mais elle peut aussi trop le devenir, ce qui peut amener l’artiste à se sentir « étouffé » par ses fans.

A la croisée des mondes, Youtube


A la lecture de cet article, l’on peut remarquer qu’il y a un terme, ou plutôt une plateforme, que je n’ai pas évoquée. C’était volontaire. Plateforme un peu spéciale qui pourrait avoir sa place dans les réseaux sociaux comme les plateformes de streaming, elle est à la croisée des deux mondes et a permis, à elle-seule, une autre « révolution ». Nous allons ici parler de Youtube.


Lancée en 2005 et rachetée en 2006 par Google, la plateforme est aujourd’hui le deuxième site le plus visité au monde. A l’origine principalement utilisée pour regarder des vidéos amateurs, la plateforme de partage de vidéos en ligne a rapidement évolué pour diffuser également des contenus professionnels, dont des clips musicaux. En 2012, sur les 10 vidéos les plus regardées sur Youtube, 9 étaient des clips (Jullier&Péquignot, 2013).


Il est aisé de comprendre l’impact qu’a eu cette plateforme. Quand les plateformes de streaming ont permis un accès illimité et facilité à des musiques, Youtube a permis la même chose pour les clips. Ce ne sont plus les chaînes qui acceptent ou non de diffuser le clip d’un artiste, c’est l’artiste lui-même qui devient sa propre chaîne. C’est encore là un élément majeur pour comprendre cette époque. Il n’est plus soumis au flux télévisuel et aux horaires des programmes. Le clip est posté une fois sur la chaîne et dès lors, il est atteignable par n’importe quel internaute, à n’importe quel moment, où que cette personne soit sur le blog, à condition que cette personne le trouve. Ce mode de diffusion favorise alors la recherche et l’interaction de l’internaute concerné : c’est lui qui décide ce qu’il consomme, où et quand il veut le faire. Il peut, en plus de cela, interagir avec cette vidéo en l’aimant, la commentant ou en la partageant sur ses propres réseaux. Ce format va donc entrer dans une nouvelle ère où il va faire partie intégrante des stratégies de promotion.


Mais qu’est-ce qu’un clip ? Selon la définition de Julien Péquignot et Laurent Jullier, dans leur ouvrage “Le Clip : Histoire et Esthétique”, il n’a pas vraiment une définition d’essence mais plutôt d’usage. Quand nous regardons une vidéo estampillée clip, nous pouvons de suite savoir que c’en est un. On ne peut cependant pas le définir proprement : il n’a pas une durée définie (à quel moment peut-on considérer une vidéo comme courte ?) et on ne peut le définir que par sa visée promotionnelle. Nous pouvons donc dire qu’il a une forme hybride, assimilable (par son statut promotionnel) et dissociable (par sa prétention artistique) au spot publicitaire (Buxton & Kaiser, 2018). Il est un moyen d’expression et de promotion dont l’utilisation reste gratuite. Il permet aussi, avec une direction artistique maîtrisée, de donner plus de sens et de profondeur à l’œuvre d’un artiste, en lui donnant un support visuel de plus.


Enfin, le clip est comptabilisé (depuis 2022) au même titre que s’il était sur Spotify ou Deezer : s’il fait 200 000 vues, c’est comme si il faisait 200 000 stream sur Spotify. C’est une nouvelle règle qui lui donne encore plus d’importance puisqu’il fait maintenant intégralement partie des logiques de streaming.


Nous l’avons dit, Youtube est une plateforme hybride. Elle est en même temps un réseau social et une plateforme de streaming. Pas seulement car les clips font partie intégrante du streaming, mais aussi parce qu’elle a ouvert Youtube music en 2015 (avec une nouvelle version en 2018) qui est une véritable plateforme mise en place pour concurrencer Spotify et Apple Music. Enfin, elle est hybride car toute la fonction vidéo est un véritable réseau social, avec tous les codes des autres. On peut diffuser son propre contenu, on peut s’abonner à des comptes, interagir avec eux, etc. Elle est maintenant le plus grand média au monde pour diffuser tout type de contenu vidéo. Rappelons que le format vidéo est, selon une étude Hubspot de 2020, le format générant le plus d’interactions sur les RS. Et cela, les artistes et les médias (au sens journalistique) l’ont bien compris. C’est ainsi qu’elle est entrée encore d’une autre manière dans les logiques de promotion. C’est ici qu’on retrouve maintenant les interviews vidéo des artistes, des vidéos « backstage » où on entre dans les coulisses d’un concert, ou de la création d’un album, des vidéos récapitulatives des tournées, etc. Le but de ces vidéos, c’est de développer l’image de l’artiste mais aussi et surtout de générer le plus d’interactions possible, comme nous l’avions vu avec les autres réseaux sociaux. En outre, des youtubeurs deviennent véritablement des médias. Ils fédèrent une communauté plus ou moins grande en se spécialisant sur le Hip-Hop. La force qui fait ce que Youtube est devenu, c’est la variété de format qu’elle peut proposer, et ces youtubeurs l’ont bien compris : documentaires, vidéos « premières écoutes » des sorties, vlog concerts, etc.


Il est cependant compliqué pour ces youtubeurs de vivre de leur passion. En cause, les règles très strictes de droit d’auteur qui empêchent toute vidéo ayant un court extrait d’une musique détenue par un label d’être monétisée. C’est souvent pour ces personnes une simple passion, comme l’expliquait Boombarap pour le média MidiMinuit : « Dès le début je savais que ça allait être démonétisé, je me suis lancé en connaissance de cause ».


Youtube est donc devenu un terrain d’expression pour les artistes comme pour les passionnés et les médias, et a permis de grandement développer la couverture vidéo de cet art et de ses acteurs.

Cas du microcosme français


Nous l’avons vu tout au long de l’article, le web 2.0 a permis aux artistes de grandement se développer, et a permis à de nouveaux courants artistiques de se former. Mais nous n’avons pas encore étudié un courant précis. C’est ce que nous allons faire maintenant. Ce que nous allons voir n’a pas réellement un nom défini par les parties prenantes. Il est régulièrement affublé du terme New Gen / new wave. Je préfère personnellement celui que je propose. Du grec micros signifiant petit et kosmos signifiant monde, le microcosme est un groupe restreint de personnes ou une communauté. Pour comprendre pourquoi j’utilise ce terme, donnons un peu de contexte.


Nous sommes à la fin des années 2010 en France. Le rap est maintenant le genre le plus écouté dans l’Hexagone. Il est dans une phase où, riche de tous ses sous genres, il n’a jamais été aussi diversifié. Pourtant, de plus en plus de voix se font entendre pour dire que le rap mainstream serait en plein essoufflement, et les têtes d’affiche ayant un temps apporté un nouveau souffle aurait du mal à se réinventer. Dans un même temps, des artistes se développent, expérimentent, et n’attendent qu’une opportunité d’investir une nouvelle scène apportant avec eux un vent d’air frais. Nous pouvons vraiment dater le début de cette nouvelle ère en 2018 quand deux jeunes rappeurs de 18 ans, Khali et La Fève, postent sur Soundcloud leur premier morceau. Ces deux artistes ne le savent peut-être pas encore, mais ils vont devenir le porte étendard de toute une génération ayant grandi avec Internet. C’est véritablement en 2020, après le début de la pandémie, que ces artistes vont vraiment faire parler d’eux, en amenant avec eux de nombreux autres qui vont tous voir leur carrière décoller. Preuve de l’engouement des passionnés pour cette nouvelle génération, c’est la facilité/rapidité avec laquelle leurs concerts affichent complet, puisqu’il s’agit généralement de quelques jours, voire de quelques heures. Ces artistes ont évidemment attiré l’attention de nombreux labels, et certains sont maintenant signés dans des labels tels que “Jeune à jamais”, structure appartenant à la maison d’édition indépendante Alter K ou encore Sublime, créé par le rappeur Disiz. Ces signatures sont généralement faites dans des labels qui promeuvent une indépendance et une authenticité dans leur action, et qui permettent à leurs artistes de se développer artistiquement tout en gardant ce qui faisait ce pourquoi ils sont devenus des artistes à part.


Ce microcosme n’est cependant pas uniquement composé d’artistes. Ainsi, à cette même période, des nouveaux médias utilisant principalement Twitter et Instagram vont se développer. Ces médias (Raplume, 1863, Alchimist, etc.) étaient bien souvent au départ des projets étudiants (1863 a vu le jour à l’IUT de Besançon) qui provenaient d’une envie de créer son propre média, sans pensée professionnelle. Peu avaient suivi un cursus classique type journalisme ou audiovisuel, et, à la manière des blogs de la décennie précédente, ils ont été créés par des passionnés, pour des passionnés. Ils n’avaient donc pas de formatage, avec un quota de chiffres à faire. Ils se sont développés et ont fleuri en même temps que les artistes dont ils parlaient et travaillaient avec eux. La professionnalisation se fait sur le tas.


La caractéristique principale qui les distingue des autres médias, et qui permet de parler ici de microcosme, c’est la proximité. Que ce soit avec les artistes avec qui ils collaborent régulièrement sur de nombreux formats, les internautes qui consomment ces formats mais aussi, et cela est à mon sens ce qui les différencie vraiment, la proximité entre eux. Ainsi, si vous vous abonnez aux médias et à leurs créateurs sur Twitter, vous verrez qu’ils se suivent tous entre eux et qu’ils discutent quotidiennement et se soutiennent dans leurs projets respectifs. C’est sur twitter, qui est le réseau social permettant le plus de favoriser une proximité et une instantanéité de l’échange, que ces médias se sont le plus développés.


Tout ce mélange de médias, d’artistes, de nano-influenceurs agit comme (et est devenu) une véritable communauté. Et créer une communauté centrée sur un art a sans doute permis à ses acteurs de développer leur créativité. Ces médias, que je qualifierais de multimédias, ne se contentent plus d’articles ou d’interviews. Raplume a ainsi sorti en 2022 un album, “Le soleil se lèvera à l’Ouest”, en collaboration avec de nombreux artistes dont le média partage l’œuvre depuis quelques années. Grünt, acteur historique qui couvre les artistes émergents depuis le début des années 2010, a créé un festival dont la première édition, qui concentrait tous ces artistes de cette génération, a affiché complet en septembre dernier. 1863 a de son côté déjà créé plusieurs albums collaboratifs et est à l’origine d’une tournée qui passera en 2023 dans 6 villes françaises avec comme objectif de faire découvrir de nouveaux artistes à leur public. Ces différents exemples montrent bien que les médias en question ont dépassé le cadre des réseaux sociaux et ont réussi, avec les artistes, à créer une véritable communauté soudée derrière tous ces projets. C’est aussi pour les artistes un excellent moyen de combattre la perte de médiatisation qui arrive pour ceux qui connaissent une carrière éphémère, comme nous l’avons expliqué précédemment.


Comme une preuve de cette créativité sans limite, nous assistons aussi à la réapparition de la presse papier. Grâce à des campagnes de crowdfunding, des médias ont réussi à produire, à commercialiser et à vendre jusqu’à la rupture de stock leur magazine. C’est par exemple le cas de Mosaïque qui a distribué son premier numéro en décembre dernier. C’est ironiquement Internet, qui avait enterré la presse papier il y a quelques années, qui est en train de la faire renaître. La presse est une tendance qu’il faudra surveiller ces prochaines années, et je pense personnellement que ce sont ces médias et ces artistes qui apportent un vent de fraîcheur à cette industrie et à cet art, et qu’il sera intéressant de regarder comment ils vont continuer d’évoluer dans le temps.


Conclusion :


Nous avons pu voir, tout au long de l’article, à quel point Internet et le web 2.0 a bouleversé l’industrie musicale en changeant certains rapports de force et en créant de nouvelles ères qui se sont suivies et ont chacune apporté une pierre à l’édifice qu’est le rap que nous connaissons maintenant. Nous avons vu comment des artistes ont pu faire fi des majors et se développer dans des courants alternatifs, et que la créativité n’a sans doute jamais été autant développée qu’à notre époque.


Nous aurions pu parler encore plus en détail de l’importance de Soundcloud, de Bandcamp et des artistes qui ont marqué cette époque. Nous aurions aussi pu expliquer que si la créativité était sans pareil, c’est aussi car le matériel (hard et software, tutoriels) n’a jamais été aussi accessible pour ces artistes : ils peuvent maintenant avoir un studio d’enregistrement directement dans leur chambre. C’est cette barrière enlevée, ainsi que celles des problématiques de distribution et de promotion, qui ont permis à un grand nombre d’artistes de se lancer et de marquer leur époque.


Finalement, il ne nous reste qu’à regarder le présent et l’avenir, et d’observer quelles vont être les prochaines tendances du monde de la musique, comment elles vont impacter l’émergence de nouveaux artistes et si le web 3.0 va avoir un rôle à jouer dans l’histoire de cet art.



Sources

Webographie


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Fanen S. (2016) Du CD au streaming, courte histoire d’une révolution https://lesjours.fr/obsessions/la-fete-du-stream/ep-1-du-cd-au-streaming/
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Slavitch M. (2022) Booska-P, Grünt, Raplume… Bienvenue dans la famille des médias rap https://larevuedesmedias.ina.fr/rap-medias-booska-p-grunt-raplume-reseaux-sociaux-nouveaux-formats-independance-pack-promos
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Bibliographie


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Albinsson, Pär, et al. 2018, The Dark Side of Social Media in the Music Industry: A Study of Stress and Burnout Among Music Professionals, International Journal of Environmental Research and Public Health, vol. 15, n° 12

S. Noël, A. Pinto, O. Alexandre (2017) Culture et (in)dépendance. Les enjeux de l’indépendance dans les industries culturelles