Que ce soit par sa bonne fréquentation, ou ses très beaux festivals, le cinéma en France ne cesse de faire rêver ses spectateurs. Mais lorsque l’on parle de la fréquentation, il est intéressant de s’interroger sur les différents modes de consommation du public. Leurs goûts personnels les portent-ils vers certains genres, ou se laissent-ils guider par d’autres facteurs ?

Encore une fois, l’année 2022 s’est terminée avec de très beaux films en France. Certains attendus : Avatar La Voie de l’Eau, The Batman, ou d’autres qui l’étaient moins mais qui ont quand même été un grand succès : Simone, Le Voyage d’un Siècle, Maison de Retraite. Avec 152 millions d’entrées dans les cinémas pour cette première année complète d’ouverture après la pandémie, les spectateurs ont profité des salles obscures pour y découvrir de nouveaux visages. Ils ont partagé les joies et les peines de nouveaux personnages. La palme du cinéma le plus fréquenté au monde est également revenue à la France avec l’UGC Ciné Cité Les Halles à Paris qui a accueilli 2,2 millions de spectateurs en 2022. 

Parmi les plus gros succès de cette année, nous retrouvons les suites de certains classiques comme le retour de Top Gun avec Maverick, deuxième film le plus vu en France en 2022. Si la fréquentation n’a pas retrouvé son pic d’avant-covid, elle a été très largement supérieure en cette fin d’année avec la sortie du deuxième opus d’Avatar fin décembre, le plaçant en meilleur démarrage mais aussi en tant que film le plus vu de l’année avec 7,6 millions d’entrées en seulement 18 jours.

Au-delà d’être à nouveau profitable pour les cinémas, l’année 2022 s’est également démarquée par la mise en avant des productions françaises. Un phénomène derrière lequel se cachent deux facteurs concordants : l’offre réduite de films américains (69 films sortis en 2022), mais également l’offre généreuse de films français. De très belles productions engagées ont envahi les salles obscures. Que ce soit l’impactant Novembre de Cédric Jimenez ou la majestueuse Mascarade de Nicolas Bedos, les films français ont encore une fois transporté leur public.

The Batman, Mat Reeves,
Top Gun : Maverick, Joseph Konsinsky,
Avatar : La Voie de l’Eau, James Cameron

Les cinéphiles et autres curieux n’ont pas dérogé à leurs habitudes : les catégories les plus appréciées étaient encore une fois les comédies et les drames en 2022. Les films d’action ont aussi été très prisés par les spectateurs.

Ces trois genres cinématographiques font, en effet, partie des préférés des français, suivis des thrillers et des films d’animation. Comme le prouve un questionnaire réalisé sur un échantillon de 56 personnes, la catégorie du film est le premier facteur qui guide le choix du spectateur quand il décide d’aller au cinéma. Toujours dans cette même enquête, on observe que les films les plus vus par cet échantillon en fin d’année 2022 sont Black Panther : Wakanda Forever de Ryan Coogler, Mascarade de Nicolas Bedos, et Simone : Le Voyage du Siècle d’Olivier Dahan. Ces trois long-métrages rentrent dans les catégories les plus visionnées, car elles sont respectivement un film d’action, une comédie dramatique, et un drame historique. 

On peut se demander ce qui fait la notoriété de ces films, si les spectateurs y vont pour l’image de grosse production ou si c’est un manque de communication autour des autres catégories.

Nous laisserons volontairement de côté d’autres facteurs qui nous semblent secondaires au regard de notre question : la présence de stars, la convivialité d’une sortie entre amis ou en famille etc… 

Dans Sous le cinéma, la communication, François Jost nous dit que “pour que l’illusion fonctionne, le spectateur doit s’identifier anthropologiquement à l’acteur à l’écran”. Si cela s’apparente surtout à une identification imaginaire désormais, avec l’aspect abstrait de certains personnages (des civilisations utopiques, des personnages poussés aux extrêmes de leurs comportements), ce point de vue reste cependant intéressant. Il prouve que les films qui représentent les situations simples de la vie, des faits ou personnages qui sont susceptibles d’identification par le spectateur sont privilégiés par le public.

Selon James Gray, réalisateur de The Lost City of Z (2016) ou Armageddon Time (2022), l’impact potentiel du film est essentiel dans le choix du sujet pour un réalisateur. La plupart du temps, la portée première de l’esprit d’un réalisateur est de transmettre des émotions singulières et de communiquer ou traduire directement ses émotions intérieures. James Gray a confié lors de sa masterclass que « les films sont des rêves, et pas toujours de bons rêves (…) Ce n’est pas par la forme verbale mais par la sensualité que j’essaye de transmettre l’émotion du rêve ».

James Gray lors de sa masterclass au Festival Lumière le 16 octobre 2022
 Crédit photo : MLyon

D’un autre point de vue, il existe des réalisateurs qui souhaitent transmettre ce qu’ils ont ressenti pendant la lecture d’un livre. C’est pour cela que les adaptations cinématographiques se multiplient au fil des années. Que ce soient des romans, des comics, des bandes dessinées, les déclinaisons sont nombreuses. Cela permet au réalisateur de fonctionner complètement en fonction de ses envies, puisque ce sera toujours lui qui aura le dernier mot, malgré un veto possible de l’écrivain ou de son éditeur.

Cependant, une adaptation d’œuvre littéraire n’est pas obligatoirement bien perçue des spectateurs. Il y a souvent une vision des lecteurs puristes qui pourrait être rejetée si l’œuvre cinématographie diffère trop de sa version littéraire. 

Venons-en aussi à penser aux long-métrages les plus chers au box-office. Appartiennent-ils à ces catégories si prisées des spectateurs ?

En effet, la plupart d’entre eux sont des films d’action, comme le premier volet d’Avatar ou encore les deux Pirates des Caraïbes dans le top 10 d’actu.fr. Les deux intrus de ce classement sont Titanic, qui reste dans la catégorie drames, une de celles préférées des spectateurs. Un drame, Raiponce est le film d’animation Disney qui a coûté le plus cher au niveau de sa production.

On peut s’interroger sur les raisons qui poussent les réalisateurs à engager un si gros budget sur un film d’animation. Ce genre cinématographique ne fait pas partie des catégories préférées des spectateurs, même s’ils sont très prisés chez un plus jeune public. 

Si certains films sont davantage mis en avant par les distributeurs ou les programmateurs, qu’en est-il de ceux qui ont une notoriété plus faible, comment sont-ils sélectionnés ?

Tout d’abord, il faut distinguer les cinémas indépendants des cinémas appartenant à une chaîne (Gaumont Pathé, UGC, CGR, Kinépolis, …). En effet, les cinémas indépendants ont, dès le départ, une fréquentation différente de par leur catalogue de films. Ils ont tendance à davantage axer le modèle économique sur des avant-premières, et des expériences, plutôt que le simple visionnage d’un film. 

Nous avons posé cette question à Pierre Triollier, chargé de développement au sein du Pôle Pixel, à Villeurbanne. Le pôle Pixel est un parc d’activités pour créations audiovisuelles, allant des films aux documentaires, des jeux-vidéos aux publicités. Il dispose également d’espaces de coworking. 

Tout d’abord, à l’échelle du pôle Pixel, les projets sélectionnés sont très diversifiés. Pierre nous apprend qu’il n’y a pas de limite et qu’un projet rémunérateur et un projet d’une entreprise émergente peuvent tous deux être sélectionnés. L’un contrebalance l’autre et le but est de permettre à chacun de développer ses idées dans les meilleures conditions. Le parc d’activités a donc récemment accueilli aussi bien un Théâtre Nouvelle Génération qu’un cirque pour quelques représentations. Bien que l’essentiel reste la production audiovisuelle, “le pari est de faire vivre les studios en diversifiant les usages”.

Tout le travail de notoriété revient donc à la société de distribution, qui, à travers la bande annonce ou encore la mise en avant via des avant-premières va présenter le projet sous l’angle qu’elle trouvera le plus rentable. C’est l’exemple utilisé par Pierre avec Astérix et Obélix, L’Empire du Milieu : la société de distribution met en avant, à travers toute la communication, les nombreuses stars qui font partie du casting, en se concentrant davantage sur elles plutôt que sur l’histoire même du film. La bande-annonce de ce long métrage le prouve. C’est pour cela, qu’un film comme celui-ci fait l’objet de seulement deux avant-premières, car la portée du film en salles est déjà connue grâce à la communication axée sur les stars.

De plus, un film comme Astérix et Obélix sera également mis en avant dans des campagnes d’affichage avec les stars en premier plan. C’est l’exemple du film Babylon (2023) de Damien Chazelle. La campagne d’affichage illustre les deux acteurs principaux, Margot Robbie et Brad Pitt, là où d’autres distributeurs se contentent de communiquer sur l’affiche générale du film, ou sur son histoire.

En revanche, pour un film d’auteur, cette théorie sera plus compliquée à envisager. C’est pourquoi il faudra organiser plus d’avant-premières dans des cinémas indépendants pour permettre de présenter le film et faire fonctionner le bouche-à-oreille. 

Les festivals de cinéma sont également des lieux où les réalisateurs vont pouvoir présenter leur film et trouver leur société de distribution. Certaines seront plus enclines à travailler avec des projets qui se tournent vers le grand-public que vers des projets indépendants car elles savent que ceux-ci vont bien fonctionner en salles. Les films indépendants auront donc plus de mal à se trouver un public si, à la base, les distributeurs sont moins attirés par le projet faute de savoir si le film fonctionnera au cinéma.

Heureusement, le cinéma français permet à travers le CNC d’obtenir des subventions qui permettront aux créateurs émergents de faire connaître leur travail. Contrairement aux États-Unis, où tout fonctionne avec des entreprises privées qui décident d’accompagner le cinéma indépendant seulement si elles ont les moyens. 

En 2022, de nouveaux enjeux sont entrés dans le marketing du film, avec la mise en avant via les réseaux sociaux de certains long-métrages qui sont reconnus par les fans autrement que par le bouche-à-oreille ou les critiques. Cela peut avoir un impact positif, mais aussi négatif. Ces nouveaux médias disposent de moins de règles éditoriales et rendent les cinéastes à la merci de leur public. Cette publicité n’est pas choisie, un influenceur peut par exemple exprimer son avis sur un film simplement pour en informer sa communauté, sans passer par la case « sponsorisation ». Cela entraîne des avis plus francs, mais aussi plus directs. Ils permettent moins de réflexion et une réaction immédiate d’un internaute qui décidera via l’avis d’une personne qu’il respecte d’aller ou non voir un film. 

Les réseaux sociaux ont tout de même leurs limites selon Pierre Triollier. Un film en VOD ou sur un service de streaming en ligne pourra directement être lancé depuis un réseau social. En revanche, une publicité pour une nouvelle sortie cinéma engendrera un déplacement et un coût supplémentaire. Les utilisateurs peuvent préférer la simplicité en regardant directement un film depuis leur canapé sans se déplacer jusque dans une salle obscure.

Le spectre cinématographique actuel est donc accentué sur les films qui seront plus à destination du grand public. Mais prenons un peu de recul en regardant quels films sont devenus “culte”. 

Inglorious Basterds, La Haine, Avatar, Fight Club, Bohemian Rhapsody…

Tous ces films ont un thème différent, appartiennent à un genre cinématographique distinct, ont été réalisés à une époque différente, mais ils ont tous un point commun : ils sont qualifiés de films culte. Mais c’est quoi, un film culte ?

La question a été posée à plusieurs amateurs de cinéma dans une enquête. Elle a été réalisée auprès de 50 cinéphiles entre 19 et 60 ans. Les réponses les plus courantes concernaient les répliques, la critique, l’intemporalité, le jeu des acteurs ou encore l’intrigue.  Toutes ces propositions montrent qu’il n’y a pas de réelle définition d’un film culte mais simplement l’impact qu’il aura sur ses spectateurs ainsi que sur les critiques.

Malgré une définition floue, certains auteurs ont décidé de s’attaquer à ce sujet afin d’en déterminer les facteurs. C’est le cas d’Umberto Eco, célèbre écrivain et chercheur italien, qui, dans un article, a cherché à définir le terme culte via une analyse du film Casablanca de Michael Curtiz sorti en 1947. Il en a conclu que les films culte sont en fin de compte ceux qui réunissent plusieurs caractéristiques stylistiques.

Tout d’abord, il s’agit des films contenant le plus de références annexes. Que ce soit des citations, une bande originale, des allusions… Plus le film en contient, plus forte sera sa réception auprès du public, qui se sentira touché personnellement car il pourra se reconnaître à travers telle ou telle intrigue.

Il définit également un film culte par “l’incarnation d’un univers culturel via une synthèse du genre”. L’œuvre culte naît ainsi longtemps après les initiateurs du même genre. Nous pouvons par exemple citer Tarantino, qui rend hommage à travers ses long-métrages tant aux films de Kung fu japonais des années 70 qu’au cinéma gore italien des années 60. La franchise Star Wars de George Lucas est, elle aussi, remplie de références aux films japonais, serial et pulp des années 30. Malgré ses nombreuses inspirations – The Hidden Fortress (1958) de Kurosawa ou encore Lawrence of Arabia (1962) de David Lean –, Star Wars reste une série de films beaucoup plus connue que toutes ses influences.

La théorie d’Umberto Eco comporte cependant quelques facettes que l’on peut remettre en question. En effet, ce sont les pratiques des fans qui peuvent rendre un film célèbre. C’est le cas du Rocky Horror Picture Show : ce film ayant été reproduit de nombreuses fois en spectacle par ses fans, depuis sa sortie en 1975 jusqu’à aujourd’hui, comme fin octobre 2022 à Lyon. Cela prouve que ce sont parfois les fans qui créent le culte autour de l’œuvre. Le film serait-il autant regardé encore aujourd’hui si personne n’avait créé de spectacle à son sujet ?

Les sociologues, quant à eux, donnent une définition de l’œuvre culte qui ne passe pas seulement par le contenu de cet objet culturel. Philippe Le Guern, chercheur français, l’a démontré dans un article de 2015 : Les cultes médiatiques : culture fan et œuvre culte. Selon cet article, il n’y a pas d’œuvre culte, mais seulement un culte des œuvres.

Toute la définition d’un film culte provient du point de vue de son public. Une œuvre culte est définie selon un groupe d’individus qui apprécie une œuvre non seulement pour sa beauté ou son harmonie, mais avec ses valeurs identitaires fortes. Ainsi, cette œuvre est susceptible de rassembler des groupes d’individus autour d’un sujet commun, soit car ils sont de la même génération, qu’ils appartiennent à un groupe social particulier, ou qu’ils connaissent tous les liens qui les réunissent à ce film. Aussi, la manifestation de ce culte est décryptée à travers des pratiques communes ou des connaissances communes (visionnage en groupe, costumes, collections…).

Cette nouvelle définition plus récente est ainsi mise en avant par la pop-culture, et suppose que les films culte aident à se construire individuellement et en tant que groupe.

Pendant notre entrevue, Pierre Triollier nous a, lui aussi, donné sa propre définition, qui concerne cette-fois plus l’impact de la production du film que son impact sur la société. En effet, selon lui un film culte est un film dans lequel une scène sera par la suite réutilisée par plusieurs réalisateurs en utilisant les mêmes plans, la même mise en scène, et elle deviendra incontournable. Cela veut dire qu’“objectivement, les films qui seront tournés après ce film-là prendront en compte une particularité, cela voudra dire que le film a influencé d’autres réalisateurs”.  L’exemple indiqué concernait le film Psychose d’Alfred Hitchcock. Dans ce film, la scène où l’actrice Janet Leigh se fait assassiner sous la douche est une scène qui marquera l’histoire du cinéma et sera réutilisée dans de nombreuses autres réalisations par la suite.  

Le cinéma gagnerait donc en ouverture en proposant à plus de jeunes projets d’apporter leur pierre à l’édifice afin de permettre un renouvellement et pourquoi pas une fréquentation plus diversifiée dans les salles obscures en France. 

Tout cela passe évidemment par différents acteurs de cette industrie qui pourraient modifier leur façon de communiquer autour du film via les bandes annonces, les avant-premières, les distributeurs…

Il faut en conclure que les spectateurs ne sont pas seulement attirés consciemment au cinéma, en choisissant tel ou tel film. C’est aussi une question de communication autour de ceux-ci, et de mise en avant. Aujourd’hui, de nouveaux moyens et outils changent la fréquentation mais aussi l’accueil des films dans chaque cinéma. La publicité via les réseaux sociaux peut faire découvrir de nouveaux films, mais peut aussi promouvoir les plateformes de streaming qui seront moins contraignantes pour les utilisateurs. Évidemment, chacun a sa propre culture cinématographique et sa propre cinéphilie, qu’il s’agisse de films peu exposés ou de grands blockbusters. 

Sources :

INTERVIEW

  • Pierre Triollier. 6 janvier 2023. Chargé de développement au Pôle Pixel, Villeurbanne.

MASTERCLASS

  • James Gray. Masterclass au Festival Lumière 2022. 15 au 23 octobre 2022.

ARTICLES DE PRESSE

INSTAGRAM

FORUM

OUVRAGES

  • François Jost, 2014, Sous le cinéma, la communication. VRIN.

ENQUÊTE

  • Enquête réalisée auprès de 50 personnes agées de 19 à 60 ans afin de connaître leurs habitudes au cinéma, ainsi que leur définition d’un film culte.