Depuis près d’un an, la pandémie mondiale due à la COVID 19 a frappé l’industrie de la mode. De nombreux secteurs d’activités ont été fortement impactés mais l’événementiel tout particulièrement. Il faut savoir qu’avant cette crise, le déroulement de la semaine de la mode n’avait jamais été remis en cause. Ainsi nous pouvons nous demander : Comment la Fashion Week a-t-elle poussé les grandes maisons du luxe à se réinventer ?

Alors que les griffes du luxe évoluaient peu à peu dans l’ère du digital, elles ne pouvaient s’imaginer devoir devenir expertes du jour au lendemain. La situation inédite engendrée par cette crise du COVID 19 ne leur a pas laissé d’autres choix que de s’éloigner des rituels du passé et d’explorer de nouveaux formats. Durant des mois, les marques ont dû réfléchir afin de redéfinir leurs stratégies de communication et de marketing, une accélération au changement, dans un cadre qui semblait pourtant jusqu’alors figé…

Une adaptation en un temps record

Les maisons se sont adaptées afin de présenter différemment leur nouvelle collection printemps-été 2021. En mars dernier, la Fédération de la Mode et de la Haute Couture s’est retrouvée « au pied du mur », le prochain événement de Haute Couture et la Fashion Week masculine ne pouvant avoir lieu sous leur forme présentielle habituelle. Au final, les événements ont été maintenus en digital comme à Londres et Milan, avec un fort investissement pour des défilés de quelques minutes parfois. Rappelons qu’un évènement digital est une expérience en ligne utilisant des outils digitaux tels qu’une plateforme en ligne. La Fédération a restructuré son site internet afin de proposer des défilés en direct accessibles à un nombre important de téléspectateurs. Pour conserver la magie de leur défilé, les maisons de luxe ont dû faire preuve d’une grande capacité d’organisation et redoubler d’ingéniosité car capter l’attention sur les outils digitaux demande une grande maîtrise. Elles n’ont donc eu d’autres choix que de revoir toute leur organisation et stratégie pour réussir leurs temps forts.

Que ce soient les défilés de Haute Couture du 6 au 8 juillet ou ceux pour la Fashion Week masculine à partir du 9 juillet 2020, la plupart des maisons ont présenté leur collection printemps/été 2021 par le biais de films et vidéos. Certaines ont été à l’heure alors que d’autres ont décidé de retarder la présentation ou s’abstenir. Les teasers ont été l’une des solutions pour retarder la présentation des collections au mois de septembre. Nombreuses sont les maisons qui nous ont surpris alors que l’on sortait d’un confinement strict en France durant lequel la plupart des équipes ne se sont même pas vues. Ces mesures sanitaires ont poussé les maisons à créer, réinventer et se surpasser pour offrir des défilés qui n’auraient jamais pu être imaginés avant la crise pandémique. Chez Gucci, pendant près de 12 heures ce ne sont pas des mannequins professionnels qui ont défilé mais bien les membres de l’équipe créative. Au milieu des ruines antiques, Christian Dior nous a quant à lui offert du cinéma surréaliste. Entre la cinématographie, les technologies et techniques digitales utilisées, Ermenegildo Zegna a été l’un des seuls à utiliser le phygital, rencontre entre les techniques marketing du commerce digital et du commerce physique. JW Anderson, directeur artistique de Loewe, a décidé d’amener une émotion nouvelle en présentant sa collection d’une manière plus que surprenante, dans une boîte. Pour la première fois, le principe était de faire participer le public en le faisant jouer lui-même avec son imagination à travers un livre interactif, créant son propre « show in a box ». Enfin, certaines marques comme Santoni et Tod’s ont choisi de tourner leur vidéo au sein même de leur région d’origine afin de rappeler leur ADN.

On ne peut parler de l’adaptation des maisons de couture sans parler du talentueux Jacquemus. Quelques jours après la Fashion Week masculine, le jeune créateur a fait sensation en étant le premier à réaliser un défilé en physique avec 110 invités en France, au milieu d’un champ en région parisienne. Il a tout d’abord interpellé le public en évoquant qu’un « vrai » show aurait lieu dans un lieu secret sur Instagram. Les invités ont été au courant de la destination seulement lorsqu’ils sont montés dans leurs taxis pour les conduire à une véritable expérience sensorielle et spirituelle. « En tant qu’indépendant on ne peut pas se permettre de rater une Fashion Week, c’est au cœur de notre stratégie » explique le créateur (1). Selon lui, il était impensable de ne pas défiler, ses collections ont besoin de vivre et les centaines de milliers de vues lui ont prouvé qu’il avait raison.

Lors de la Paris Fashion Week de septembre, le besoin d’émotions est trop fort !

Même si on souligne l’adaptation dont les grandes griffes de luxe ont fait preuve lors des défilés du mois de juillet, vivre cet événement à travers un écran a enlevé de son charme pour les spectateurs. Alors lorsqu’il a fallu penser à la Fashion Week printemps/été de septembre, les maisons de luxe se sont réinventées une nouvelle fois. Le phygital a donc été la seconde alternative choisie par certaines maisons de couture pour ne pas manquer leur incontournable représentation.

Entre le 28 septembre et le 6 octobre 2020, les maisons de couture ont donc redoublé encore une fois d’ingéniosité. Pas moins de dix-huit maisons ont choisi de présenter un véritable défilé en phygital contre quarante-cinq qui ont conservé l’option digitale. Pendant la semaine de la mode, elles ont opté pour de grands espaces symboliques dans la capitale française. Balmain choisit le jardin des plantes en réunissant le réel et le digital, avec un premier rang remplacé par de grands écrans avec des célébrités à distance comme Jennifer Lopez. De son côté, Dior a investi avec des chanteurs le mythique jardin des Tuileries et Isabel Marant a souhaité partager un moment de fête dans les jardins du Palais Royal. D’autres ont préféré évoluer dans un espace intérieur comme Chanel au Grand Palais, Louis Vuitton au cœur de la Samaritaine mêlant sensation et haute technologie. Durant ces représentations, beaucoup ont pris la décision d’inviter du public en respectant les mesures sanitaires de manière stricte. Pour ces invités privilégiés, que l’on a appelé les « Happy Few », les invitations étaient envoyées en physique. Les maisons ont principalement présenté leurs collections sous format vidéo que ce soit en direct, en vidéo pré-enregistrée ou en phygital lors de défilés à huit clos.

Une communication digitale essentielle à la survie des Fashion Weeks

Depuis la digitalisation de ces représentations, de nombreux aspects ont changé dans la stratégie de communication. Une fois leur défilé mis en place, l’enjeu pour les griffes du luxe est d’arriver à mobiliser leur communauté car il est important d’avoir un impact médiatique à la hauteur des enjeux de la marque.

Les maisons ont décidé d’orienter leur discours vers leur identité et leurs valeurs.  Avant la pandémie, le show correspondait plus à une expérience éphémère mais désormais l’objectif est de la pérenniser dans le temps. La Fashion Week est devenue un événement omni-canal en étant à la fois physique, digital et instagrammable. 

Aujourd’hui, la stratégie de communication autour des semaines de la mode est axée sur les médias digitaux. Lors des dernières Fashion Weeks les défilés ont été rediffusés sur une plateforme numérique, une chaîne de télévision éphémère et les réseaux sociaux. La chaîne TV, Paris Fashion a été créée pour l’occasion par Canal+ et la Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Pour cela la Fédération a travaillé avec Lauchmetrics, entreprise technologique spécialisée en innovation digitale. À la seconde près, chaque marque dévoilait son show en offrant la possibilité de le regarder autant de fois qu’on le souhaite avec des interviews, concerts et tables rondes. Pour les professionnels, un espace était prévu avec des lookbooks vidéos, photos, communiqués de presse et showrooms visuels. La presse digitale, tel que le magazine The New York Times a publié des vidéos de l’événement sur son site internet. Un magazine regroupant les interviews, les making-off, les zooms et idées des marques a été réalisé par l’Institut Français de la mode. De plus, un showroom digital « Sphère » créé par la Fédération a soutenu les jeunes créateurs en offrant une nouvelle manière de visualisation.

De leur côté, les réseaux sociaux deviennent de réels canaux de diffusion. Pour s’assurer d’une ampleur internationale, des partenariats avec Instagram, Facebook et Youtube ont été mis en place.

Comprenant l’enjeu et son importance au sein de la Fashion Week, Instagram s’est adapté en offrant de nombreux outils digitaux aux marques afin d’être présent constamment. Pour retranscrire leur show, les maisons possèdent le direct, les IGTV et la réalité augmentée. Beaucoup de teasers sont également diffusés en parallèle et lorsque le défilé est lancé, il est relayé en direct. Désormais, ce n’est plus un événement exclusif mais ouvert au grand public à distance. Pour les amateurs de mode, il suffit de s’inscrire sur l’événement que les marques postent en story sur Instagram afin d’avoir le décompte. Les informations sur les défilés sont maintenant diffusées sur des canaux informels. Une fois l’événement terminé, les maisons peuvent le rendre accessible en IGTV, une vidéo en replay. Aussi, pour montrer les préparatifs d’un défilé de la Fashion Week, des interviews sont repostées avec les créateurs mais aussi les maquilleurs et coiffeurs. Lors des directs, les célébrités peuvent être invitées et interagir avec leur communauté. Pour construire un univers immersif, les maisons ont même la possibilité d’utiliser la réalité augmentée. La fonction shopping bag, le e-shop d’Instagram est aussi utilisée pour les marques développant le « see now, buy now ».  Instagram est le réseau social favori réunissant à la fois les marques de luxe, ses créateurs, les influenceurs et personnalités publiques. De nos jours, les influenceurs et célébrités sont au centre de toute la communication des Fashion Weeks pour compenser la perte de visibilité du côté des médias classiques. Ces derniers reçoivent des invitations tout comme pour un événement physique mais avec un QR code redirigeant directement vers l’événement. Parfois, une tenue est même envoyée aux influenceurs afin qu’ils la repartagent sur leur compte en mentionnant la date, l’heure et la plateforme sur laquelle sera prochainement diffusé le défilé. Ce sont des influenceurs mode ou lifestyle comme Lena Mahfouf, Carla Ginola ou Noholita qui sont ciblés. Pendant la Fashion Week, un nouvel évènement est également apparu : le « street style », où toutes les tenues des stars sont shootées aux abords de l’événement. Dans ce contexte, un hashtag a été créé afin que les utilisateurs puissent poster leurs tenues qui peuvent ensuite être repostées par les maisons. Enfin, au lieu d’offrir des cadeaux à la fin des shows, les maisons font désormais des partenariats avec des associations afin de leur offrir de la visibilité. Tik Tok est aussi un réseau social qui a su faire sa place depuis la pandémie en relayant les shows en direct et en créant de l’interaction avec des hashtags. Une stratégie de hashtags pour chaque maison de couture est également mise en place. De son côté, Pinterest est un réseau important collaborant avec Launchmetrics, proposant des vidéos des défilés, des créateurs ou des coulisses.

Grâce aux réseaux sociaux, beaucoup plus de publications ont été faites montrant l’envers du décor en partageant les coulisses, leurs croquis, les discussions d’équipe… Les créateurs dévoilent de plus en plus leurs secrets de fabrication en utilisant désormais leur compte personnel pour donner un avant-goût de leur nouvelle collection, une manière de teaser et de se rapprocher de leur communauté.

Une adaptation remarquable

Les maisons de luxe s’adaptent à une situation inédite à laquelle le monde entier fait face depuis des mois. La crise sanitaire a amené les griffes à construire une stratégie digitale de communication propre à chacune d’entre elles, une mutation profonde. En montrant leur capacité à se réinventer, les marques montrent qu’elles ne sont pas vieillissantes et qu’elles savent faire preuve d’audace en utilisant notamment des médias sociaux. Ils ont réussi à tirer avantage de cette crise en s’adaptant et en créant de nouveaux outils digitaux pour l’occasion. Les réseaux sociaux et le digital ne sont plus une option mais de réels canaux de diffusion au centre même de leur communication. Au lieu de s’éloigner de leur public,  les maisons se sont rapprochées en se dévoilant beaucoup plus. Cette année a forcé l’industrie de la mode à se ré-inventer et à trouver une nouvelle manière de produire et consommer mais aussi de communiquer.

Sophie VENET – MKP

SOURCES

Webographie :

(1) Guillaume, H. (2020, 17 juillet). Dix choses que vous ne savez pas sur le défilé secret de Jacquemus. Le Figaro. https://cutt.ly/6cHS0oZ