« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré » 

Albert Einstein

Lire le présent pour penser le temps long, c’est toute l’utilité de la prospective. Mais quelle place pour l’action dans la construction de futurs désirables ? À la croisée des chemins entre la marque et le consommateur, on innove pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui et anticiper les enjeux de demain. Analyse et réflexion. 

1. ÉLARGIR LES PERSPECTIVES D’AVENIR 

A. De l’utilité de la prospective

Incertain – sombre – menaçant. Si l’on interrogeait des personnes dans la rue au hasard, voici comment elles décriraient probablement le futur. Quand la complexité d’un monde en perpétuelle accélération transforme notre capacité à penser des perspectives d’avenir souhaitables, prédire le futur en s’appuyant sur le passé et le présent semble compromis. Il devient alors indispensable d’opérer une transition dans la stratégie même de projection dans l’avenir. L’idée ? Conceptualiser le futur comme une multitude de scénarios probables qu’ils soient désirables ou non. Comment ? En ôtant les œillères qui nous contraignent à envisager l’avenir comme une issue unique, un destin sur lequel nous n’avons aucun pouvoir. Pourquoi ? Car ce sont bel et bien les actes et les initiatives d’aujourd’hui, aussi anecdotiques puissent-ils paraître, qui dessinent l’horizon de demain

C’est exactement ce que permet de mettre en pratique la discipline de la prospective. Selon le Larousse, elle est la « science ayant pour objet l’étude des causes techniques, scientifiques, économiques et sociales qui accélèrent l’évolution du monde moderne, et la prévision des situations qui pourraient découler de leurs influences conjuguées ». Décrocher les œillères donc, pour s’intéresser aux signaux faibles : des messages isolés, qui interrogent, bousculent et transforment les schémas de pensée, d’agir et de concevoir le monde de demain. Ces manifestations d’idées, de faits, lorsqu’elles sont étudiées de manière collective, permettent de comprendre les changements de dynamiques qui s’opèrent à tous les niveaux de la société. Selon Emmanuelle De Mazières, planneuse stratégique au sein du cabinet de tendances Peclers à Paris, on parle de signaux faibles dans un sens collectif, en opposition à un signal faible isolé, car il est nécessaire de pouvoir en trouver différentes interprétations. En effet, un signal faible isolé ne permet pas une lecture éclairée de la transformation structurelle des besoins et des valeurs qu’il induit. Pour qu’il soit justifié, un signal faible doit donc idéalement être couplé avec une multiplicité d’autres messages, mis en perspective et analysés. C’est en créant des liens et en associant les signaux que l’on parvient à en donner une interprétation. L’important étant d’en tirer des enseignements, et de comprendre les évolutions et les changements de direction qu’ils sous entendent, pour parvenir à mieux décrypter le monde qui nous entoure, ainsi que ses potentielles pistes d’évolution. 

Car si la prospective permet de mieux comprendre les dynamiques du présent, elle permet aussi, d’après Emmanuelle De Mazières « d’imaginer les futurs qui s’offrent à nous ». 

Adopter une démarche prospective, c’est aussi créer des scénarios, utopiques, désastreux, probables, ou moins probables, en s’intéressant aux « mouvements » silencieux et en utilisant l’intelligence collective. Une problématique se dresse pourtant face à nous : comment imaginer le temps long dans une société libérale basée sur des modèles de rendements court-termistes ? Le premier élément de réponse pourrait se trouver dans une responsabilité qui nous est commune : l’acceptation et l’appréhension de la complexité du monde qui nous entoure. Ce que j’entends par là, c’est qu’il devient nécessaire de balayer les obligations de synthétisation normalisées. Si la compréhension passe par l’analyse, il nous faut alors être capables de penser, de chercher, de créer des connexions sur le long terme. Emmanuelle De Mazières nous le rappelle : « Il faut analyser le signal dans son entièreté, mais surtout avec beaucoup de finesse. » Le travail de prospective demande de la patience, de la curiosité et de l’exhaustivité. Bref, de l’analyse. Pour l’appliquer de manière stratégique en entreprise, il est indispensable de garder en tête ces quatre grands fondamentaux : 

  • L’importance de l’expertise, à mettre en perspective avec l’intelligence collective ;
  • La volonté d’enrichir les connaissances et de cultiver la transdisciplinarité ; 
  • La sollicitation de méthodes créatives et d’imagination ; 
  • La création de parcours de réflexion qui mènent à l’action. 

Car c’est dans ce potentiel d’action que réside notre capacité à bâtir des futurs désirables. 

B. Se projeter pour agir

En 2020, lors de ma troisième année d’études au sein de l’ISCOM Lyon, j’ai intégré pendant six mois un échange Erasmus à l’Université des Sciences Appliquées d’Amsterdam, aux Pays-Bas. Dans le cadre de ce programme intitulé Global Trendwatching, l’un des premiers projets que j’ai eu à réaliser était un travail de prospective : « Imaginez le futur de la nourriture en 2030 aux Pays-Bas ». C’était le titre du sujet, et la première fois que je me retrouvais face à une problématique de ce genre. L’objectif ? Produire une analyse et des recommandations stratégiques applicables à une grande enseigne de distribution Néerlandaise, Albert Heijn. Mais alors, quels outils permettent de construire une projection à plus de 30 ans ? Comment traiter ces données pour faire bénéficier les entreprises de leviers pertinents et actionnables ? Intéressons-nous à l’une des méthodes qu’il est possible de suivre : 

1. Utiliser le PESTEL*, version prospective : dans ce PESTEL, on recense uniquement des signaux faibles, les tendances et les approches innovantes sur le marché. Il est indispensable d’avoir une vision la plus exhaustive possible du sujet à analyser, et d’en connaître les mouvements et les potentielles évolutions.

*Analyse PESTEL : « L’acronyme, qui signifie Politique, Économique, Sociologique, Technologique, Environnemental et Légal, recouvre les facteurs macro-environnementaux qui peuvent influencer une entreprise. »

2. Établir un diagramme d’impact : il illustre les tendances en cours et croissantes et évalue leur potentiel de réalisation et leur impact sur la société. Il reprend les éléments du PESTEL et les classe selon 2 axes :  

  • La puissance d’impact : faible ou forte 
  • La probabilité de réalisation : certaine ou incertaine

Pour se projeter dans un futur lointain, il s’agit de s’intéresser à un cadrant en particulier : celui des tendances à fort impact avec faible probabilité de réalisation dans un futur proche. Il contient en réalité des innovations et des changements de direction structurants que la société n’est pas encore prête à accueillir. 

3. Construire des scénarios : pour cette étape, l’imagination et la créativité sont clés. Il est possible de créer autant de scénarios que l’on a répertorié de signaux faibles. Pour simplifier ma démonstration, l’idée est de choisir les 2 signaux les plus pertinents relativement à la problématique, puis de les opposer chacun à des signaux contraires (voir schéma ci-dessous). Quatre mondes restent alors à écrire et à imaginer.

4. Former des arbres d’implication : après avoir élaboré les scénarios, ils permettent d’évaluer les impacts positifs et négatifs et les influences combinées entre facteurs que pourraient engendrer les mondes fictifs s’ils se réalisaient. Il s’agit de réaliser un arbre pour chaque scénario monté à l’étape précédente (Voir photo ci-dessous).

En réalité, cette analyse garantit une compréhension fine de relations de causes à effet entre les différents signaux que l’on a pu capter. Elle permet de classer les scénarios selon un critère indispensable : leur désirabilité. Certains scénarios se révèleront quasiment utopiques, d’autres simplement souhaitables, d’autres complètement catastrophiques. La difficulté de l’exercice réside dans le fait de prendre conscience de notre potentiel d’action sur ces scénarios. Comment parvenir aux meilleurs ? Comment éviter les pires ?

Pensons le temps comme un fleuve : en amont, le passé ; en aval, le futur. Nombreux sont les événements qui peuvent impacter le cours de l’eau – autrement dit, le présent. Nombreux sont aussi les embranchements au delta, qui se jettent dans la mer – c’est-à-dire, les potentiels futurs. Adopter une démarche prospective, c’est repérer et comprendre l’impact des signaux du présent sur la trajectoire des différents futurs probables. Une multitude d’entre eux se dessinent, ouvrant plusieurs perspectives d’avenir. Mettre en œuvre son potentiel d’action, c’est être assez alerte et renseigné pour contrer les signaux négatifs, et réaliser les positifs. En bref, c’est analyser les futurs qui s’offrent à nous, et agir pour choisir ceux que nous souhaitons voir se réaliser. 

Reprenons l’exemple de mon étude de cas sur le futur de la nourriture : nous y avons établi quatre scénarios, puis à l’aide des diagrammes d’impact et d’arbres d’implication, les avons classés selon leur caractère désirable au regard de la stratégie d’Albert Heijn. 

  • Le pire, c’est celui où la nourriture imprimée en 3D rencontre la nutrition grand public. Dans ce scénario, tel que nous l’avons imaginé, l’État contrôle l’alimentation des citoyens et instaure des directives nutritionnelles. Les magasins de proximité disparaissent, au profit de laboratoires 3D publics et standardisés qui permettent de mieux répondre à la demande au vu de l’explosion démographique. 
  • Le meilleur, c’est celui où la nutrition hyper-personnalisée rencontre la nourriture brute et biologique. Dans ce scénario, on imagine des supermarchés biométriques et digitalisés, qui répondent au besoin de personnalisation de l’alimentation à l’échelle de l’individu. L’expérience sensorielle y est réinventée, avec des produits bruts non transformés et dépourvus de packagings.

Mais comment utiliser ces informations pour les mettre au service de l’action ? En les raccrochant à la stratégie de marque, et donc à des plans d’action. Par exemple, pour atteindre le meilleur scénario dans 30 ans, il est indispensable pour Albert Heijn d’investir sur le plan R&D, pour devenir pionnier dans l’intégration de technologies biométriques au service de la nutrition. Mais ça n’est pas tout. Pour proposer des produits bruts et biologiques, sans packagings, l’entreprise doit anticiper les mutations que cela implique sur sa chaîne d’approvisionnement, de production et de distribution.

Alors, reprendre le pouvoir sur le futur par la prospective, utopie ou véritable possibilité ? Si l’on considère la prospective en tant qu’élément de lecture uniquement, probablement pas. Car la lecture seule ne permet que de dresser un état des lieux et d’imaginer les pistes de développement. En revanche, appliquée de façon stratégique à des organisations et/ou à des entreprises : certainement. Elle permet de donner une vision pour l’avenir, et de mettre en place des stratégies afin de se donner les moyens de la concrétiser. L’essentiel finalement, c’est que la prospective serve de tremplin à l’action. 

N.B. : Comme étudié dans mon article précédent, « Retour vers le futur », la projection dans le futur est un mécanisme inné caractéristique de l’être humain. À son échelle, l’individu qui imagine l’avenir en se basant sur le présent utilise aussi une démarche prospective. Cette dernière se met donc au service de la stratégie au sein des entreprises certes, mais peut aussi motiver l’action et l’engagement personnel. Je pense par exemple à celui de Greta Thunberg en faveur de l’écologie. 

C. Valeurs, besoins, transition

Action : « exercice de sa capacité d’agir, par opposition à la pensée ou à la parole ». Qu’elle résulte d’une volonté ou d’une intention, l’action est intimement liée à l’idée de motivation. Pour passer à l’action, il faut avoir envie ou besoin d’agir. Si les valeurs, les besoins et les motivations se manifestent d’abord à l’échelle de l’individu, il est primordial de les étudier aussi d’un point de vue plus général, à l’échelle de la société et des générations qui la composent. En effet, ce sont les aspirations des générations à venir qui motivent leurs actions, et leurs actions qui influencent en partie le déroulement des événements futurs. En ce sens, il paraît indispensable de réaliser un travail de compréhension des mutations qui s’opèrent chez ces nouvelles générations, afin de comprendre leurs aspirations profondes et les transformations qu’elles induisent. Il semble actuellement que nous nous trouvons dans une période complexe de transition. Fermez les yeux et imaginez un instant la génération de consommateurs qui se profile. Instinctivement, on pense à des individus qui évoluent dans un environnement ultra-digitalisé, testeurs hors pair pour qui le mot fidélité n’a plus de sens, dont l’attention et les centres d’intérêt peuvent changer d’une seconde à l’autre. Imprévisible et influençable, c’est peut-être les mots qui résument le mieux le profil qui se dessine. Or, en approfondissant les recherches, il est sans doute moins trivial et caricatural, avec une multitude de signaux contraires. 

Premièrement, on observe récemment un besoin très fort de création de repères. Selon Alex De Las Heras, Head of Brand chez Welcome to the Jungle, nous nous retrouvons dans un moment crucial dans une société où il devient nécessaire de parvenir à créer des connexions émotionnelles entre les personnes. Il devient effectivement de plus en plus complexe de bâtir des projets qui durent dans le temps. Ce phénomène de « tinderisation » de la vie semble lasser les consommateurs. Si bien qu’ils expriment aujourd’hui clairement un besoin de stabilité : de ce fait, on constate un retour en force des marques « oubliées » ou étiquetées comme désuètes. C’est le cas de « Moon Boots » par exemple, qui a récemment réinvesti dans des talents spécialistes du marketing et de la communication, pour redorer son image de marque et booster son capital attractivité auprès des jeunes générations. On pourrait également citer les cas K-way, ou Lacoste. Ces entreprises ont toutes un point commun : elles semblent résister au temps. C’est pourquoi elles sont de bons points d’ancrage qui créent un sentiment de réassurance chez un consommateur en quête d’équilibre et de constance dans ses relations. Cela pourrait expliquer le regain soudain de popularité de ces acteurs, qui apparaissent alors comme des figures familières et de confiance, dans un paysage extrêmement instable. 

La crise sanitaire mondiale a également posé sur la table un nouveau questionnement de la liberté. La « zone de flou » que nous traversons transforme nos rapports à des besoins qui étaient, dans nos sociétés occidentales, jusqu’alors acquis par défaut. D’après Emmanuelle De Mazières, « l’intensité de vie repensée au prisme de nouvelles activités » serait l’une des tendances de fond majeures susceptibles d’impacter la société de demain. Elle induit un mécanisme de revanche qui s’actionne naturellement en réponse à la privation, et pourrait bien mettre l’industrie de l’expérience sur le devant de la scène dans une société post Covid-19. Entre autres, on pressent un besoin de remise à niveau de l’équilibre professionnel / personnel. Les générations à venir souhaitent « faire plus » de leur vie personnelle, grâce à une plus juste répartition de leur temps. Si l’on revient à la problématique de départ, c’est exactement à cette étape de ma démonstration que des connexions se créent. En effet, il est possible de statuer qu’une plus juste répartition du temps traduise une volonté de regain de contrôle sur ce dernier. Malgré des perspectives incertaines, les générations à venir ne seraient-elles inconsciemment en train de reprendre le pouvoir sur leur futur ?  En tous les cas, elles ont laissé derrière elles la vision d’un avenir fantasmé, au profit d’un rapport plus pragmatique au futur. La science-fiction n’est plus de mise, il s’agit aujourd’hui d’imaginer des solutions en adéquation avec les nouveaux enjeux, et d’utiliser l’action pour impacter positivement le temps à venir. Pour les y aider, les jeunes générations de consommateurs comptent bien sur une typologie d’acteurs en particulier : les marques. 

2. LE CONCEPT DES « MARQUES SOIGNANTES »

A. La marque, première définition

Une marque, c’est avant tout une impression neuronale. C’est-à-dire, une trace qui s’imprime dans la mémoire. En effet, en répétant ses signes et ses messages, elle crée chez les consommateurs un souvenir. Elle se définit en trois composantes majeures : 

  • Des signes, dimension essentielle comprenant tous les éléments de son identité visuelle et de son univers graphique ;
  • Du sens, où tous les éléments de discours reliés à sa plateforme de marque, à son histoire et au storytelling qu’elle développe ; 
  • Des actes, révélateurs de ses engagements et de ses prises de position sur son marché. 

Pour Alex De Las Heras, une marque se définit par la perception qu’une personne à par rapport à un produit ou un service, mais surtout « le lien émotionnel qui découle de cette perception ». Elle conceptualise la marque comme un « ressenti », quelque chose d’intangible donc, et de très abstrait. Bien qu’il soit tentant de rationaliser ses raisons d’être par des objectifs marketing définis, afin de comprendre l’utilité de la marque, elle reste avant tout une émotion, un sentiment. 

“Une marque, c’est une émotion”

alex de las heras

Les marques sont les marqueurs du quotidien et de l’histoire, elles font partie de la vie des consommateurs, certaines depuis des décennies. Ainsi, elles s’invitent dans leurs foyers, leurs rappellent des souvenirs, entretiennent des discussions : en bref, elles créent un lien puissant avec eux. Mais en plus de développer et d’entretenir ce lien, elles entraînent la préférence de par les émotions qu’elles procurent à leurs cibles. Lors de notre entretien, Alex De Las Heras me cite l’exemple d’Apple et du MacBook avec un constat étonnant de simplicité : « ce ne sont pas les meilleurs ordinateurs, mais ce sont sûrement ceux qui te font sentir le mieux, par rapport à toi-même ». Autrement dit, le fait de posséder un MacBook renvoie à ses utilisateurs une image positive d’eux-mêmes. Et de ce sentiment positif naît la préférence, l’attachement et la confiance.

B. “Solve don’t sell”

Dans un contexte de crise sanitaire, la confiance que placent les consommateurs dans les marques façonne leurs attentes de façon très claire. Selon le « Trust Barometer » de l’agence Elan Edelman « Les marques à l’heure du coronavirus », 49% des français pensent que « les marques […] réagissent plus rapidement et efficacement à la pandémie que ne le fait le gouvernement. ». Contribuer est donc devenu un devoir, et non plus une option. Et c’est de ce constat qu’est née l’expression « solve don’t sell ». Pour Edelman, c’est le nouveau « call to action des consommateurs qui plébiscitent l’émergence des marques soignantes ». Des marques qui, plus que de vendre des produits, résolvent des problèmes et apportent des solutions pertinentes aux problématiques liées au coronavirus. On peut citer, entre autres, Blablacar qui « mobilise sa communauté autour d’un projet solidaire en créant BlablaHelp » une application destinée à l’entraide entre particuliers du même quartier pour faire les courses de première nécessité ou encore Cdiscount, qui a lancé en 2020 « un dispositif de vente et de distribution en click & collect de masques chirurgicaux à destination des PME et TPE françaises ». Alors, en considérant le fait que les marques puissent être perçues comme des acteurs plus « à même » de résoudre une crise sanitaire mondiale que des gouvernements d’État par les citoyens, on met incontestablement en lumière leur pouvoir d’agir et de faire bouger les lignes. Attendues dans une fonction héroïque, face à la crise sanitaire, mais pas que ? Je suis intimement convaincue que les prémices de cette tendance se répercuteront sur les attentes du consommateur vis-à-vis du rôle des marques dans une logique bien plus globale. 

C. La plateforme de marque, de la vision à l’action

La plateforme de marque est un outil stratégique qui précise son projet à court et à moyen terme. En branding, on l’utilise pour construire la base de son identité, de sa différence, de son attractivité et de ses éléments de discours sur le marché. Elle possède trois caractéristiques principales : 

  • Elle est engageante, puisqu’elle projette la marque dans le futur et pose ainsi les bases de ses actions stratégiques ;
  • Elle est inspirante, puisqu’elle décrit un projet ambitieux, et porteur de valeur ;
  • Elle exprime une vision partiale, s’impose une mission personnelle selon une façon singulière de voir le monde. 

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et tes femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose … SI tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer »

Antoine de Saint-Exupéry

Cette citation me permet de rebondir sur la notion de vision, qui me paraît primordiale dans la conception d’une plateforme de marque. En effet, c’est avec ce concept que le reste de l’outil va se décliner et se penser. La vision, c’est une direction, un regard posé sur là où l’on voudrait aller. C’est celle qui s’exprime avec la projection au plus long terme. Selon Alex De Las Heras, c’est même elle qui doit servir la stratégie d’innovation de la marque et de ses produits. C’est elle qui doit être incarnée, afin de lui donner du sens et de motiver les équipes au quotidien à travailler pour qu’elle se concrétise.  Aussi, il est important de lui donner du sens, et de la rendre plus « pratique » : c’est ici que la notion de mission entre en jeu. En effet, cette dernière permet de fixer des objectifs plus quantifiables et réalisables à plus court terme. En somme, si elle est bien pensée et créée, la plateforme de marque est un outil inspirant et opérationnel qui motive l’action, impulse les décisions stratégiques et d’innovation, et donne du sens à la marque.  Pour créer sa plateforme, la marque utilise donc déjà les rudiments de la prospective pour se projeter et influencer le futur. L’enjeu aujourd’hui, est que ce futur pensé par les marques se traduise par de réels engagements et s’éloigne des préoccupations économiques de l’entreprise pour servir des problématiques sociales, économiques et environnementales. Un bon moyen de contrer les signaux négatifs que nous renvoient les projections à long terme ?  Plus largement, les marques soignantes pourraient donc être celles qui conçoivent leurs plateformes avec des engagements forts et la volonté de mettre leur vision et leur mission au service d’un impact positif sur le cours du futur. 

D. Les labels, moniteurs et moteurs de l’engagement des marques ?

Depuis quelques années, on observe une progression fulgurante de l’utilisation de labels et des certifications par les marques. Si tout a commencé avec le BIO, aujourd’hui il existe de nombreux labels qui témoignent, de l’engagement RSE des marques sur le papier. Dans ce paragraphe, j’aimerais m’intéresser particulièrement aux labels qui mesurent l’impact social et environnemental de ces dernières. ESS (Économie Sociale et Solidaire), ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), B-Corp, Entreprise à Mission, Engagé RSE, Lucie : ces acronymes vous disent quelque chose ? Pas étonnant ! Les mentions fleurissent désormais sur les posts LinkedIn d’un bon nombre de startups. Mais dans les faits, véritables arguments ou label-washing ? 

J’ai pu interroger Alex De Las Heras sur ce sujet, puisque Welcome to the Jungle a récemment été labellisée B-Corp. Ce Label international a été créé par l’ONG américaine B-Lab, et concerne uniquement les entreprises à but lucratif. Pour le recevoir, l’entreprise doit répondre à un questionnaire qui porte sur de nombreux sujets : gouvernance de l’entreprise, écarts de salaires, choix des fournisseurs d’électricité, nature du matériel informatique, et en fournir les preuves. Finalement, seules les entreprises ayant obtenu un score supérieur ou égal à 80 points sont labellisées. Aujourd’hui, ce label est pour les marques, un symbole fort d’engagements sociaux et environnementaux. Pour Alex De Las Heras, il ne doit pas être un outil marketing mais plutôt un « engagement marketing ». En effet, Welcome to the Jungle n’a jamais souhaité communiquer sur sa labellisation B-Corp.

Une question peut quand même se poser : la labellisation, est-ce suffisant ? Probablement pas. Car le fond du problème reste toujours le même. Bien que l’intention de départ soit louable, les labels ont aussi besoin d’entreprises labellisées pour vivre, et d’acteurs puissants pour être reconnus sur le marché. Alors, on peut s’interroger sur leurs pratiques, et sur leur réelle valeur. Malgré tout, je soutiens le point de vue d’Alex De Las Heras sur fait que les labels soient « intéressants d’un point de vue prise de conscience ». En effet, ils permettent quand même aux entreprises de se pousser mutuellement vers des pratiques plus responsables, en partageant des engagements qui promettent des vrais impacts sociaux, économiques et environnementaux. Il est aussi encourageant de remarquer une progression dans le nombre de marques labellisées : chaque mois, 10 nouvelles entreprises déposent leur dossier de demande de certification B-Corp (France, 2020). Depuis l’apparition du label en France, plus de 135 entreprises de toutes tailles ont reçu la labellisation. 

3. ACTION-INNOVATION

La loi d’action-réaction est la troisième loi de Newton, et est aussi connue sous le nom de principe des actions réciproques. Elle s’énonce de la façon suivante : « tout corps A exerçant une force sur B subit une force d’égale intensité, mais de sens opposé, exercée par le corps B ». Dans la vie de tous les jours, on l’utilise souvent comme source de motivation, en réponse à un événement qui vient de se produire. Face à l’urgence décrite par les projections à long terme (action), quelles réactions adopter ? Dans cette troisième partie, nous allons nous intéresser à l’une d’entre elles : l’innovation. 

A. Désinnover ou dé-consommer ?

Dans un système où tout bouge, se crée, mais disparaît aussi de plus en plus vite, de nouveaux produits s’inventent, voient le jour puis périssent toutes les minutes. Le plus souvent, ils trouvent des groupes d’adeptes qui créent des tendances éphémères, puis repartent aux oubliettes aussi vite qu’ils ont pointé le bout de leur nez. Pour qualifier ces nouvelles idées, on utilise à tort et à travers un mot en particulier : « innovation ». Mais dans une logique de durabilité sur tous les plans, faudrait-il alors arrêter d’innover ? Selon Emmanuelle De Mazières, la réponse est négative. Car stopper l’innovation, voudrait alors dire que l’homme est arrivé au bout de ce qu’il est capable d’imaginer pour solutionner ses problèmes, et s’ouvrir à des opportunités de futurs désirables. Car l’innovation, si l’on se rattache à sa définition, est la « recherche constante d’amélioration de l’existant ». Elle contraste avec le terme « invention », qui lui vise à créer le nouveau. Plus que « désinnover », il faudrait alors « désinventer », dans le sens de « stopper la course au nouveau ». Parce que le « nouveau », s’il est simplement « inédit », ne bouscule aucune norme économique, sociale ou environnementale. Il satisfait simplement une envie et ne se pense pas dans une logique d’impact positif et durable. L’idée de « désinventer » serait alors intimement liée à celle de la dé consommation. D’un côté, elle impliquerait le fait de cesser la « production » superflue par les marques et les entreprises. De l’autre, la prise de conscience et le ralentissement de la consommation par les individus. « Consommer moins, mais mieux », c’est d’ailleurs le claim de ces dernières années. 

Si arrêter d’innover n’est pas la solution aux enjeux de demain, serait-il possible d’innover plus efficacement ? 

B. Au fond, c’est quoi innover ?

Innovation : introduction sur le marché d’un produit ou d’un procédé nouveau significativement amélioré par rapport à ceux précédemment élaborés […]

INSEE

Pour qu’elle soit pertinente, une innovation doit répondre à un besoin qui n’a pas encore été rencontré, ou repenser une chaîne de valeur. Elle part, le plus souvent, d’une vision ou d’un insight consommateur basé sur des attentes sociales, économiques ou environnementales. Aujourd’hui, pour qu’elle ait un impact, l’innovation doit être repensée, rationalisée et intégrée à un processus de recherche d’efficacité. Car innover, c’est prendre des risques, faire un pari sur l’avenir, mais c’est aussi le préparer. En effet, si elle est menée à bien, la démarche d’innovation peut être génératrice de valeur à plusieurs niveaux. En interne, au sein de l’entreprise et pour les collaborateurs, à l’échelle de la marque, en mettant en œuvre la vision et donc en améliorant son image, et en externe, en apportant un impact positif sur le marché, l’environnement, la société. Si la prise de risque que représente l’innovation pour une entreprise est capitale à mes yeux, elle doit absolument pouvoir être mesurée dans le contexte actuel. Nombreuses sont les entreprises qui disparaissent suite à des tentatives d’innovations manquées. Comme l’explique très bien Carole Stromboni dans l’introduction de son livre Innover en pratique, « […] répondre parfaitement à une mauvaise question, ou répondre trop tard ou trop tôt, c’est perdre du temps, de l’argent, et de l’espoir ». L’un des leviers principaux pour innover efficacement, c’est savoir établir sa vision, trouver son marché, et le comprendre. 

C. S’appuyer sur les Tendances, avec un grand T

Quand on pense tendance, on pense d’abord mode. « Quelles seront être les tendances de la saison automne hiver 2022 ? », « Quelle est la pièce tendance du moment que tous les influenceurs s’arrachent ? ». En réalité c’est bien plus que ça. Dans son livre How to research trends, Els Dragt propose une définition convaincante des tendances : « une tendance est la direction d’un changement dans les valeurs et les besoins qui est entraînée par des forces et se manifeste de diverses manières au sein de certains groupes de la société. » Dans cette définition, concentrons-nous sur trois termes en particulier : celui de la « force », celui des « valeurs et des besoins », celui de la « manifestation ». Ils permettent de repérer les différents niveaux d’expression et de typologie de tendances : 

  • Les « forces », sont des influences à long terme (10 à 30 ans), que l’on appelle aussi des macro-tendances (de l’anglais « mega trends ») : comme la digitalisation ou la société de consommation (problème de gestion des déchets) par exemple ; 
  • Les « valeurs et les besoins » sont exprimées par les individus, et créent des tendances socio-culturelles qui s’installent au sein de la société généralement pour 5 à 10 ans : comme le questionnement de l’identité de genre ou le concept du « freedom of less » (vivre une vie plus simple en possédant moins) par exemple ; 
  • Les « manifestations », sont les innovations produits ou services qui résultent de tendances marché ou lifestyle, et qui offrent une visibilité plus courte, de 0 à 5 ans : comme le véganisme ou l’application Stuffster, créée pour aider les individus à désencombrer leur lieu de vie. 

Mais alors pourquoi est-il aussi important de les observer ? Il y a près de 20 ans, le journaliste britannique John Micklethwait disait déjà : “Le succès d’une entreprise dépend en grande partie de sa capacité à se réinventer et à faire face au changement.”. Avec le phénomène de saturation des marchés, la complexification des profils de consommateurs et l’émergence de nouvelles générations et sous-cultures, il s’agit aujourd’hui pour les entreprises et les marques d’impliquer, de créer de l’émotion, de fasciner. Il s’agit d’imaginer des innovations significatives et substantielles, qui améliorent vraiment la vie des gens. Quelle que soit sa forme et son cadre temporel, une tendance n’est jamais un phénomène isolé : elle traduit des schémas de changement. 

Dans un monde où tout semble furtif, instantané, éphémère, les individus opèrent progressivement une transition de leurs modes de pensée. Reprise du contrôle sur le temps, questionnement de la notion de liberté, nouvelles attentes envers les marques : ces indicateurs sont le reflet d’un changement d’état d’esprit, impulsé par le sentiment d’être arrivé, peut-être, à un point de non-retour. L’action devient alors l’unique solution pour changer le cours du futur, et ouvrir des perspectives positives. L’innovation s’impose comme une réponse possible aux problématiques économiques, sociales, et environnementales actuelles et à venir. Cependant, elle doit absolument se construire sur une vision éclairée de l’avenir et des tendances pour répondre aux besoins des individus, aujourd’hui comme demain. Alors, comment définir une stratégie d’innovation durable en entreprise ? Quels bénéfices et renonciations pour la structure ? La clé réside certainement dans l’authenticité, la créativité et le caractère réaliste de la démarche. 

Emma BAILLY – MKP

BIBLIOGRAPHIE

Dragt, E. (2017). How to Research Trends : Move Beyond Trendwatching to Kickstart Innovation. Laurence King Publishing.

Stromboni, C. (2020). INNOVER en pratique : Mener et réussir sa démarche d’innovation. EYROLLES.

WEBOGRAPHIE

Bastien François, B. F. (2020, 12 décembre). Et si la démarche prospective était la bonne réponse à l’incertitude et la complexité de notre époque ? Usbek & Rica. https://usbeketrica.com/fr/article/et-si-la-demarche-prospective-etait-la-bonne-reponse-a-l-incertitude-et-la-complexite-de-notre-epoque

Combien y a-t-il de Certified B Corps dans le Monde, en Europe, en France ? (2021, 7 avril). B-Corp. https://www.bcorporation.fr/faq/combien-y-a-t-il-de-certified-b-corps-dans-le-monde-en-europe-en-france/

Elan Edelman, E. E. (2020, 8 avril). Edelman Trust Barometer – Les marques à l’heure du Coronavirus. Elan Edelman. https://www.elanedelman.com/research/trust-and-the-brand

Guernigou, E. (2020, 19 novembre). Quels sont les labels des entreprises responsables ? Phenix. https://wearephenix.com/blog/ess-esus-b-corp-lucie-quel-label-rse-pour-les-entreprises-responsables/

T.P. (2020, 2 mai). 10 solutions utiles et créatives face à la crise. Stratégies. https://www.strategies.fr/actualites/marques/4043691W/10-solutions-utiles-et-creatives-face-a-la-crise.html

Usbek & Rica Podcast, U. R. (2018, 29 octobre). « La prospective est un sport de combat ». Usbek & Rica. https://usbeketrica.com/fr/article/la-prospective-est-un-sport-de-combat

Analyse PESTEL. (2021, 20 avril). Dans Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_PESTEL

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B.J. (s. d.). If Not Now When [Photographie]. Unsplash. https://unsplash.com/photos/_Xwnk1DgTb8