C’est désormais officiel : Médiapro et sa chaîne Téléfoot ne sont plus les diffuseurs de la Ligue 1, faute de liquidités. Retour sur un épisode qui a secoué le football français, qui se voyait aller vers l’avant avec le groupe espagnol.

Une nouvelle recrue dans la grille des programmes

En avril 2018, l’appel d’offres pour la diffusion de la Ligue 1 Uber Eats de football est lancé, avec un nouveau venu dans les négociations : Médiapro, groupe espagnol basé à Barcelone qui veut s’implanter en France. Les premiers échos laissent entendre des sommes pouvant atteindre le milliard d’euros, un chiffre encore jamais atteint pour la diffusion du championnat français. Une somme qui permettrait également aux clubs de rivaliser avec les autres championnats, anglais notamment, qui touchent un montant très conséquent en droits TV qui leur permettent d’investir sur le marché des transferts. De nombreuses discussions ont lieu, avec ce nouveau groupe, mais également avec les diffuseurs historiques de la Ligue 1 : Canal Plus (associé à BeIn Sports).

Après de nombreuses semaines de discussion, le 29 mai 2018, le groupe Médiapro décroche les lots les plus intéressants (dans les droits TV, les matchs et créneaux horaires sont divisés en lots : matchs, multiplex, émissions…), et Canal Plus fait grise mine, puisque la chaîne cryptée n’obtient aucun match : les 10 matchs du week-end sont partagés entre le groupe espagnol qui diffusera 8 matchs, et la chaîne BeIn Sports qui diffusera les deux derniers. À la vue de cet échec pour la chaîne cryptée, Maxime Saada, président de Canal Plus, noue un partenariat de diffusion avec BeIn Sports, ce qui restreint la distribution de ce dernier au groupe Canal Plus, qui était jusqu’à présent disponible sur d’autres opérateurs. La concurrence était trop rude avec le groupe Médiapro, et Canal Plus obtient tout de même la diffusion de ces deux matchs. L’honneur est sauf.

Malgré l’obtention de ces deux matchs, c’est un échec pour Canal Plus, qui malgré le retour sur la période 2021-2024 de la Ligue des Champions et de l’Europa League, les deux prestigieuses compétitions européennes, voit le championnat français s’éloigner.

La répartition des droits TV en Ligue 1 pour la période 2020-2024 – mediasportif.fr

Après la révélation du détail des droits TV et des montants, on remarque effectivement que le total a atteint le milliard d’euros, un objectif atteint pour la LFP (Ligue de Football Professionnel) qui avait pour objectif de vendre ses matchs à un prix plus élevé que la période 2016-2020 (les droits TV sur la période 2020-2024 représentent plus de 60% que la période 2016-2020). On remarque également que le montant qu’a pu offrir Canal Plus à BeIn Sports est bien inférieur à la somme proposée par Médiapro, ce qui explique dans les grandes lignes l’incapacité de la chaîne cryptée à s’aligner sur le groupe espagnol.

Cela démontre également l’importance pour la Ligue de Football Professionnel de s’aligner sur les autres championnats. En effet, pour la plupart des clubs de l’élite en France, la part des droits TV dans le budget annuel est une somme très importante. Pour la saison 2019-2020, le ratio audiovisuel sur le budget total des clubs se situe entre 76% pour le Nîmes Olympique à 24% pour le Paris-Saint-Germain. On peut également noter que 15 des 20 clubs de Ligue 1 dépendent à plus de 50% des droits TV dans leurs budgets, un pourcentage extrêmement important, d’autant plus qu’aujourd’hui, la crise sanitaire n’arrange pas les situations financières des clubs.

Une incidence non-négligeable sur le consommateur

Ce changement de diffuseur n’est pas anodin pour le consommateur, puisqu’en effet, la facture pour visionner chaque match va donc augmenter. Les premières rumeurs sur le prix de l’abonnement Téléfoot sont autour de 25 euros pour le championnat français et les deux compétitions européennes, une somme qui peut faire hésiter bon nombre de téléspectateurs. D’autant plus qu’au-delà de la Ligue 1, les montants pour regarder le football ne cessent d’augmenter ces dernières années. Et l’offre est de plus en plus riche, avec une augmentation constante du nombre de matchs, de championnats et de compétitions retransmis. Pour un téléspectateur qui souhaite visionner tous les matchs des Première et Deuxième divisions professionnelles, les coupes nationales, les matchs des principaux championnats européens (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne) et les coupes européennes, la note peut s’élever à près de 100 euros par mois, un prix que bon nombre de consommateurs ne peut dépenser. À cela s’ajoute donc le nouvel abonnement à Téléfoot, une décision contestée et contestable pour les ménages français.

Le problème de la diffusion TV n’est pas récent, et l’accumulation de matchs, de compétitions et de diffuseurs est un véritable frein pour les abonnés. En Ligue 1, le problème est le même, et ainsi s’opposent plusieurs points de vue sur ce sujet. Il y a tout d’abord le point de vue de la Ligue de Football Professionnel, qui voit des clubs français acquérir des joueurs performants dans les compétitions européennes et qui sont donc de plus en plus prestigieux à l’échelle internationale (le Paris Saint-Germain, l’Olympique Lyonnais, Monaco…). Il y a donc une volonté de faire grimper les enchères pour accéder à la diffusion des matchs. Il y a le point de vue des diffuseurs eux-mêmes. En effet, avoir accès à des compétitions qui sont suivies permet d’avoir des arguments de vente solides afin de soumettre des offres d’abonnements à de potentiels clients. Cela permet également d’avoir des offres de plusieurs compétitions, qui font grimper le prix de l’abonnement. Enfin, il y a le point de vue du consommateur, qui subit cette diversité de canaux, et doit s’adapter aux chaînes et à leurs abonnements pour suivre les matchs, puisque le prix de ces derniers est proportionnel aux prix des droits TV.

Une aventure qui avait tout pour réussir

L’aventure Téléfoot démarre le 17 août 2020, avec la présentation des consultants et journalistes qui feront vivre cette nouvelle chaîne et ses émissions. La saison 2020-2021 de Ligue 1 commence ensuite le vendredi 21 août, avec les contraintes sanitaires imposées. Tout était prêt pour vivre la saison de Ligue 1 inédite, avec une nouvelle programmation sur le week-end. Une chaîne dédiée au football français et aux compétitions européennes, une véritable opportunité de faire de ce nouvel acteur du paysage audiovisuel une référence.

De plus, Médiapro s’est assuré de faire de nombreux partenariats avec les chaînes déjà présentes sur le marché : TF1, avec qui un partenariat est créé, ce qui permet au groupe espagnol d’utiliser le nom de l’émission phare de la première chaîne de TNT, mais également la possibilité pour les commentateurs Grégoire Margotton et Bixente Lizarazu, qui s’occupent des matchs de l’Équipe de France notamment, d’être la voix des plus grands matchs de Ligue 1. SFR (RMC Sport), pour la Ligue des Champions et l’Europa League, les opérateurs pour être diffusés sur le plus d’endroits possibles, ou bien encore Netflix, avec qui un abonnement conjoint est créé. Une communication exemplaire, des liens avec des acteurs présents dans le monde de la Ligue 1 et ancrés chez les consommateurs, chaque élément a été pensé pour que Téléfoot, la chaîne du football, soit une franche réussite.

Un retour difficile à la réalité financière

Mais en octobre 2020, la belle histoire de Médiapro tourne au cauchemar. Le groupe ne verse pas ses mensualités à la Ligue afin de diffuser les matchs, une crise économique s’abat sur le championnat français. Prenant pour justification la crise sanitaire de la COVID-19, le groupe Médiapro espère désormais obtenir une baisse du prix des droits TV qu’ils avaient acquis en 2018. Une idée partagée par certains présidents de clubs, qui préfèrent avoir un revenu plus faible plutôt que de rien avoir.

Une incertitude persiste donc à plusieurs niveaux et chez les acteurs de la Ligue 1. Tout d’abord, la Ligue de Football Professionnel se retrouve dans l’embarras, avec un diffuseur principal qui ne paye pas ce qu’il doit. Un non-paiement qui se répercute chez les clubs, qui ne touchent donc que très peu d’argent des droits TV, devant s’en remettre à Canal Plus pour faire des bénéfices, dans un contexte sanitaire et économique très difficile. Il y a également les consommateurs et les supporters, qui sont dans l’expectative de connaître l’avenir de la diffusion de la Ligue française, et déjà craintifs de connaître un nouveau changement dans la programmation. Enfin, il y a les salariés du groupe, qui attendent chaque jour et chaque semaine de savoir si leur dernier jour de travail arrive. Une pression constante qui met tous les acteurs du football français dans une situation des plus inconfortables.

Après une mise en demeure, s’en suit un très long débat avec la Ligue de Football Professionnel sur les suites et l’avenir de la diffusion. Pendant de longs mois, le conflit persiste et les montants à verser ne sont toujours pas payés, Médiapro diffuse donc les matchs gratuitement tout en faisant payer les abonnements à ses abonnés, ce qui n’est pas du goût de tous les acteurs, notamment des consommateurs et supporters qui sont déjà privés de matchs dans les stades.

Ces longs mois sont donc rythmés par la prolongation de la diffusion des matchs de Ligue 1 et des compétitions européennes (qui connaissent une pause entre la fin des phases de poules mi-décembre jusqu’à mi-février). D’autant plus que les lots de droits TV s’écoulent sur la période 2020-2024 : nous ne sommes donc qu’au début du contrat de diffusion, et la situation est d’ores et déjà très difficile à vivre.

Si à l’écran, la peine et le déni des journalistes se fait ressentir, conscients de la situation et de son aboutissement quasi certain, les utilisateurs des réseaux sociaux n’ont pas manqué de réagir quotidiennement sur la situation que traverse Médiapro et le football professionnel français. Un public qui laisse transparaitre un désarroi sur une situation qui n’avait jamais été aussi problématique « avec les diffuseurs historiques » (en l’occurrence Canal Plus, qui avait noué un partenariat avec BeIn Sports en 2012, la chaîne qatarie en lien avec l’arrivée des investisseurs au Paris Saint-Germain une année plus tôt). Un épisode inédit qui arrive dans l’une des périodes les plus difficiles pour le monde, sur le plan sanitaire et économique. Les clubs étaient encore plus dépendants de ces revenus grâce aux droits TV.

Une situation prévisible ?

Dès l’appel d’offres lancé en 2018, le groupe espagnol Médiapro ne faisait pas l’unanimité. En effet, totalement inconnu en France, ce dernier n’avait pas bonne réputation dans le football, pour les mêmes raisons qui frappent aujourd’hui la Ligue de Football Professionnel et la Ligue 1 : un défaut de paiement des mensualités à verser pour diffuser les matchs et les émissions.

En Février 2018 (soit quelques mois avant l’appel d’offres pour le championnat français sur la période 2020-2024), Médiapro, fondé et présidé par Jaume Roures, acquiert les droits de la Serie A, le championnat de l’élite italien de football, pour la modique somme de 1,05 milliard d’euros par an (période de 2018 à 2021). Comme en France avec Canal Plus, cette action des dirigeants du football italien n’avait pas été du goût des diffuseurs historiques que sont Sky et Mediaset.

Un défaut de paiement qui avait été compensé à l’époque, premièrement par l’arrêt complet des négociations par la Ligue Italienne de Football lorsque Médiapro ne versa pas le premier solde prévu. Deuxièmement par le rachat des droits TV par Sky et DAZN pour une somme moindre (973 millions), mais qui reste plus élevée que le cycle précédent (2015-2018)

Une question se pose alors : pourquoi la Ligue de Football Professionnel a laissé le groupe Médiapro acquérir les droits de la Ligue 1, pour une somme alors record dans le championnat français, alors qu’un cas similaire s’est produit dans le pays transalpin ? Deux raisons peuvent tenter d’expliquer ce coup de folie des dirigeants français.

Tout d’abord, il était nécessaire de trouver un montant qui soit supérieur aux précédentes négociations. En effet, l’exemple anglais a prouvé qu’une somme importante des droits TV permettrait aux clubs français, de plus en plus dépendants des retombées de cet argent (dépendance accentuée avec la crise de la COVID-19), d’être plus compétitifs et d’attirer de meilleurs joueurs. En d’autres termes, la France avait besoin d’argent pour se faire une place dans les compétitions européennes, car ces dernières années, seul le Paris Saint-Germain et ses investisseurs qataris arrivent à faire bonne figure face aux cadors européens.

La deuxième raison est que Médiapro arrivait avec des garanties sur le plan de la programmation TV. Véritablement, le groupe espagnol, inconnu et sans chaîne créée jusqu’alors, la Ligue voyait d’un bon œil l’arrivée d’un nouvel acteur sur les antennes. Une chaîne entièrement dédiée à la Ligue 1 (avant un partenariat avec le groupe SFR qui offrait la possibilité à Téléfoot de diffuser les compétitions européennes), c’était l’occasion de voir la Ligue 1 sous de nouveaux horizons.

L’après Médiapro

Après cet immense échec, le football français se devait de réagir, et dans les plus brefs délais. Pendant que Médiapro continuait de diffuser la Ligue 1 gratuitement, de nombreuses discussions, hypothèses et rumeurs font leur apparition pendant de nombreuses semaines.

Et un diffuseur se présente comme une réponse à ce SOS d’une Ligue 1 en détresse : Canal Plus. Le diffuseur historique de la Ligue 1 depuis sa création en 1984 et ce fameux match Nantes – Monaco le 9 novembre. Le groupe présidé par Maxime Saada est le grand favori pour récupérer les droits de la Ligue 1, mais pas à n’importe quel prix. Si en 2018, les enchères étaient trop hautes, ce n’est pas dans un contexte économique et sanitaire des plus compliqués que la chaîne cryptée peut se permettre d’aligner la même somme que son homologue espagnol. À moindre coût (le total exact n’a pas été rendu public, mais il se situerait aux alentours de 680 millions), Canal Plus a réussi à récupérer les droits de la Ligue 1, grâce à une garantie qui avait fonctionné avec Médiapro : une nouvelle chaîne, incluse dans les abonnements de Canal Plus, pour limiter la facture des consommateurs. Le seul point négatif est que tous les lots n’ont pas été présents lors de l’appel d’offres, ainsi Canal n’a pas pu renégocier les lots que le groupe possédait déjà. Tout le monde est gagnant, puisque le consommateur économise l’abonnement Téléfoot et n’a besoin que de l’abonnement Canal Plus pour suivre l’intégralité des matchs de Ligue 1 (aucun surcoût puisque 2 matchs étaient à suivre sur Canal Plus). Enfin, la Ligue ne voulait pas prendre un autre risque avec un diffuseur externe tel que DAZN ou Amazon, présents dans la course pour obtenir les droits.

L’avenir semblait radieux avec Téléfoot : une nouvelle chaîne, des consultants connus sur d’autres chaînes qui avaient fait leurs preuves, des consultants joueurs, et un meilleur revenu pour les clubs. Malheureusement, comme souvent, l’argent a gâché cette belle aventure humaine que Thibault Le Rol, Smaïl Bouabdellah ou encore Anne-Laure Bonnet pour ne citer qu’eux, aimaient prôner. Canal Plus a retrouvé sa place de diffuseur historique, sa place de leader auprès des consommateurs de football.

Jérémy Rencien

Mars 2021

SOURCES :

Les lots de Médiapro et la répartition des droits TV

Le ratio des revenus audiovisuels sur le budget des clubs

Médiapro, pas à leur coup d’essai

Le retour de Canal Plus en tant que diffuseur de la Ligue 1, mais le groupe n’aura pas gain de cause sur ses propres lots, malgré une baisse du prix des lots de Mediapro