Le monde est en constante évolution. La révolution technologique nous a démontré que ce qui peut paraître inimaginable aujourd’hui est en vérité réalisable demain. Ainsi au cours de ce troisième et dernier article, nous allons nous intéresser aux perspectives d’évolution du neuromarketing appliqué au e-commerce, qui peuvent être considérables dans les années à venir.

Le neuromarketing en général est soumis à de nombreux préjugés : pour certains, ce n’est ni plus ni moins qu’une discipline s’apparentant à de la manipulation, dans le but de vendre davantage. L’utilisation de l’IRMf dans le cadre de cette pratique fait grandement débat : étudier le cerveau des consommateurs pour mieux le manipuler n’a-t-il pas pour objectif de les déposséder de leur libre-arbitre ? C’est pourquoi l’IRMf dans le domaine du marketing tendra sûrement à disparaître dans les années à venir pour privilégier des techniques de mesure à première vue plus éthiques, légales et moins coûteuses. Elles se rapprocheraient de celles utilisées actuellement pour comprendre le comportement des consommateurs grâce aux mouvements pupillaires (oculométrie), la respiration ou encore les expressions micro-faciales (« facial coding »). Ces outils permettront, en quelques sortes, de « démocratiser » le neuromarketing, le rendant ainsi plus accessible. On peut donc supposer que d’ici quelques années, davantage d’entreprises auront la possibilité d’appliquer cette discipline dans leur stratégie de développement.

Le e-commerce, lui, n’a jamais connu un succès aussi considérable. Aujourd’hui, on n’achète plus seulement sur son ordinateur, mais également via son smartphone : on parle de « m-commerce » (mobile-commerce). Déjà exigeant, le consommateur le sera d’autant plus dans les années à venir. Il s’agira alors de le séduire en lui proposant de vivre une expérience utilisateur mémorable, aussi bien sur ordinateur que sur mobile.

Et si, grâce aux futures avancées technologiques et celles qui sont déjà en marche, l’internaute ne distinguait plus la barrière entre le réel et le virtuel ?

Le marketing sensoriel digitalisé

Au cours du premier article, nous avons évoqué, succinctement, l’utilisation du marketing sensoriel, véritable arme de séduction, par les enseignes physiques. D’après un rapport d’étude réalisé en 2019 par Mood Media, «75% des acheteurs se disent plus susceptibles de rester plus longtemps dans un commerce s’ils apprécient la musique, les éléments visuels et les senteurs ».[1] De plus, et toujours d’après cette étude, un consommateur allongera en général son temps de visite de 6 minutes dans un magasin appliquant le marketing sensoriel. C’est donc une réelle opportunité à saisir pour les enseignes afin d’accroître leurs ventes. Aujourd’hui, il nous semble difficile d’appliquer le marketing olfactif, tactile, ou encore gustatif au numérique. Difficile, mais pas impossible.  

Marketing olfactif

L’odeur a une véritable influence sur nous, consommateurs. En effet, l’odorat, lié à la mémoire profonde, peut déclencher en nous de vives émotions. En magasin physique, une odeur agréable provoquera auprès du visiteur un sentiment de bien-être, l’invitant inconsciemment à rester plus longtemps. Et si les sites e-commerce pouvaient utiliser l’odorat des internautes pour vendre davantage ?

Exhalia, entreprise française spécialisée dans le marketing olfactif a développé une clé USB, dotée d’un système de diffusion d’odeurs. Lorsque l’on branche l’objet à un ordinateur, un effluve s’en dégage alors. Si aujourd’hui, elle est principalement vendue comme objet publicitaire, l’entreprise souhaite développer le concept. Ainsi, lors de la visite d’un site en particulier, la clé USB se mettrait à diffuser des senteurs en accord avec l’image de marque du site grâce à un pluggin installé préalablement sur l’ordinateur.

Et si, d’ici quelques années, un système de diffusion d’odeur était directement intégré dans chaque ordinateur et smartphone ? Prenons un exemple : alors que vous naviguez sur le site Aromazone, expert naturel en soin et beauté, une odeur d’huile essentielle vient vous chatouiller les narines. Pourtant, rappelons-le, vous êtes confortablement installé chez vous. Vous venez de vivre une expérience sensorielle agréable qui vous a ainsi immergé dans l’univers de la marque.

On peut ainsi supposer que chaque site marchand en ligne possédera sa propre odeur d’« ambiance », et que sentir une fragrance via son appareil deviendra tout aussi anodin que sentir une fragrance en magasin.  

Et si le marketing olfactif allait bien plus loin ? Et si nous avions la possibilité de sentir certains produits proposés à la vente comme les parfums, les produits cosmétiques, ou alimentaires ? Prenons l’exemple de ces premiers : difficile de choisir celui qui nous conviendra quand on ne peut le sentir au préalable. Ainsi, grâce au système de diffusion d’odeurs, le consommateur aurait la possibilité de sentir le parfum. Le marketing olfactif appliqué au e-commerce permettrait au consommateur de se laisser séduire par l’univers de la marque, mais également de l’aider dans sa décision d’achat d’un produit en particulier.

Marketing tactile

Qui n’a jamais touché, palpé un produit en magasin pour évaluer sa qualité et ses fonctions ? D’après le rapport d’étude réalisé en 2019 par Mood Media, 56% des consommateurs déclarent que le toucher est le principal facteur les aidant dans leur prise de décision finale.[2]

Toucher un objet derrière un écran nous semble impensable, et pourtant cela serait réalisable grâce à une technologie dite « haptique », qui permet une communication entre l’Homme et la machine.  Aujourd’hui, cette technologie est appliquée à nos smartphones : elle se caractérise par une légère vibration lorsque nous appuyons sur une touche de notre écran en particulier. HAP2U, start-up grenobloise, a décidé d’utiliser cette technologie haptique pour donner l’illusion de toucher une matière. Ils ont ainsi pu reproduire le toucher d’écailles d’un poisson sur un smartphone, comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous.

« La technologie mise au point repose, pour vulgariser, sur des micro-vibrations provoquant une onde magnétique qui va se répandre dans les écrans ».[3]

Bien que le concept soit encore en phase de développement, il offre des perspectives intéressantes pour les années à venir. Imaginons que dans vingt ans, nous puissions ressentir la texture d’un oreiller ou encore la douceur d’un pull cachemire à travers un écran… Ainsi, le client pourrait se rendre réellement compte de la qualité du produit, facilitant sa décision d’achat.  

Marketing gustatif

Alors que vous faites vos courses alimentaires, un commercial vient à votre rencontre et vous propose de goûter le dernier produit phare : une boisson à la grenade. Sans hésiter, vous acceptez de tenter l’expérience. Après dégustation, et conquis par le produit, vous décidez d’en acheter deux bouteilles. S’il est facile de séduire le consommateur en magasin physique grâce au marketing gustatif, il en est tout autre pour le e-commerce. En effet, le goût est un sens qui semble impossible à digitaliser. Et pourtant !

Nimesha Ranasinghe, chercheur sri-lankais, a développé une « Digital lollipop » (sucette digitale) qui permet, grâce à des courants électriques, de reproduire des saveurs.

Si aujourd’hui, le projet n’en est qu’au stade de prototype, pourquoi ne pas imaginer son application aux sites e-commerce dans les années à venir ? On pourrait ainsi goûter « virtuellement » un produit grâce à une technologie ressemblant à la « Digital lollipop ». Outre son côté ludique, ce serait un moyen efficace de convaincre l’utilisateur d’acheter le produit. Prenons un exemple : cette semaine, vous recevez des amis et vous souhaitez les surprendre en leur préparant un bon dîner. Cependant, il vous manque un ingrédient phare : la sauce pour accompagner votre plat principal. Vous décidez donc de vous rendre sur une épicerie en ligne. Après avoir parcouru les différents produits, vous hésitez entre deux sauces. Pour choisir celle qui viendra au mieux accompagner votre plat, vous décidez alors d’utiliser la sucette électronique. Ainsi, grâce à cette dernière, vous avez la possibilité de « goûter » du bout de votre langue, le produit et de choisir la sauce qui vous conviendra.

Marketing visuel

Bien que la vue soit le seul sens actuellement sollicité par le e-commerce, nous pouvons imaginer que d’ici quelques années, les nouvelles technologies, comme la réalité virtuelle, seront utilisées de manière fréquente par les internautes. Aujourd’hui, la réalité virtuelle appliquée à la vente ouvre un grand champ des possibles. De nombreux magasins physiques profitent déjà des avantages qu’elle a à offrir. Nous pouvons ainsi citer l’exemple d’Eram, marque spécialisée dans la chaussure qui, en 2017, proposait à ses clients de découvrir leur nouvelle collection grâce à la réalité virtuelle, en boutique, mais également sur leur site e-commerce. Ainsi, cette technologie a permis d’inviter le client dans l’univers de la marque et plus particulièrement de la nouvelle collection.

Et si dans l’avenir, nous avions la possibilité de vivre une expérience semblable à celle vécue en magasin physique sans sortir de chez nous ? En 2016 et le temps d’une journée, Alibaba, le géant chinois a décidé de proposer à ses clients de réaliser leurs achats grâce à la réalité virtuelle. Le consommateur se retrouvait alors totalement immergé dans l’ambiance d’un vrai magasin.

Comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessus, le magasin paraît plus vrai que nature. Un conseiller vient même vous accueillir en vous proposant son aide. Vous pouvez ainsi vous promener dans le magasin, flâner entre les rayons, et réaliser un achat … tout en restant chez vous !

Le marketing sensoriel digitalisé offre ainsi des perspectives d’avenir intéressantes : il permettrait d’inviter l’internaute à vivre une expérience unique en faisant appel à ses sens, donc émotions. Évidemment, cette pratique n’est pas désintéressée. En vivant une expérience sensorielle, le consommateur va alors « baisser la garde », et ainsi être plus facilement influençable. Par conséquent, le marketing sensoriel digitalisé aurait un impact direct sur le taux de conversion d’un site e-commerce.

L’ultra-personnalisation d’un site grâce aux émotions

Selon Milan Bernard, « La personnalisation, c’est penser son site pour l’utilisateur, donc le rendre unique et obtenir un niveau de conversion maximal. C’est une vraie clef de performance. »[4]

D’après l’ouvrage « L’absolu Marketing », écrit par Brunot Teboul et Jean-Marie Boucher, l’idée de rendre un site personnalisable n’est pas nouvelle. En effet, en 2000, La Redoute souhaitait proposer au consommateur un site 100% personnalisé en se basant sur son identité, son historique d’achat ou encore ses heures de connexion. Le site pouvait ainsi théoriquement offrir 8 milliards de versions. À l’époque, le projet n’a pu aboutir car une telle masse d’informations était difficilement gérable.[5]

Une vingtaine d’années plus tard, les sites e-commerce ont désormais la capacité de personnaliser leur interface en fonction du consommateur en se basant sur des données telles que les articles consultés, le temps passé sur le site … Et si cette personnalisation allait encore plus loin ? Imaginons qu’elle soit rendue possible grâce à l’analyse des émotions de l’internaute. Mais comment examiner ces dernières ? On peut imaginer que d’ici quelques années, ordinateurs et portables posséderont une caméra révolutionnaire permettant d’analyser les émotions de l’utilisateur grâce à l’observation de ses expressions faciales.  

Prenons un exemple : vous vous rendez sur le célèbre site Amazon à la recherche d’un jeu de société qui plaira sans aucun doute à toute la famille : le Monopoly.  Problème : l’article est en rupture de stock. La caméra va détecter votre frustration. Une fenêtre va alors s’ouvrir, vous indiquant qu’un mail vous sera envoyé lorsque le produit sera de nouveau disponible. Cela ne vous convient toujours pas : qu’est-ce qui vous retient d’aller rechercher le même produit sur un site concurrent ? Le site va alors vous proposer un code promotionnel valable sur votre prochain achat, vous convaincant alors de patienter quelques jours.

Ainsi, grâce à la détection de vos émotions, le site a pu proposer une réponse à votre frustration. Dans un premier temps, cela va permettre de satisfaire votre demande, mais également, et surtout, au site d’éviter de perdre un précieux client.

Et si un site e-commerce pouvait également vous proposer une gamme de produits en fonction de votre humeur ? En 2017, Uniqlo, entreprise de textile, a mis en place dans une boutique physique en Australie, une machine équipée d’un capteur cognitif permettant de proposer au client le tee-shirt idéal en fonction de son humeur.[6] Bien que l’expérience ait été réalisée dans un magasin physique, pourquoi ne pas l’imaginer appliquée au e-commerce, et ce, grâce à la caméra intelligente ?

Vous rentrez d’une dure journée de travail, mécontent car votre projet sur lequel vous avez travaillé durant des semaines n’a pas convaincu votre supérieur. Pour vous détendre, vous décidez de vous rendre sur Nature et Découvertes, votre site préféré. Ce dernier va alors vous proposer, en détectant votre stress et épuisement, une gamme de produits pour vous aider à vous détendre : coussin masseur, coffret massage, plaid… Le site répond alors directement à vos besoins, avant même que vous n’ayez à parcourir le catalogue d’articles.

On peut citer davantage d’exemples d’actions réalisables grâce à cette caméra intelligente : l’adaptation des couleurs d’un site par rapport à l’humeur de l’internaute ou encore l’adaptation du contenu par rapport à l’âge de la personne (si la personne est âgée, on augmentera alors la taille de la police du texte).

Ainsi, le champ des possibles de l’ultra-personnalisation est quasiment infini. Son objectif sera avant tout de proposer une expérience client la plus optimisée en réduisant le plus possible les risques de frustration de l’internaute. Ainsi, ce dernier sera plus apte à réaliser un achat.


À travers cet article, j’ai évoqué deux perspectives d’évolution du neuromarketing appliqué au e-commerce : la digitalisation du marketing sensoriel, ainsi que l’ultra-personnalisation d’un site rendu possible grâce à une caméra qui détecterait les émotions de l’internaute. Cependant, notons que quelques limites peuvent alors se poser.

Concernant le marketing sensoriel digitalisé, des abus de la part de certains sites e-commerce peuvent être à prévoir. Prenons l’exemple du marketing tactile digitalisé : pourquoi ne pas rendre plus douce une veste qu’elle ne l’est en réalité ? De même pour le marketing olfactif : imaginons qu’un site rende plus intense l’odeur d’un parfum… Le consommateur serait donc dupé et le produit qu’il achèterait ne répondra pas à ses attentes.

De plus, bien qu’il offre une dimension ludique à l’expérience client, le marketing olfactif peut se révéler quelque peu intrusif. Chaque individu a ses préférences : une odeur agréable pour une personne peut être déplaisante pour une autre. Pour pallier ce problème, on peut imaginer que les internautes auront la possibilité d’activer ou non certaines fonctionnalités.

En ce qui concerne l’ultra-personnalisation d’un site possible grâce à une caméra intelligente, un problème d’ordre éthique se posera sûrement. Les techniques actuelles utilisées dans le cadre du neuromarketing sont déjà pour certains, et à juste titre, immorales. Imaginez qu’aujourd’hui, on vous propose d’équiper vos ordinateurs et smartphones d’une caméra intelligente permettant de détecter vos émotions ? Accepteriez-vous d’être constamment observé au profit du commerce ?  À l’heure actuelle, 99,9 % de la population s’opposerait sûrement à cette idée … Mais cela sera-t-il toujours le cas dans une dizaine d’années ?

Je finaliserai mes recherches avec les propos marquants rapportés dans l’ouvrage « L’absolu Marketing » par Marcel Just, anciennement professeur au Center for Cognitive Brain Imaging à l’université de Carnegie Mellon :

« On aura peut-être un petit matériel portatif, avec lequel on pourra voir ce qui se passe dans le cerveau d’un autre. Ce sera un peu comme un camp de nudisme mental. Je ne sais pas comment éviter que ce soit mal utilisé. (…) Est-ce mauvais si chacun sait à quoi vous pensez ? Ce sera la fin de la vie privée. Au fur et à mesure que la science se développe, les possibilités de manipuler, en bien ou en mal, l’être humain sont absolument énormes. Je crois que nous pouvons modifier la race humaine. Voulons-nous créer une nouvelle espèce ? Je crois que nous en aurons les moyens. C’est au-delà de tout ce que je peux imaginer. Le voulons-nous vraiment ? c’est une des formidables questions auxquelles nous aurons à répondre. Et c’est pour bientôt. »[7]

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SOURCES

[1]  Mood Media, “Quantifier l’impact du marketing sensorial”, 2019, https://moodmedia.fr/wp-content/uploads/2019/11/2019-Power-of-Sensory-Study-FR.pdf

[2] Mood Media, « Quantifier l’impact du marketing sensorial », 2019, https://moodmedia.fr/wp-content/uploads/2019/11/2019-Power-of-Sensory-Study-FR.pdf

[3] 20minutes, « Isère: Ils veulent vous offrir la sensation de toucher ce que vous voyez sur écran », 2018, www.20minutes.fr

[4] MILAN, Bernard, interview professionnelle du 21/01/2020

[5] TEBOUL, Bruno, BOUCHER, Jean-Marie, L’Absolu Marketing, Bluffy, 2013, Kawa, 296 pages, p.106

[6]  Les numériques, « Avec Umood, Uniqlo analyse votre humeur et l’associe à un t-shirt », 2017

[7]  TEBOUL, Bruno, BOUCHER, Jean-Marie, L’Absolu Marketing, Bluffy, 2013, Kawa, 296 pages, p.42