https://vivrehealthy.com/2018/06/04/penne-aux-legumes-du-soleil-concours-carrefour-veggie/

Depuis 10 ans, le marché de la viande connaît une véritable transformation, du fait des nouveaux comportements de consommation de ses produits. La demande est donc en réelle évolution, puisqu’elle consomme moins, différemment, et se tourne vers des alternatives. Or face à une demande qui change, et dans une logique de marché, l’offre doit impérativement suivre pour satisfaire sa clientèle actuelle, la fidéliser, et en séduire une nouvelle. Certes, leur activité n’a pas été un long fleuve tranquille, avec des scandales comme la crise de la vache folle, la viande de cheval… mais jusque-là, les acteurs de l’agroalimentaire se reposent depuis toujours sur des français très amateurs de produits carnés. Avec l’émergence de ces nouveaux consommateurs, c’est une autre histoire, puisqu’il ne s’agit pas là d’une crise avec un retour à la normale prévue, mais d’une transformation durable que les professionnels du secteur doivent considérer, et à laquelle ils doivent s’adapter. 

LES GRANDS ENJEUX POUR LES ACTEURS DE L’ALIMENTAIRE

Mais pourquoi s’adapter alors, si une grande majorité de français reste grande amatrice de viande ? On pourrait considérer que l’offre actuelle répond aux besoins de tous les profils : d’un côté, les entreprises X dont la viande fait une partie (ou la totalité) du business, répondent à une demande de viande, tandis que de l’autre côté, les entreprises Y répondent à la demande d’alternatives. Cependant, on attend des entreprises X qu’elles proposent également des alternatives puisqu’elles excluent une partie de la demande, tandis qu’un viandard pourra techniquement être client chez l’entreprise Y. 

Globalement, les enjeux pour les marques sont forcément économiques puisqu’elles cherchent à optimiser leur profit, dans un marché en pleine explosion. Dans le détail, les raisons de faire évoluer son offre sont multiples.

La première répond à l’objectif de garder sa clientèle, en séduire une nouvelle. Si les consommateurs d’une marque comme Charal, Burger King ou même Super U… changent leurs habitudes, alors, ils se tourneront naturellement vers les acteurs du marché qui répondent au mieux à leur besoin. Or, quand on sait que fidéliser sa clientèle coûterait 5 fois moins cher que d’en acquérir une nouvelle, alors on se rend compte de l’importance de garder celle-ci à travers notamment des efforts d’adaptation de l’offre. Au-delà de garder sa clientèle, faire évoluer son offre est également un moyen d’attirer une nouvelle clientèle. D’une part, parce que cela permet de récupérer la clientèle frustrée de la concurrence, d’une autre part, parce que cela attire les nouveaux consommateurs, frustrés par d’autres ou non.
Un autre enjeu pour la marque est un enjeu d’image. Quand on sait que ces nouveaux régimes répondent en partie à des problématiques écologiques et éthiques, alors on peut se dire que les acteurs qui ne s’adaptent pas n’ont ni conscience, ni intérêt pour ces sujets de société, et qu’ils en sont même un frein. Une position d’autant plus contestable que ces acteurs sont attendus comme des moteurs qui donnent l’exemple, et qui ont le pouvoir d’influencer ces évolutions : c’est souvent la demande qui change l’offre, mais dans certaines situations on compte sur l’offre pour permettre à la demande d’évoluer. De plus, une marque spécialisée dans la viande, même si c’est son cœur de métier, pourra être négativement perçue si elle ne propose pas d’alternative, dans le sens où elle exclut une partie de la population. C’est une question que j’ai posé au panel que j’ai regroupé. “Quelle image avez-vous d’un Fast-Food comme KFC, qui ne propose aucun plat végétarien ?”. Si tous les viandards et flexitariens que j’ai réuni s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas de problème puisque c’est le principe de l’enseigne, c’est un choix discutable pour les végétariens qui se sentent exclus. Faire évoluer son offre évite donc tout jugement négatif sur la marque, mais au-delà de cela c’est aussi un vrai apport positif en termes d’image. Déjà parce que, pour les flexitariens, végétariens et vegans, plus une marque répond à nos besoins, plus on l’apprécie, mais au-delà de ça, parce qu’une marque qui remet en question son offre très carnée pour proposer des alternatives sera vue comme une marque plus sensible au bien-être animal et à la préservation de l’environnement, des sujets d’actualité, tendances, durables, qui augmenteront la cote de ces marques auprès des consommateurs. 

QUELLES ALTERNATIVES SONT POSSIBLES ?

Jusque-là, j’ai plusieurs fois évoqué les “alternatives” que doivent proposer les acteurs du marché, sans les présenter. Proposer des offres végétariennes, ce n’est pas seulement retirer le steak de l’assiette, et proposer le même plat sans viande uniquement. La viande étant source de protéine et de goût, il est important, non pas de la retirer mais de la remplacer (plus compliqué), pour des questions de santé et de plaisir. Deux grandes solutions existent.

La première solution réside en la viande végétale. Une qualification certes qui peut faire sourire, puisque l’on désigne ces substituts par deux mots qui semblent pourtant se contredire : de la chair animale… faites de légumes ! Des produits donc, qui empruntent les qualités esthétiques d’un steak haché, de nuggets ou encore de boulettes de bœuf, et qui tentent de se rapprocher de ces produits gustativement, à tel point qu’on pourrait jouer un tour à certains en faisant passer ces substituts pour des produits d’origine. C’est d’ailleurs ce que s’est amusé à faire mon père il y a quelques années, en présentant devant moi un steak 100% végétal, et un steak constitué à 50% de viande de bœuf, et 50% de végétaux. Après avoir goûté aux deux, je désigne le mélange animal/végétal comme étant le meilleur, les 50% de viande sauvant le goût du steak. Vous l’aurez deviné, les deux steaks étaient 100% composés de végétaux, il n’y avait pas un gramme de chair animale dedans. Cette petite expérience prouve bien que ces substituts constituent des solutions crédibles, et montre toute l’absurdité de notre réflexion psychologique dans notre consommation. En effet, d’un côté, les végétariens font en sorte qu’un steak végétal ressemble à un vrai steak pour berner leurs cerveaux et accepter l’absence de produits carnés. De l’autre, les viandards sont persuadés qu’il est inconcevable de remplacer la viande car trop culturelle, pour autant, comme dans l’exemple donné, ils pourraient aussi être trompés par leurs convictions. On voit donc que la psychologie et la culture jouent beaucoup, et que c’est notamment en les remettant en question qu’on peut véritablement changer sa façon de consommer.

https://www.saveurs-bio.fr/steak-hache-vegetal-gluten-hamburger/

Mais revenons à la viande végétale. Si elle existe c’est, comme évoqué, parce qu’elle berne le cerveau et rend sa consommation moins cruelle pour le viandard, mais pas seulement… Outre sa forme et son goût, les acteurs qui y font appel ont d’autres raisons. On a tendance à penser qu’il suffit d’enlever le morceau de viande d’un plat pour que ce dernier puisse être désigné comme étant végétarien. Techniquement, oui. Mais d’un point de vue culturel et nutritif, ne pas proposer d’alternative peut poser question. Premièrement parce que, enlever le morceau de viande réduit l’apport de protéine si cette dernière n’est pas compensée dans l’accompagnement, et deuxièmement, parce que culturellement, un plat principal classique (en restauration d’autant plus) est composé d’un morceau de viande et de son accompagnement. Et que si on appelle les légumes/féculents “accompagnements”, c’est bien qu’ils doivent accompagner quelque chose. Dans les grandes surfaces, au rayon plats préparés, vous trouverez rarement des plats comme “Purée de pomme de terre” ou “Pâtes sauce tomate”, puisque ces derniers ne constituent qu’un élément secondaire de l’assiette. Et pour ajouter la pièce maîtresse du plat, on y ajoute alors des morceaux de viande, car plus simple, plus culturel, même en infime quantité, dans les salades par exemples où quelques petits morceaux de poulet font l’affaire, mais suppriment définitivement le plat du panier du végétarien. Dans la restauration comme dans la grande distribution, c’est à ce problème que la viande végétale tente d’apporter une solution, via des produits qui cherchent à imiter l’apport nutritionnel (grâce à certains végétaux) et le goût de ce qu’on a l’habitude de manger habituellement.  

Si la viande végétale est une bonne solution, elle connaît aussi certaines limites : son goût n’est pas toujours au rendez-vous, son prix non plus d’ailleurs. Dans certains cas, l’imitation de produits carnés n’est même pas nécessaire. Un remplacement de la chair animale par autre chose peut être suffisant pour pouvoir profiter d’un plat réputé et apprécié, pourtant traditionnellement composé de viande.  Il y a donc possibilité dans un plat classique, de remplacer la viande par un autre aliment, sans chercher à l’imiter pour autant : lasagnes végétariennes ou chili sin carne par exemple. Mais pourquoi s’inspirer naturellement des plats carnés traditionnels ? N’est-ce pas ici une faiblesse que concèdent les végétariens en admettant qu’un bon plat est un plat à base de viande, que les repas végétariens cherchent à produire presque à l’identique ? D’une certaine manière oui, puisqu’il est indéniable que la viande reste un produit dont le goût est presque addictif, ce qui explique pourquoi on cherche à la copier quand on adopte un nouveau régime.

LES PROFESSIONNELS DE L’ALIMENTATION ACCÉLÈRENT

Pour les professionnels de l’alimentation, les enjeux du marché végétarien sont de taille, et les alternatives existent. Comme sur tout marché en croissance, il est intéressant pour les entreprises d’y trouver une place en répondant à une certaine clientèle. Des concepts 100% végétariens aux géants de la viande, chacun a donc des intérêts et plus ou moins de légitimité à créer/adapter leurs offres.

La prise de conscience est récente à grande échelle, et elle entraîne donc logiquement une forte hausse de la demande. En face, l’offre prend du temps à réagir : d’abord parce que bouleverser son offre ne se fait pas en un claquement de doigts, mais aussi parce que la proportion de cette nouvelle demande reste – pour l’instant – relativement faible par rapport à l’ensemble des français bien attachés à leurs habitudes de consommation. On compte ainsi environ 2,5% de végétariens. Ainsi, même si la communauté végétarienne pourra essayer de faire penser le contraire pour attirer de nouveaux adeptes, aujourd’hui le régime végétarien reste bien synonyme d’un choix restreint, puisque les alternatives proposées restent légères dans l’ensemble. Cependant, avec un marché en forte croissance, des possibilités de plus en plus nombreuses et sûrement aussi, des prises de conscience de leur côté (éthique ou écologique), les acteurs de l’alimentation ont tout de même décidé de passer à la vitesse supérieure. 

Des plats végétariens à la carte

Si l’offre globale reste encore limitée, elle s’active tout de même pour répondre, petit à petit, à une demande grandissante. 

Du côté de la restauration, depuis longtemps déjà il est possible de trouver des plats sans viande, même si ce n’est pas toujours le cas. Dans son livre No Steak, Aymeric Caron, l’auteur végétarien, raconte plusieurs situations où il s’est retrouvé dans des restaurants qui ne proposaient pas de plat sans viande et où il a dû demander soit un plat de la carte sans morceau de viande, soit la préparation d’un plat simple (salade omelette par exemple). Les plats végétariens proposés ne sont certes pas très nombreux, mais ils ont le mérite d’exister. Indiqués d’une certaine manière sur les cartes, ils sont facilement repérables et facilitent la prise de commande du client. Outre la restauration classique qui propose sans grande surprise ces plats alternatifs depuis un moment déjà, c’est la prise en compte de cette demande par les fast-food qui d’une part surprend, mais d’une autre part, semble réellement révélateur de l’ampleur que prend ce mouvement.

Les fast-food en mode steak végétal.

Quand on pense fast-food, on pense malbouffe, viande en quantité (double voire triple steak dans tous les burgers), absence d’éthique, classes populaires qui profitent d’un repas calorique à prix réduit… à priori donc, on en a une image qui semble plutôt hostile au régime végétarien, réputé pour être sain, cher et éthique. Pourtant, conscients de l’avenir du régime, les géants du marché proposent un à un et depuis peu, des produits sans chair animale. McDonald’s par exemple, a considérablement revu son offre en quelques années. Il y a peu encore, l’enseigne ne proposait qu’en édition limitée et sur certaines périodes, le Grand Veggie, un burger avec un steak végétal. Fort de son succès et du contexte sociétal, McDonald’s a étendu son offre : 3 sandwichs sont ainsi disponibles de manière permanente.
Et qu’en est-il des autres Fast-Food ? Pourtant souvent gagnant dans leur fameuse guerre de communication, Burger King a déjà pris un peu de retard sur son grand rival en ne lançant que très récemment son premier sandwich végétarien, un wrap au fromage et aux oignons. Pour KFC, qui tire sa réputation du fameux poulet frit, la manœuvre semble plus délicate : difficile d’imiter esthétiquement du poulet, mais surtout difficile de parier sur des alternatives végétariennes quand on est spécialiste de la viande. 

Fastfood, meilleur ami ET pire ennemi des végétariens.

Mais alors quand on est une multinationale comme McDonald’s ou Burger King, et qu’on cherche le profit au détriment du bien-être animal et de l’environnement, s’emparer du sujet végétarien n’est-il pas un peu contradictoire et illégitime ? Est-ce que ces enseignes ont réellement eu une prise de conscience, ou n’est-ce finalement pas juste de l’opportunisme pour s’enrichir davantage, rendant l’action encore moins éthique ?

De mon point de vue, il est vrai que ces multinationales vont à l’encontre des raisons qui poussent de nombreuses personnes à devenir végétariennes puisqu’elles polluent la planète et ne respectent pas le bien-être animal. Sur le papier donc, et pour beaucoup de personnes, les fast-food sont les ennemis des végétariens, avec des valeurs opposées. Cependant, je vois pourtant dans ces initiatives un réel coup de pouce à la cause végétarienne. En effet, aujourd’hui, le régime végétarien souffre de son image. Comme je j’approfondirai plus tard dans cet article, quand on pense végétarien aujourd’hui, on pense au bobo CSP+, d’une trentaine d’années, qui mange des plats healthy, écologiques, avec des produits locaux, tout ça sans prendre de plaisir. Quel intérêt un étudiant de 20 ans, qui aime manger gras pour pas cher, aurait de devenir végétarien ? Trop compliqué, trop cher, trop de moqueries… Le végétarisme n’est pas assez démocratisé, il appartient à une petite partie de la population qui doit s’assumer, et qui à la vue de la société, doit avoir honte de son régime. C’est à ce problème que les initiatives – certes limitées quantitativement et éthiquement – des fastfood apportent une solution. En effet, en proposant de la Junk Food végétarienne, les acteurs du marché démocratisent le végétarisme et cassent les clichés auprès de leur jeune clientèle. On reproche au Burger Veggie de McDonald’s d’avoir en fait plus de calories (763 kcal) qu’un Big Mac (503 kcal). Et alors ? Si on vient dans un Fast-Food, à priori on ne regarde pas ce genre de détails, mais on vient plutôt pour le plaisir que procure un bon burger… Le chemin est encore long certes, puisque l’offre reste limitée et principalement prisée par les végétariens eux-mêmes, mais elle reste une opportunité parmi d’autre pour en finir avec les freins que rencontrent les flexitariens qui veulent devenir végétariens.

https://www.wedemain.fr/McDo-Burger-King-KFC-Quand-la-malbouffe-devient-veggie_a4484.html

Dans l’ensemble, les fast-food font donc évoluer leur offre plutôt pour répondre à une nouvelle demande, jugée intéressante économiquement à l’avenir, que pour répondre à de réelles questions éthiques ou écologiques, et c’est dans ce sens que les idées divergent avec les régimes flexitariens, végétarien ou végétalien. Mais d’un autre côté, ils participent à la démocratisation du végétarisme, dont a bien besoin le régime, en montrant qu’il est possible de se faire plaisir sans forcément consommer de chair animale.


Grande distribution : quel constat ?

Dans la grande distribution, l’offre qui est proposée dépend de 2 grands types d’acteurs : l’enseigne de grande distribution elle-même via les marques de distributeurs (MDD), et l’ensemble des marques référencées, dont le référencement est géré par le distributeur, mais pas l’offre en elle-même.

Côté MDD, les distributeurs ont pris les choses en main depuis peu en lançant des gammes entières de plats préparés ou d’aliments végétariens. Les premiers l’ont lancé dès 2015, assez récemment donc : Carrefour avec « Veggie », Auchan avec « Envie de Veggie », Système U avec « Bon et Végétarien », Les Mousquetaires avec « Veggie Marché », Monoprix avec « Le Végétal ». Carrefour est l’un des pionniers sur ce marché. L’enseigne a d’une part su analyser les tendances générales à suivre, mais a surtout fait appel à ses propres clients pour savoir ce qu’ils attendaient : en 2013, à l’occasion de ses 50 ans, le distributeur propose de voter en ligne pour différentes initiatives à instaurer dans ses magasins. Un large consensus se fait alors autour de la création d’une offre végétarienne, ce que va alors mettre en place l’enseigne. Une belle réalisation de marketing donc, et plusieurs retombées positives en termes d’image également puisque la marque montre à la fois qu’elle est attentive aux demandes de sa clientèle et qu’elle est leader sur le sujet, en lançant la première gamme de MDD française végétarienne.

Les industriels qui référencent leurs marques chez ces distributeurs ont aussi un rôle à jouer. Sans vraiment rentrer dans les détails puisque les démarches sont à peu près les mêmes que celles des MDD, je donnerai donc un exemple révélateur de l’intérêt des marques pour cette nouvelle clientèle : Herta, qui se définit sur son site internet comme société proposant “une large gamme de produits aux rayons charcuterie et traiteur pour les petits et les grands.” est donc un spécialiste de la viande à qui l’expansion du végétarisme ne doit, à priori, pas vraiment plaire. Pourtant, en juin 2016, Herta lance sa gamme végétarienne “Le Bon Vegetal”, composée de 14 références à l’époque, et de 22 aujourd’hui. La marque a donc brillamment su s’adapter aux nouvelles demandes. Autre point positif : elle est en 2017 la marque de grande consommation la plus vendue en France. Avec une telle gamme végétarienne, même si c’est un acteur historique du marché carné, Herta pourrait donc massivement participer au développement de la consommation végétarienne en France.


Mais alors, qui sont les consommateurs des produits “veggies”, et donc les cibles de communication des enseignes et des industriels ? En 2018, Casino a mené une enquête auprès de 1000 de ses clients possédant une carte de fidélité afin de définir les profils des acheteurs de produits “veggies”. Le résultat montre que parmi les 5% de la clientèle des supermarchés qui ont plus d’un panier sur trois avec un produit « veggie », on distingue 4 typologies de clients :

  • Les Veggie engaged (vegan engagés), qui sont des jeunes célibataires urbains dont les produits vegan représentent 20% de leurs achats. Ils représentent 6% du segment. 
  • Les Young Veggie Oriented (jeunes à tendance végétarienne), sont les foyers de moins de 35 ans sans enfants, ils habitent dans les grandes agglomérations et sont prêts à payer plus cher pour des produits qui correspondent à leur mode de vie. Ils représentent 24% du segment. 
  • Les Healthy elders (les « vieux sains »), habitent en province et sont soucieux de leur santé, sont amateurs de produits sains, et intègrent quasi systématiquement au moins 1 produit vegan dans leur panier. Ils représentent 24% du segment. 
  • Les Family Quality Seekers (ceux qui cherchent à améliorer la qualité de vie de leur famille), sont des CSP+, habitant en province, réduisant leur consommation de viande et privilégiant la qualité à la quantité. Ils représentent 47% du segment.

On peut tirer deux grandes conclusions de cette étude. Premièrement, la jeunesse est très impliquée sur le marché végétarien, elle est ambassadrice de ce régime et va amener le marché à croître davantage à l’avenir. Deuxièmement, les produits sans viande trouvent leur clientèle en grande partie chez les CSP+, ce qui montre un développement limité, à très grande échelle. C’est là tout l’enjeu et le rôle des acteurs du marché, dans la démocratisation tant dans l’image que dans les prix de ces produits.


La naissance de nouveaux concepts

Le végétarisme n’est pas qu’un effet de mode, et ça, certains entrepreneurs l’ont bien compris. Pour satisfaire une demande grandissante et ne plus poser de problème au végétarien qui pourrait se dire “Est-ce qu’il y avoir au moins un plat végétarien dans ce restaurant ? Vais-je avoir le choix ?”, de plus en plus de concepts de restaurants sans viande voient le jour. En 1997, dans le Guide des restaurants végétariens des éditions La Plage, étaient référencées 150 adresses dans toutes la France, puis 168 en 2008 (faible progression donc), et soudainement, 566 en 2014 ! Des chiffres révélateurs de la montée en puissance du marché.

Le constat est simple : tandis qu’un restaurant spécialisé dans la viande exclut une partie des consommateurs, un concept 100% végétarien n’exclut techniquement) personne puisqu’à priori personne puisque personne n’a de dépendance vitale aux produits carnés. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces restaurants ne ciblent pas uniquement une clientèle végétarienne ou vegan. À Limoges par exemple si tout produit d’origine animale (beurre, viande, lait…) est banni des recettes de La Petite Graine, environ 60% des clients sont des “flexitariens” estime Kader Zitouni, l’un des deux gérants. Ils sont notamment à la recherche de produits sains et bios, et les restaurants vegans en sont de bons ambassadeurs.

En plus de n’exclure personne, les restaurants végétariens attirent même davantage les nouveaux consommateurs : dans mon panel de consommateurs, Léa, qui est végétarienne, me dit que quand elle cherche un restaurant sur internet, elle écrit sur Google “Restaurant végétarien”, excluant alors directement n’importe quel restaurant qui ne le serait pas entièrement. Elle précise : “Je fais ça parce que je trouve rapidement une adresse où je suis sûre d’avoir du choix, et de qualité puisque le restaurant est spécialisé”. En termes de communication, cet exemple montre l’importance pour ce genre de restaurant d’être bien référencé, et notamment sur cette recherche qui comprend au moins les mots “Restaurant végétarien”, en cohérence avec la localisation de l’internaute effectuant la recherche. Autre solution : être référencé sur des sites spécialisés dans l’alimentation végétarienne, qui sont de plus en plus nombreux et qui sont la preuve encore de cette explosion de la demande. Le site VegOresto par exemple, recense les adresses où il est possible de manger végétarien ou même vegan. En Novembre 2016, il se félicite sur Facebook de référencer 600 restaurants sur son site. Aujourd’hui, à peine 4 ans plus tard, on en compte plus de 2000.

Une restauration sans viande, c’était le projet de Maria, que j’ai eu la chance d’interviewer. En 2019, avec son conjoint, elle crée Maïkino, un Foodtruck pour cuisiner et vendre à Lyon et alentours, des pokebowls, un plat hawaïen à base de riz vinaigré, légumes et poissons. Tous les deux végétariens, ils décident dans leur carte de n’avoir aucun plat à base de viande, une façon de répondre à une demande grandissante et d’être en cohérence avec leur nouveau mode de vie. Ils cuisinent tout de même du poisson, aliment traditionnel du plat, mais dont l’impact écologique est moindre. Je reviendrai sur ce cas un peu plus tard dans l’article.


C’est végé = grosse fierté

Comme expliqué dans mon précédent article, un monde sans viande dans nos assiettes serait bénéfique pour la terre d’un point de vue environnemental, pour les animaux d’un point de vue éthique, et pour les hommes, d’un point de vue hygiénique. Ainsi, bien qu’il soit incompris voire moqué par certains français, le régime végétarien semble finalement bien être la solution à de nombreux problèmes. Ainsi, quand un acteur de l’alimentaire s’allie à cette cause, en proposant même une unique alternative à la viande, il s’attribue en partie  les valeurs positives de ce mode de consommation : participer au développement de l’offre végétarienne est donc doublement bénéfique en termes d’image, puisque d’une part, il montre sa capacité à répondre aux besoins grandissants de la demande, mais aussi, car il montre sa responsabilité dans la société actuelle et le rôle qu’il joue dans le changement des comportements. Aussi, aujourd’hui, cette tendance au “manger moins de viande” devient une véritable force de vente, un atout de communication pour les acteurs, qu’ils soient légitimes ou non. Le “veggie” fait vendre, il rapporte de l’argent et embellit l’image de celui qui le vend. Sur de plus en plus de produits, on voit ces mots “veggies”, “végétarien”, ”sans viande”… Dans mon panel, ce point fait l’unanimité : sur les 6 personnes interrogées, les végétariens affirment logiquement qu’ils se dirigent instinctivement vers ces produits tandis que les flexitariens y sont fortement sensibles. En termes de consommation, les viandards ne sont pas attirés par les appellations végétariennes, cela peut au contraire les repousser dans certains cas, puisqu’ils sont à la recherche de produits carnés avant tout. Mais pour Benoît, grand amateur de viande, “même si ces appellations ne m’incitent pas forcément à acheter les produits, ça me donne quand même une image positive de la marque, je me dis qu’elle est engagée écologiquement”.

Un constat que les marques ont bien compris donc, à l’instar d’Herta, que j’ai évoqué plus haut sur sa nouvelle gamme végétarienne. Sur leur site, je compte 122 produits à base de viande, pour 22 produits végétariens. Environ 5,5 fois plus de produits non végétariens que végétariens donc, plutôt logique pour une marque spécialisée dans la viande. Ce qui est étonnant en revanche, c’est la façon dont Herta met ses différents produits en avant. Au moment où j’écris cet article, sur la page d’accueil du site, on se croirait sur un site pro-végétarisme : le bandeau du haut met en avant la gamme végétarienne, puis 3 recettes végétariennes sont proposées, en dessous de quoi un produit de la gamme végétale est présenté avant d’arriver sur 3 articles qui traitent du sujet végétarien/flexitarien. Une première page censée refléter la marque 100% végétarienne, pour une marque qui propose 122 produits carnés… Une preuve de la force et de l’avenir que représente ce marché, mais qui peut poser des questions quant à l’opportunisme de certaines marques : est-ce que l’enjeu économique de ce marché ne pousse pas certains acteurs peu légitimes à faire du végé washing ?


DES FREINS AU DÉVELOPPEMENT DU MARCHÉ

Quand bien même, j’ai jusque-là montré l’avenir optimiste du végétarisme en France, le développement de ce régime à très grande échelle peut parfois sembler utopiste. Dans un précédent article, j’ai étudié les freins au régime végétarien, ceux qui empêchaient un viandard de réduire sa consommation, ou les flexitariens de devenir végétarien, ici je vais m’intéresser aux freins que rencontrent le marché dans son expansion.

Des habitudes difficiles à changer

Faire changer les habitudes de consommation des français du jour au lendemain, ce n’est pas une tâche facile, c’est impossible même, surtout quand ce changement touche à quelque chose qu’ils aiment tant : la viande. Ici, le contexte éthique et environnemental qui pousse en grande partie à modifier ces habitudes est un peu différent. En effet, les grands changements de consommation précédents sont souvent amenés par une amélioration du mode de vie, au plaisir du nouveau, à l’innovation. Ici, le végétarisme demande au contraire un changement de consommation qui inclut des sacrifices : il faut retrouver l’équilibre plaisir/responsabilité, qui avait jusque-là penché de plus en plus côté plaisir que responsabilité avec notre société de consommation. Le changement est difficile, il est donc plus long. J’ai évoqué un peu plus haut Maïkino, le Foodtruck presque végétarien (car proposant du poisson) de Maria et de son conjoint, lancé en 2019. Rapidement après son lancement, le couple a reçu plusieurs remarques négatives à l’égard de leur offre végétarienne, de la part de clients sceptiques : “S’il n’y a pas de viande, ce n’est pas un repas” par exemple, ou de la part de parents, “vous ne faites rien pour les enfants ?”. Contre leurs convictions et pour répondre aux envies de cette clientèle, Maria et son conjoint ont alors ajouté un pokebowl au poulet à la carte. Et parmi les différentes offres, quel succès pour le bowl végétarien ? Plutôt mitigé selon elle : “nous comptons une moyenne de 40 couverts midi les plats végétariens représentent environ 5 plats”.

Le problème du mot “végétarien”

Bien souvent, sans que l’on ne s’en aperçoive réellement, les plats qu’on définit comme étant végétariens sont ceux que consomment uniquement les végétariens, dans le sens où, si un viandard a le choix entre un plat à base de viande, et le même mais avec une alternative végétarienne, il n’hésitera pas une seconde. En fait, dans l’imaginaire collectif, un plat végétarien est un plat sain, composé de légumes frais et crus. Dès qu’il sort de ces critères, alors il devient un plat classique, juste sans viande, mais sans pour autant que l’on se pose la question. L’appellation “végétarien” est-elle alors vraiment vendeuse ? Les marques ne manquent pas de le souligner sur leur packaging, leur communication, ou même leurs concepts (comme les “restaurants végétariens”). Si cela semble une stratégie efficace pour attirer les principaux concernés, n’est-ce pas aussi un frein pour les consommateurs de plats carnés ? Un vrai viandard ne mettrait jamais les pieds dans un restaurant végétarien, pour autant, il pourrait très bien consommer un plat sans viande dans un restaurant classique. Le mot végétarien, s’il est très vendeur pour certains, souffre peut-être finalement d’une réputation trop saine, trop “bobo” et pas assez associée au plaisir.


LES PROFESSIONELS DE LA VIANDE FACE AU MARCHÉ : ADAPTATION, VEGE WASHING ET GUERRE DÉCLARÉE

Alors que le marché végétarien est en plein boom, s’il y en a quelques-uns qui doivent se faire du souci, ce sont les professionnels de la viande. Et en fait pas vraiment, puisque si ce marché augmente, cela n’affecte pour l’instant pas vraiment celui de la viande qui peut encore compter sur une clientèle nombreuse et fidèle. Pourtant, ces deux marchés sont en conflit sur un point : la cible flexitarienne. En effet, les vendeurs de produits carnés vont adapter discours et offre pour convaincre cette cible de consommer chez eux, ce que feront aussi les vendeurs d’alternatives. Mais alors, quel est le positionnement des acteurs de la viande dans cette guerre de clientèle ? Jusqu’ici nous avons étudié le cas Herta, qui a fait un grand pas vers le végétarisme avec une gamme et une communication complète sur le sujet.

Se servir des flexitariens pour promouvoir… de la viande

Sans aller jusqu’à proposer des alternatives, d’autres marques s’emparent du discours flexitarien pour vendre leur viande, sous le “manger moins mais mieux”. En ce moment et depuis 2019, vous avez sûrement aperçu à la télévision une publicité pour Naturellement Flexitarien, dans laquelle on voit Thomas, un jeune homme qui aime passer du temps entre amis, faire du vélo, des jus, du yoga, les légumes… et la viande, car on se rend compte que Thomas est flexitarien, et qu’il mange de la bonne viande. Le spot se termine d’ailleurs par “Aimez la viande, mangez-en mieux”.

À première vue donc, une bonne initiative, puisqu’on a ici un discours qui encourage au flexitarisme. Mais Le Monde nous apprend quelque chose d’assez surprenant : derrière cette campagne, se cache Interbev, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Un géant de l’industrie donc, qui a pour mission tout sauf la diminution de la consommation de la viande. Et en y regardant de plus près, c’est vrai que ce spot publicitaire n’est pas vraiment une réussite : d’abord parce que Thomas est ce qu’on appelle un vrai bobo, il joue au molky, fait des jus detox, se déplace en vélo… stigmatisant alors encore plus les flexitariens. Mais Thomas n’a surtout pas l’air si flexitarien que ça. Le message indique “aimez la viande, mangez-en mieux” mais pas “aimez la viande, mangez-en moins”. D’ailleurs, sur leur site, à aucun moment on voit qu’être flexitarien, c’est manger moins de produits carnés. La conclusion de la rubrique “être flexitarien” se termine même par la réponse à la question “Comment manger mieux de la viande”…Derrière “Naturellement Flexitarien”, c’est donc le lobby de la viande qui n’encourage finalement pas vraiment à réduire sa consommation de viande, mais en fait plutôt la promotion. Cette campagne est donc une preuve que les flexitariens sont une cible pour laquelle les acteurs du marché vont se battre, même si dans cet exemple, même si à première vue l’idée est honorable, elle est finalement assez maladroite.

La viande, tu l’aimes ou tu me quittes

Si Interveb a au moins essayé de séduire cette cible, ce n’est pas le choix de tout le monde sur le marché. Hippopotamus par exemple, qui se revendique sur son site comme “le spécialiste du bœuf et de la viande grillée”, a choisi un positionnement plus offensif, qui s’adresse à sa clientèle fidèle grande amatrice de viande, en s’attaquant aux végétariens/vegans et en se moquant d’eux. Avec un plan média fort en TV et digital, les différents spots “trollent” d’abord les végétariens avant de faire la promotion de leurs meilleures pièces : “Un jour j’ai goûté du boulgour, et puis ma femme m’a réveillé, je me suis réveillé en sueur et je hurlais” avant que le message “rien ne remplace le goût d’une bonne viande” apparaissent à l’écran. D’autres exemples :  “Si, si j’ai déjà essayé de manger du quinoa, mais ça ne tenait pas sur la grille du barbecue” // “Selon Veggie Magazine, ça serait l’année de la baie de goji. Mince, c’est con, j’ai complètement oublié de m’abonner moi”. D’un point de vue stratégique, la démarche est intéressante : la marque sort du lot, n’apporte pas son soutien au régime flexitarien et affirme/assume complètement son positionnement, ce qui montre sa force. De plus, elle rassemble à sa principale cible que sont les viandards, sous quelque chose qui les rassemble : l’amour de la viande mais surtout le mépris du flexitarisme/végétarisme/végétalisme. Une stratégie forte mais risquée puisqu’elle rejette directement une partie de la population en pariant sur un avenir serein pour le marché du bétail, et se prive alors d’une clientèle dont elle se moque clairement, tandis que d’autres de ses concurrents ont une approche différente sur la question, cherchant à séduire toutes les clientèles possibles. La stratégie réussie mais discutable.


On a donc vu ici 3 positionnements différents : Herta qui fait un grand pas avec une gamme végétarienne et qui communique très fortement sur ces nouvelles offres, le lobby de la viande qui tente de récupérer la cible flexitarienne avec une campagne discutable, et Hippopotamus qui ne porte pas d’intérêt à la cible flexitarienne et affirme son positionnement auprès de sa clientèle actuelle. Globalement, on note quand-même une tendance à s’emparer du sujet, pour ne pas perdre sa clientèle et même en gagner une nouvelle, même si cela passe malheureusement parfois par du vege washing. 

ALORS, QUEL AVENIR POUR LE MARCHÉ ?

Selon les données de l’institut d’études Xerfi, le marché végétarien et vegan s’est envolé de 24% en 2018, dans les grandes et moyennes surfaces de distribution. Un marché qui devrait même bondir de 60% entre 2019 et 2021. La demande est là donc, entre flexitariens, végétariens et vegan/végétaliens, et face à ce potentiel grandissant, les acteurs du marché, qu’ils soient industriels, distributeurs ou restaurateurs, semblent vouloir à tout prix se positionner pour satisfaire cette nouvelle clientèle. Le “manger moins de viande” n’est pas un effet de mode, c’est une réelle tendance de fond dont le marché est promis à un bel avenir… 

SOURCES

Livres : 

CARON Aymeric, No Steak, 2013, Éditions Fayard, 357 pages

Site Web :

Site Internet de VegOresto : https://vegoresto.fr/

Articles :

GARRICE Audrey, “Un tiers des ménages français sont « flexitariens », 2 % sont végétariens” in Le Monde (lemonde.fr), 01/12/2017

“Le Grand Veggie, le burger végétarien de McDonald !” in Gourmand Magazine (gourmand.fr), 10/10/2017https://gourmand.viepratique.fr/nouveautes/grand-veggie-burger-de-mcdonald-88866.html

BADER Claire “Grand Veggie : le burger végétarien de McDo est beaucoup plus calorique que le Big Mac !” in Capital (capital.fr), 13/10/2017

CHAUVEL Armand, “Carrefour signe la première MDD végétarienne” in LSA (LSA-conso.fr), 16/15/2017

PAYANY Esterelle, “Des babas aux bobos, histoire de la cuisine végétarienne au restaurant” in Télérama (telerama.fr), 13/09/2018

BOURLETIAS Sarah, “Ouverts il y a moins d’un an, les restaurants végétariens de Limoges trouvent-ils leur clientèle ?” in Le Populaire (lepopulaire.fr) 23/04/2019

BIENVENU Julie, “Le « flexitarisme », un régime encore flou récupéré par le lobby de la viande” in Le Monde (lemonde.fr), 01/03/2019

TEISON Gabriel, “Hippopotamus troll les vegans dans sa dernière campagne” in Dans TA Pub (danstapub.fr), 29/03/2019

COUGARD Marie-Josée, “Le marché végétarien promis à une belle croissance” in Les Echos (lesechos.fr), 09/01/2019

Études : 

Groupe Casino, “le phénomène du véganisme en France et son impact sur les comportements d’achats”, 2018