Inventer ce qui aura de l’importance chez le consommateur de demain, initier de nouvelles tendances, changer, surprendre, se défaire des frontières, secouer les choses, bousculer les codes … Mais de quoi parle-t-on ? De l’agence ou de celui qui y travaille ? Et bien des deux. Nous oublions trop souvent que le capital humain représente la principale valeur des agences. Et c’est de ce désintéressement du professionnel que pourrait venir la plus importante menace pour les groupes publicitaires.  Évidemment comme sur chaque marché, la concurrence fait rage. Les agences doivent faire face à des structures toujours plus grosses, plus digitales, plus intégrées, plus DATA centrics… Mais ce n’est pas à des communicants que je vais l’apprendre ; pour résister aux autres, on doit identifier ce qui fait notre différence. Alors adoptons les conseils que l’on donne à nos clients et misons sur ce qui fait que l’agence est unique… les talents qui la composent. Manon Posty Sworowski , cinq ans dans une grosse agence parisienne : « Ce n’est pas le métier qui ne me plaisait plus, mais la manière de le faire,  j’étais une ligne sur un tableau Excel. » [1].   L’enjeu est de retrouver un lien de confiance pour que l’agence reste le lieu privilégié d’expression et de passion pour les professionnels du secteur. Un lieu où il fait bon vivre, créer et partager. Et pour cela …

il est temps de se poser les bonnes questions.

L’individu ou le groupe ?

L’agence de demain respecte la profession et les professionnels !

En 2018, on commençait à entendre parler du déploiement des « sphères indiverselles » [2] coté consommateur. Une dénomination un peu complexe pour soulever une évidence, l’épanouissement, c’est de parvenir à être soi-même sans s’opposer aux autres. Alors que cette tendance a été plus qu’exploitée au niveau publicitaire et marketing, on ne peut pas dire que les agences aient considéré que se l’appliquer serait intéressant, et pourtant cet équilibre managérial est la clef d’une organisation harmonieuse. 

Afin d’orchestrer cela, il est essentiel de se respecter, non seulement à chaque échelle de l’agence, mais également et surtout entre chaque spécialité[3] .

Notre domaine tire sa richesse de la diversité des fonctions et métiers qu’il regroupe. Et pourtant, en agence nous faisons trop souvent face à un manque de considération entre services et profession. D’un côté les commerciaux « qui ne comprennent rien à la com », de l’autre créatifs qui « sont vraiment trop à côté de la plaque », les planeurs stratégiques qui « se prennent pour je ne sais pas qui », les chefs de projets qui « ne se rendent pas compte de la quantité de travail” . Bref, vous l’aurez compris pour un travail d’équipe, on peut mieux faire. Ces combats d’égo dévalorisent l’individu et nuisent au groupe comme à l’ensemble de la profession. Prenons l’exemple d’un bonne vieille « réu » comme on sait si bien les faire en agence. L’un essaie de vendre son idée, quitte à couper la parole, l’autre tente de s’imposer par la puissance de son charisme ou quelquefois plus maladroitement, le troisième n’arrive pas à placer ses arguments…Résultats des courses : frustrations des équipes et manque de lisibilité et de cohérence dans le projet. Alors si on essayait de s’écouter pour une fois. Et c’est bien connu, c’est souvent sous la contrainte que nous sommes amenés à nous révéler et dans des contextes difficiles que nous découvrons de quoi nous sommes vraiment capables.  

Le COVID-19 impose aux agences comme à beaucoup de structures du secteur tertiaire d’adopter le télétravail. Si cette nouvelle manière de travailler rompt avec la dynamique de l’agence, elle nous contraint à être plus attentifs les uns aux autres. Sandrine Plasseraud, fondatrice et présidente de We Are Social France, expliquait dans un live organisé par La Réclame sur le sujet « Une agence peut-elle travailler à distance ? » , que cette nouvelle organisation forçait les équipes à adapter une meilleure communication, plus constructive et plus bienveillante. « On est plus dans l’écoute lors des réunions » [4]

Cette illustration, aussi malheureuse qu’en soient les conditions, nous prouve que la fluidité de la communication va de pair avec la souplesse des équipes. Dans une dynamique d’autodiscipline et de confiance entre les salariés, il est possible de repenser l’agence pour un ensemble qui sait faire face et mieux s’adapter. Mais cette souplesse d’esprit doit faire corps. Vous l’aurez compris, pour faire agence, il faut faire société. Et comme l’explique l’économiste Pierre SABATIER dans une émission sur les projections de l’après COVID sous la thématique « L’avenir doit prendre ses racines dans nos territoires » : « pour faire société, il faut partager quelque chose et la seule et unique chose que nous pouvons partager, c’est un territoire » [5]. Le territoire d’une agence, ce sont ses locaux.

L’agence doit être un lieu de partage, ouvert et protecteur, inclusif mais pas intrusif. Il est temps de passer de l’Open stress à l’open sense. 

En 2019 l’agence de communication J’articule ,établie à Vaise, a décidé de déménager dans de nouveaux locaux plus spacieux sur les quais de Saône. Ce « nouveau départ » était l’occasion de repenser l’espace de travail afin de profiter au mieux des m2 qu’offrait le lieu. Voilà comment les choses ont été pensées. L’agence doit être une entité souple, agile et très adaptable, et cela, tant sur plan idéologique que sur le plan pratique. Pour J’articule l’idée est donc simple : optimiser le lieu de travail pour en faire un espace sensé. C’est-à-dire un espace dynamique qui sert au mieux l’ensemble des équipes et qui garantit une réponse pour chacune des manières d’envisager le travail au bureau. Pour cela il fallait que chacun y trouve son compte sans pour autant retomber dans le modèle du bureau individuel, qui est contre intuitif dans un domaine où la collaboration prime. L’objectif était donc d’allier harmonie du groupe et épanouissement des individualités. Pour cela, une seule solution, celle de la mobilité. Le principe est simple mais le challenge un peu moins :  les salariés ne doivent plus s’approprier un espace puisque c’est l’espace qui s’adapte à leurs besoins. Pour ce faire, les locaux sont divisés en salles à thèmes : Une salle de silence, une salle de brainstorming, une salle cool/repos, une salle bruyante et musicale, une salle de réunion et quelques bureaux individuels. Chacun est libre de se déplacer au gré de son humeur du moment. Grâce à ce système, l’agence respecte les besoins de chaque professionnel tout en les encourageant à s’inspirer les uns les autres sur leur manière de travailler.

Selon moi, cette initiative pourrait trouver écho dans des grosses agences. Nous pourrions facilement imaginer une réorganisation structurelle de l’entreprise. En effet, on le sait, il est primordial de maintenir et d’améliorer la collaboration entre équipes appartenant à une même entité. Cependant, une organisation d’entreprise impose souvent un découpage en sous-entités. Plus l’entreprise est grande, plus son découpage pyramidal peut être important. Si cette nécessité peut apparaître limpide au niveau décisionnel, elle n’en reste pas moins complexe à appliquer avec efficacité au bas de l’échelle. Plus on descend dans la pyramide, plus les entités se multiplient et plus elles sont naturellement mises en concurrence, car toutes doivent générer des résultats avec efficience. La problématique est de trouver un moyen de conserver la compétitivité de ses sous-organisations tout en obtenant d’elles l’assurance qu’elles continuent à collaborer et à s’entraider. La solution avancée est de donner du mouvement dans le management de ses entités. Si l’on permute régulièrement chacun de ses responsables, on met en place un système où l’entité n’a plus tendance à se renfermer autour de son manager et de se mettre naturellement en opposition avec l’organisation voisine. Tous les 2 à 3 ans, les agences pourraient permuter les directeurs clientèles en incluant une période de passage de témoins bilatéral. Les avantages sont nombreux et les risques sont minimes. 

  • Un directeur sait que tôt ou tard, il peut prendre le poste de son collègue, d’où l’intérêt de s’entraider. 
  • Les collaborateurs mécontents de leur management savent qu’ils en changeront un jour prochain.
  • L’évènement crée une atmosphère de renouveau favorable à l’optimisme de toute l’entreprise.

L’enjeu est de proposer des structures plus ouvertures et une vision de la profession plus transversale.

L’intérieur ou l’extérieur ? 

L’agence de demain se reconnecte à ses mondes 

La communication/publicité est un secteur qui trouve une zone d’expression au croisement de plusieurs domaines. Économie, commerce, sociologie, psychologie…  Afin de conserver l’essence de notre discipline, il est primordial de sans cesse se rapprocher des univers mouvants, qui nourrissent la profession telle que je la conçois (très personnellement) : une science du moment, du réel, du ressenti et de l’inexact. 

A ce titre l’agence doit rendre son pouvoir d’explorateur au communicant.

Il faut ouvrir le champ de recherche au-delà du bureau afin d’entretenir ce qui agite nos réflexions : cette double culture de l’émetteur et du récepteur. Et pour profiter du spectacle de ces profondes relations qui s’éveillent sous le signe de la consommation ou conso-action, inutile d’aller chercher bien loin. Le métro, les bars, les cafés… Lieux légitimes d’expression des marques dans leur milieu naturel, ils sont le parfait témoin de la mise en mouvement des produits par le consommateur. Et c’est dans ce contexte fabuleux de la vraie vie qu’on y trouve la meilleure source de créativité, la plus poignante des originalités : celle du banal et de ces gens qui le cultivent à merveille. Vous l’aurez compris, selon moi, il est important de travailler comme des artisans, reconnecter à la « matière première ». David Abbot, fondateur de Abbott Mead Vickers BBDO, l’un des publicitaires les plus célèbres au monde et des meilleurs rédacteurs de sa génération se confie sur cette manière de travailler dans The copy book. [6]

« J’écris aussi chez moi, tard le soir, ou je prends une chambre dans un hôtel pour travailler (par exemple, cet article a été écrit sur la table de ma cuisine). Je ne pourrais pas travailler dans un service créatif en open space… Un bon texte peut s’écrire dans un café, dans un train, sur la plage, dans un avion, dans une voiture.. La façon de faire est moins importante que ce qu’on fait.” (1997)

David Abbot

Cette poétique façon d’aller chercher l’inspiration s’est un temps perdue au profit de l’incorrigible quête de productivité qui a eu pour conséquence de cloner les logiques de création et de conformer la prise de parole des marques.Mais comme c’est souvent le cas durant une crise. Le covid-19, aurait semble-t-il permis de retrouver ce lien si précieux avec l’essentiel, favorisant l’idée et la création en agence.  Pascal Nessim, co-président de Marcel, expliquait dans un live organisé par La Réclame sur le sujet « Une agence peut-elle travailler à distance ? », que confinés chez eux, les créatifs étaient curieusement très inspirés. [7] 

 « Un créatif est quelqu’un qui est capable de trouver des idées un peu de partout, n’importe quand, sans être à son poste de travail …cela fait longtemps que je crois à ses ressources de personnes qui viennent de l’extérieur. Je parle peut-être plus des créatifs, mais ce n’est pas en restant derrière son bureau toute la journée qu’on est le plus à même de s’inspirer…» (2020)

Pascal Nessim

Coup de sort ? Karma ? La faute à pas de chance ? Chacun se fait sa propre idée de cet évènement sans précédent. Ce qui est certain, c’est que ses conséquences sont pour certaines le signe d’une société repensée, dont le renouveau des fonctionnements était attendu et prévu depuis déjà quelques années par les professionnels des agences. En effet, en janvier 2017 L’ADN se projetait sur les tendances qui allaient guider les individus en 2020. Si le magazine n’avait pas prédit la crise sanitaire, l’enjeu de se mettre en « mode pause » avait bien été soulevé. [8]

« Prendre le temps… de le perdre : face aux rythmes effrénés, le temps devient une denrée rare. Celui qui peut se permettre de perdre de précieuses minutes devient un nanti. Se déconnecter pour se reconnecter à soi, souffler, méditer… » (2017)

l’ADN

1997, 2017, 2020.. Toutes les générations semblent d’accord pour affirmer que la création est une intuition qu’on ne peut pas encadrer et “timer“.  Les planeurs stratégiques pour beaucoup le disent : le bon insight n’est que rarement prévu au planning des agences. Il est temps de surprendre car aujourd’hui comme le dit Loïc Chauveau  (président et directeur de la création de Brand Station ) « Tout le monde “bouffe” la même data, des mêmes DMP et que tout le monde travaille avec les mêmes insights, les mêmes groupes cibles, etc. » [9].

Élargissons intelligemment le champ de réflexion des communicants !

Et pourquoi ne pas commencer par les arts ? En effet à l’image de personnalités comme Leonetto Cappiello ou de Cassandre, on ne peut enlever l’influence que le domaine artistique a pu avoir dans la création publicitaire. Et pour cause ; afin qu’une publicité fasse sens, elle doit pouvoir se priver de mots, affirmer une chose sans l’’exprimer ou sans l’expliquer. A ce titre, des agences de renom prennent exemple sur le modèle des hot shops créatives [10]. Comme ces structures ultras souples en création, elles ont décidé d’entretenir un lien direct avec les milieux artistiques afin de garantir des projets novateurs et très créatifs.

C’est le cas de Babel. En 2018, l’agence gagne le Grand Prix Stratégies du Design dans la catégorie Environnement – Signalétique avec le projet Paris Fashion Chantier, pour les travaux de l’aéroport. Finies les tristes palissades de chantier ! Place à la mode parisienne avec le styliste Olivier Mulin et le photographe Coco Amardeil.[11] 

Laurent Habib, le créateur de Babel souhaite pouvoir apporter une recherche créative approfondie et singulière aux clients de l’agence. Sous un mantra simple « l’hybridation des pensées et des expertises. » [12],Babel revendique une vision transversale du secteur de la communication et de la publicité qui fait écho à un besoin plus important de cohérence dans les stratégies des entreprises. L’objectif est de proposer une nouvelle logique d’accompagnement afin de maîtriser tous les enjeux de développement des marques. A plus petite échelle, il serait déjà primordial que l’ensemble de la chaîne de production en communication fonctionne sans accroc. Achats médias, agence de branding, agences de communication… les acteurs doivent travailler en bonne relation afin de tirer le meilleur profit des spécialités de chacun.  C’est sur cette logique que Josselin Martin, ancien étudiant de l’iscom, a créé Genius. Une plateforme de recrutement qui considère l’offre et la demande comme une système qui doit pouvoir être bénéfique à tous. [13] L’idée est de répondre à aux besoins des clients, mais également d’apporter des solutions aux actifs. Créer une communauté de profils spécialisés, formés continuellement afin d’apporter les bonnes ressources aux entreprises.

Cette initiative ouvre de belles perspectives au secteur en laissant se profiler un modèle de structure qui s’emploierait à davantage se concentrer sur ses talents.

Le bien faire ou le bien être ? 

L’agence de demain s’acquitte des deux et s’inspire de ses insights.

Afin de répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux du siècle, les marques font la course au militantisme et les agences ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de proposer des solutions pour clamer haut et fort les engagements de leurs clients. Certaines agences ont même décidé de concentrer tous leurs efforts à redéfinir la place des marques dans la société. L’Agence verte, bonne élève dans le domaine, accompagne les acteurs des transitions de toute sorte en « utilisant la communication comme un levier d’impact positif » [14]. Plus récemment, L’agence de publicité W a lancé Contributing Advisory, un cabinet de conseil afin de proposer une nouvelle approche marketing à ces clients. Son président Denis Gancel déclare que « Le Contributing doit faire de ces nouveaux enjeux une bonne nouvelle pour les entreprises dans la réaffirmation de leur place dans la société” [15]Malheureusement, l’ensemble du secteur n’est pas à l’image de ces démarches. Si l’on accusait les marques de GreenWhashing, qu’en est-il des agences ? En effet, on ne peut pas dire que leurs politiques en internes suivent les insights engagés et inclusifs de leurs campagnes TV.

Depuis 2019 les projecteurs sont autant tournés sur les belles réalisations des agences que sur leurs manques. Cette désacralisation du milieu engage les acteurs à se mobiliser davantage. 

A cause du haut niveau de formation requis dans le milieu de la communication, le secteur des agences est loin d’atteindre le nombre de salariés en situation de handicap prévu par la loi. L’accessibilité doit donc faire partie d’un processus d’intégration sur le long terme des générations futures. C’est dans cette optique que certains groupes publicitaires travaillent en lien avec la commission RSE deL’AACC travail. Gilmar Seiqueira Martins explique dans cette interview pour Stratégies  que «Accueillir quelqu’un en situation de handicap peut être compliqué. Les stages permettent d’apprendre petit à petit.»[16]

Après avoir passé des années à conseiller les clients sur leur devoir de transparence envers les consommateurs, c’est au tour des agences. Pour travailler en bonne intelligences, elles ont intérêt de jouer la carte de la sincérité avec les clients. Si la charte “La belle compétition”, mise en place par l’AACC en 2001, stipule que la transparence doit faire partie intégrante de la collaboration entre les agences et les annonceurs, il est temps que les mots se transforment en actes. Temps passé, achats, créations…Les processus internes doivent être clairement exposés[17]  

“Dream Crazier”par Nike, Dove avec  “Real Beauty” ou encore “TheBestMenCanBe” pour Gillette.. Les campagnes n’ont jamais été aussi féministes. Et pourtant, en 2019 le mouvement #metoopub révélait de nombreux cas de harcèlement et de comportement sexiste dans l’industrie publicitaire.L’association “les Lionnes” qui milite pour que les agences passent à l’action, travaille à un plan d’action avec l’AACC. Car selon elle « La nouvelle génération de publicitaires sera féminine ou ne sera pas » [18]

Les faits sont là. L’approche inclusive est un challenge pour le monde de l’agence dont l’actuel manque de cohérence pourrait causer sa perte. Les nouvelles générations ne se voient pas travailler dans des structures qui ne font pas sens. Alors pour continuer d’attirer des talents, mais également des clients, les agences doivent travailler à la construction d’un nouveau climat social. Et pour cela, je pense que le label « RSE Agences Actives » [19] ne suffira pas.

Afin de cesser les pratiques excluantes, la bienveillance doit être de mise à commencer au niveau des enjeux manageriaux et RH.

Le burn out ça vous dit quelque chose non ? Véritable fléau du 21ème, le syndrome d’épuisement professionnel mine les entreprises submergées par un rythme économique insoutenable. Et le monde de l’agence n’est pas épargné.Horaires impossibles, week-ends de travail, réunions après 18h, « charrettes » [20], on ne peut pas dire que les pratiques dans le secteur favorisent le bien-être des salariés. Épuisement, stress, crises d’angoisse…les témoignages se multiplient et les professionnels sortent du silence. Parmi ceux que j’ai pu lire, c’est celui de Noémie qui m’a le plus marquée. [21]   La jeune diplômée a seulement 29 ans quand son médecin décide de la mettre en arrêt maladie après des vertiges et des insomnies à répétition après quelques mois dans une grosse agence. 

« Lors d’une réunion avec mon boss, je lui fais part de ma surcharge de travail. Stressée et fatiguée, je commence à faire une crise d’angoisse…Il termine l’échange en disant qu’on se verra quand je serai « calmée ». Lorsqu’on en reparle, il me dit que je dois m’endurcir : l’entreprise fonctionne à ce rythme soutenu, et elle ne changera pas. « C’est une agence qui broie les gens, et j’ai peur que tu sois trop fragile pour tenir le coup »,article du Monde paru en 2019. 

Choquée par le récit de son expérience, j’ai essayé de comprendre comment cela était possible. Et j’ai trouvé un début de réponse dans la suite de l’interview.

« Je comprends alors qu’il existe une sorte de « chaîne de la pression » : une personne communique son stress à son N-1, qui le communique à la personne en dessous de manière exponentielle, et ainsi de suite ».

Selon moi, l’origine de cette “chaine de pression” trouve racine dans la relation même que nourrissent aujourd’hui les agences avec les annonceurs. Face à des marchés qui fusent à toute allure et à des consommateurs éduqués au toujours plus et toujours plus vite, les demandes des annonceurs sont plus pressantes et moins amicales. Cette course à l’immédiateté a pour conséquence de mettre en tension l’ensemble de la chaîne. Alors non , je ne pense pas que Noémie soit « trop fragile pour tenir le coup », je pense simplement que le modèle est désuet. Les agences doivent reprendre le pouvoir sur les marques afin de protéger ses salariés d’un système de collaboration toxique. Ironiquement, pour ce faire, il faut davantage se concentrer les besoins des clients afin que les prestations de conseil montent d’un cran. L’idée est de devancer l’annonceur pour mieux l’accompagner tout en gardant le contrôle. Les agences doivent faire émerger des besoins que les annonceurs ne savent pas identifier. Elles ne peuvent plus se contenter de répondre à un besoin, il faut optimiser la capacité de projection déjà présente dans nos métiers pour avoir un coup d’avance. 

Évidemment et je conclurai sur cette idée, les choses ne sont pas aussi simples. La fragilité de l’engagement des communicants dans les agences est également due à une perte de sens qu’on ne peut plus cacher. Ce manque de motivation à trouver sa place dans les pathologies du monde du travail. Le brown-out[22]   est un épuisement du salarié par l’ennui. Alors si nous ne voulons pas voir tous les communicants aller élever des chèvres en Patagonie d’ici quelques années il serait temps de se focaliser sur la nature même du travail. Une introspection du secteur qui passera inévitablement par celle de ses protagonistes. 

Sources

[1] Mélanie Roosen (06.03.2019). Qui sont ces gens qui quittent les agences ?.STRATEGIES

[2] Amelle Nebia (08.06.2018). Trend obs 2019 : en même temps, on a envie d’y croire. CBNEWS

[3] Yves Romestan et Nocolas Celic (16.12.2019). Que les agences de com’ cessent d’alterner entre show et complainte. STATEGIES

[4] [7]  Xuoan D. (24.03.2020) Une agence peut-elle travailler à distance ?. STRATEGIES

[5] Guillaume Fonteneau (24.03.2020) Quel sera le monde d’après le coronavirus ? Revue de prospective et d’analyse. LE BLOG PATRIMOINE

[6] La D&A (1995). The Copy Book. TASCHEN

[8] Mélanie Roosen (25.01.2017). Quel consommateur en 2020 ?. L’ADN

[9] [10] Élodie C. et Xuoan D. (15.10.2018). Les agences de publicité ont-elles encore un avenir ?. LA RECLAME

[11] (09.07.2018). Paris Aéroport transforme les travaux en défilé de mode .L’ADN

[12] Site de l’agence Babel

[13] (14.10.2018). Josselin Martin de Genius : “Les communicants ont besoin de sens et de perspective dans leur relation au travail ». LE BLOG DU COMMUNICANT

[14] (2020).Le guide corporate. STRATEGIE 

[15] Hugo Reau (09.03.2020). L’agence W lance Contributing Advisory. EMARKETING 

[16] Gilmar Seiqueira Martins (27.11.2019). Les agences toujours à la peine sur le handicap. STRATEGIES 

[17] Matthieu Reinartz (23.01.2020). Transparence : aux agences de montrer l’exemple. STRATEGIES 

[18] Vincent-Xavier Morvan (17.07.2019). Des mad men aux mad women. STRATEGIES 

[19] (10.09.2019). 5 nouvelles agences viennent d’obtenir le label « RSE Agences Actives ». J’AI UN POTE DANS LA COM

[20]  Élodie C. (23.04.2019). Un mois après le séisme #MeTooPub, quelle sera l’étape d’après ?. LA RECLAME

[21]  Noémie. (19.07.2019). « En agence de com’, je ne trouvais plus aucun sens dans mon travail ». LE MONDE 

[22]  Murielle Wolski. (25.09.2019). Le brown-out, le travail en panne de sens. STRATEGIES