Avec l’attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941, les États-Unis d’Amérique s’engagent officiellement dans la Seconde Guerre mondiale… et Coca-Cola avec eux. En effet, après avoir aidé les Américains à traverser la crise économique des années 30 en proposant un univers imaginaire optimiste dans ses publicités, Coca-Cola va s’engager dans la Seconde Guerre mondiale en s’imposant comme la boisson officielle des soldats américains, symbole du patriotisme américain. Présente à la fois sur le terrain mais aussi au sein du foyer, la boisson Coca-Cola va petit à petit devenir le compagnon de vie de l’Amérique en guerre, que ce soit sur le front ou bien à l’arrière, avant d’étancher la soif du monde entier.

 

5.1. Coca-Cola s’en va-t-en guerre

« Avant de s’imposer à l’Europe et au reste du monde, la boisson commence par devenir familière aux troupes américaines elles-mêmes. Dès l’entrée en Guerre des Etats-Unis, et encore sous le choc de Pearl Harbour, Robert Woodruff avait imparti à la boisson une mission nationale : « Nous ferons en sorte que chaque homme en uniforme puisse acheter une bouteille de Coca-Cola pour 5 cents, où qu’il se trouve et quoi qu’il puisse en coûter à la Compagnie ». De nombreux experts sont envoyés sur place pour organiser les opérations. Politique promotionnelle et dévouement à la cause nationale se conjuguent ici admirablement. »[1]

Lorsque les Américains partent combattre contre les forces de l’Axe en Europe, c’est Coca-Cola qui s’en va-t-en guerre par la même occasion puisque la désormais célèbre boisson d’Atlanta va suivre les troupes américaines tout au long de leur avancée pour échapper à la restriction de sucre qui touche tout le pays en cette période de pénurie et pour assurer par la suite son internationalisation. En effet, face à cette nouvelle situation de crise, la société Coca-Cola va abandonner ses « slogans hédonistes »[2] et autres « devises épicuriennes »[3] du passé en combattant de manière symbolique auprès des soldats américains en Europe.

Les auteurs des « Plus belles affiches de Coca-Cola » mettent particulièrement l’accent sur cette nouvelle stratégie de la firme : « En fournissant l’armée américaine, la firme ne subira que partiellement les restrictions qui éreinteront ses concurrents et elle pourra continuer ainsi à produire son soda selon les normes de qualité auxquelles elle s’est toujours tenue. Suivant les militaires sur le terrain, elle sera en position de confirmer ses efforts d’internationalisation entrepris pendant la décennie précédente. Coca-Cola va également parfaire son image pour devenir un symbole. La déclaration aux accents historiques du président de la Compagnie donne le départ de la plus extraordinaire campagne de promotion et de commercialisation que l’on puisse imaginer. »[4]. En accompagnant les troupes américaines, Coca-Cola va permettre de créer un lien entre les soldats américains et l’Amérique qu’ils ont dû quitter, car Coca-Cola est avant tout une boisson typiquement américaine, synonyme de gaieté, si on regarde rétrospectivement les principales images publicitaires qui ont été publiées par la firme dans le passé. En effet, boire un verre de Coca-Cola c’est avant tout se souvenir du pays au temps où il faisait bon de vivre, à savoir l’image positive que la firme aime tant véhiculer à travers ses images publicitaires… Le soldat américain peut alors se souvenir de son pays avec la pause Coca-Cola, car Coca-Cola c’est avant tout la facette souriante et optimiste de l’Amérique. Pour les soldats américains, la présence de Coca-Cola sur le front est donc un moyen de rappeler leurs origines – d’où ils viennent – et les valeurs que sous-entendent pour eux l’Amérique : « La pause Coca-Cola ne rafraîchit plus seulement les corps, elle distille aussi la nostalgie mais surtout l’espoir. La « grande dame », comme on surnomme à Atlanta la petite bouteille, devient le lien palpable avec l’Amérique, elle symbolise les principes et les valeurs pour lesquels on demande à ces hommes de se battre, d’être prêts à se sacrifier. »[5]. C’est en raison de l’image fortement connotée de Coca-Cola que le soldat américain peut espérer retrouver un jour l’Amérique qu’il a dû laisser derrière lui pour combattre en Europe : son foyer, sa famille, et ce que l’on appelle communément« le bonheur à l’américaine ».

 

Figure 8 : Annonce publicitaire, 1941

 

Nous le voyons avec cette annonce publicitaire de 1941, « Coca-Cola s’en va »[6] avec les soldats américains qui ne dissimulent par leur sourire au contact de la « grande dame ». Le Président de la Compagnie de l’époque, Robert Woodruff, a parfaitement compris l’enjeu symbolique que constituait la présence de la boisson sur le front lors de la guerre, et c’est tout un dispositif qui va être mis en place pour approvisionner les soldats américains en Coca-Cola. En effet, des unités d’embouteillage vont être envoyées dans toutes les régions occupées par l’armée. Il est important d’insister sur ce dispositif pour en mesurer la véritable ampleur dans ce contexte si particulier :

« La petite bouteille sera disponible partout et même là où cela paraît impossible. Inspirés par les besoins de la cause, les techniciens du merchandising vont créer le matériel nécessaire pour que les soldats puissent se désaltérer dans les camions, les jeeps, les avions, les bateaux et même les sous-marins ! Une véritable armée parallèle se met en place. Sa mission unique est de pourvoir les troupes en Coke. (…) Sous le commandement du « général » Woodruff, les Captains Cola -comme les appellent les militaires – veillent à ce que les G.I. soient approvisionnés. »[7]

Ces « Captains Cola » sont en réalité des « observateurs techniques » (Technical Observers) qui vont jouer un rôle aussi important que les campagnes publicitaires de l’époque puisque ce sont véritablement eux qui vont faire en sorte d’appliquer sur le terrain la devise du Président Robert Woodruff : « Chaque soldat doit pouvoir trouver un Coca-Cola pour 5 cents, où qu’il soit et quoi qu’il en coûte à la Compagnie… ».

« Les T.O. étaient des employés capables de faire tourner seuls ou presque une structure d’embouteillage. Civils intégrés à l’armée, ils avançaient avec les troupes, vivaient dans les mêmes conditions que les soldats et partageaient avec eux tous les risques liés au conflit. Officiers non combattant et volontaires, ces T.O. bénéficiaient d’une grande popularité tant le soda était désormais essentiel au moral des hommes. Chaque dégustation de Coke incarnait en effet pour eux l’ « occasion d’un retour à la maison », « de souvenirs d’une belle journée d’été ». L’engouement pour la boisson ne cessa d’ailleurs pas de surprendre les ingénieurs de la Compagnie : « Vous pouvez me croire ou pas […] lorsque les soldats peuvent avoir ce qu’ils veulent pour boire, leur première volonté est pour un Coca-Cola. […] Et la raison est que nos garçons meurent d’envie de quelque chose de typiquement américain. Et rien n’est plus typique qu’un Coca-Cola avec un hamburger ou un hot-dog. »[8]

Boire une gorgée de Coca-Cola semble s’apparenter à un moment d’évasion pour chaque soldat américain et l’espoir de retrouver leur pays se fait d’autant plus grand lorsque la boisson leur évoque des souvenirs du pays et de leur foyer. En effet, qui pouvait mieux que la marque Coca-Cola symbolisait l’Amérique dans ses moments les plus intimes et les plus conviviaux ? Coca-Cola semblait être un nom assez connoté pour symboliser le mode de vie américain et les valeurs pour lesquelles les soldats allaient se battre, la liberté au premier rang.

Car si Coca-Cola a su entretenir l’espoir d’un proche retour au sein du foyer familial à travers sa présence sur le front, Coca-Cola a également su se montrer avant-gardiste sur son temps en diffusant l’image de la « femme pilote », déconstruisant ainsi le stéréotype de la mère au foyer tout en construisant celle d’une femme plus libre et plus forte.

5.2. L’image de la femme combattante

En élevant la femme au rang d’aviatrice, Coca-Cola a voulu mettre en avant la valeur de liberté (nouvelle forme d’émancipation de la femme) pendant cette crise mondiale, plaçant ainsi la femme sur un pied d’égalité avec l’homme, censé pourtant être le seul à réellement pouvoir combattre sur le terrain. Nous allons donc voir comment l’image de la « femme pilote » véhicule elle aussi un message d’espoir en tant que femme combattante.

De nombreuses femmes furent appelées dans la WASP (Woman Airforce Service Pilots) pendant la Seconde Guerre mondiale pour piloter des avions en raison de la forte mobilisation des hommes sur le champ de bataille. Ces femmes ont suivi une formation pour remplacer les hommes pilotes qui ont été affectés à combattre sur le terrain :

« Pas moins de 25 000 demandes sont soumises à sélection, où les femmes sont mises à égalité de compétition avec les hommes, obtenant à la surprise des examinateurs (hommes) à peu près les mêmes proportions de succès et d’échecs. »[9]

Alors que l’on pensait que le rôle de pilote d’avion de guerre n’était réservé qu’à l’homme, les femmes s’engagèrent dans la WASP durant la Seconde Guerre mondiale, prenant ainsi part dans le combat. Coca-Cola a encore une fois su se montrer présent lors de cette nouvelle avancée sociale (puisqu’il s’agit bien ici d’un progrès vers l’égalité des sexes) en diffusant de nombreux supports promotionnels mettant en scène la femme en uniforme.

 

En affichant la bouteille de Coke auprès de la femme américaine combattante, la Compagnie nous montre une fois de plus l’omniprésence de la boisson sur le terrain puisque celle-ci est présente partout où le soldat combat, même lorsque ce dernier est une femme.

La pose du modèle (la scénographie) ainsi que le message linguistique semblent jouer un rôle important dans l’interprétation de cette affiche de 1941. En effet, en levant la tête au ciel, le regard fixant l’horizon, la jeune aviatrice représentée à l’image semble se tourner résolument vers l’avenir et son sourire radieux semble indiquer que cet avenir s’avère optimiste. Tenant fermement une bouteille de Coca-Cola dans sa main, l’aviatrice semble vivre un moment d’évasion avec Coca-Cola, un moment d’espérance pendant « la pause qui rafraîchit ». Le slogan américain « Your thirst takes wings » que l’on peut traduire en français par « Votre soif s’envole » peut offrir plusieurs pistes d’interprétation. D’abord, il forme avec le message iconique une symbiose parfaite : Coca-Cola étant présent dans les avions, l’aviatrice peut alors facilement assouvir sa soif ; en d’autres termes, sa soif « s’envole »  avec Coca-Cola (image métaphorique). D’une manière plus « terre-à-terre », Coca-Cola s’envole aussi dans le sens premier du terme puisqu’il accompagne les femmes pilotes dans leur trajet.

Au final, cette image publicitaire semble transmettre un formidable message d’espoir pour ces femmes combattantes et par là même pour toute l’Amérique combattante : la victoire est à portée de main si toutes les ressources humaines (aussi bien donc les femmes que les hommes) et les ressources matérielles (l’adversité passe « en volant » et Coca-Cola déploie également ses ailes au service de la nation) sont mobilisées.

Tout comme la femme a pu revendiquer sa force et son courage patriotique pour combattre efficacement sur le terrain, Coca-Cola a su se montrer indispensable en cette période de guerre pour le moral des troupes. Prenant à cœur son rôle de « boisson patriotique réconfortante », Coca-Cola va également prendre une place symbolique au cœur du foyer américain, c’est-à-dire là où femmes et enfants attendent le retour des soldats américains à la maison. Après avoir donc vu le rôle de Coca-Cola dans l’Amérique combattante sur le front, nous analyserons dans le monde 6 son rôle dans l’Amérique « passive », celle qui « continue à vivre » malgré les circonstances de la guerre.

 

[1] Jean-Pierre Keller, La Galaxie Coca-Cola, Genève, Editions Zoé, 1999, page 52.

[2] Gérard Cholot, Daniel Cuzon-Verrier et Pierre Lemaire, Les Plus belles affiches de Coca-Cola, Paris, Denoël, 1986, page 33.

[3] Idem, page 112.

[4] Gérard Cholot, Daniel Cuzon-Verrier et Pierre Lemaire, Les Plus belles affiches de Coca-Cola, Paris, Denoël, 1986, page 33.

[5] Idem, page 36.

[6] Traduction littérale du slogan « Coca-Cola goes along ».

[7] Gérard Cholot, Daniel Cuzon-Verrier et Pierre Lemaire, Les Plus belles affiches de Coca-Cola, Paris, Denoël, 1986, page 34.

[8] William Reymond, Coca-Cola : l’enquête interdite, Paris, Flammarion, 2006,  pages 308-309.

[9] Claude Quétel, Femmes dans la guerre : 1939-1945, Paris, Larousse, 2004, page 140.