Le travail du branding consiste à installer un repère dans l’esprit du consommateur qui lui permet d’identifier une marque. Tout au long de ce processus, la marque va se créer une culture, des limites, afin d’encadrer son discours et rester cohérente par rapport à son positionnement et ses valeurs. On parle de « brand culture » quand une marque se constitue une identité et partant de là, cherche à innover et imaginer les tendances du futur. Mais dans cette ascension, la finalité ne serait-elle peut-être pas seulement de diffuser une sa culture, mais d’aller au-delà, dans le but d’atteindre un autre niveau dans l’esprit du consommateur, celui de marque mythique. Il serait alors intéressant de comprendre sur quels points une marque peut s’appuyer pour atteindre cet objectif, de comment le branding fait évoluer la brand culture d’une marque, et de voir à partir de quel moment elle s’approprie un imaginaire pour s’ériger en tant que mythe. Pour illustrer ce processus, j’ai choisi de prendre pour cas d’étude Bartabas, créateur aux multifacettes. Au travers de cet exemple, je vais chercher à décomposer le processus et les éléments qui ont permis à Bartabas de créer une culture, qui s’est par la suite transformée en mythe.


Du branding à la culture de marque, définition des termes

Le branding peut être définit comme ”un outil de management” qui permet de gérer ”l’image d’une marque”, ou encore d’être “le processus qui permet la création d’un nom et d’une image unique dans l’esprit du consommateur 1”. En effet, toutes les marques évoluent dans le temps, que ce soit leur logo ou leur image sonore par exemple. Tout se transforme ou doit être ajusté, encadré pour qu’elles puissent rester connues de leur public. Il faut que leur image soit constamment gérée et encadrée si la marque ne veut pas perdre le lien avec son public.

D’autre part, le branding intègre un autre outil qui permet de manager une marque, mais aussi de lui construire une forteresse pour résister au temps : « la culture de marque ». Celle-ci permet de construire un savoir à partir du socle de valeurs déjà existant de la marque. Elle pousse une marque à codifier ses valeurs, à les matérialiser par une charte visuelle, un langage précis ou encore un état d’esprit. Le branding donne donc naissance à ce que l’on appelle une « culture de marque » ou « brand culture » car il permet à la marque de se construire un patrimoine. Cette notion englobe l’idée qu’une marque à des savoir-faire et des connaissances qui lui sont propres, et qu’elle souhaite les transmettre. Selon Daniel Bô, auteur de l’ouvrage Brand culture aux éditions Dunod, la brand culture est : « La façon qu’a la marque de s’inscrire comme agent culturel dans une interaction à double sens : elle puise dans son environnement culturel et elle produit elle-même des effets culturels, fait évoluer les modes de vie et crée les tendances de demain2».

Nous savons que toute marque possède un cycle de vie, elle naît et meurt un jour. Cependant son objectif ultime est de rester aux côtés de son public le plus longtemps possible. On peut donc se demander si le processus d’une marque de « s’inscrire comme agent culturel », ne serait qu’une étape pour accéder au rang de mythe. Cette évolution la rendrait intemporelle. Un mythe, de par sa définition, peut être compris comme « un récit rituellement proclamé » ou encore comme ce qui relève de l’imaginaire. Joseph Campbell professeur et écrivain américain spécialiste de la mythologie voyait le mythe comme : « un rêve public3». L’objectif d’une marque est de ne pas disparaître, elle doit innover, et se créer sa propre culture dans le but de jouer un rôle dans notre société.

Afin d’éclaircir mes propos, l’exemple de Bartabas me permet de souligner le processus par lequel une marque passe pour à devenir un mythe. Il s’est d’abord différencié en créant sa culture de marque, celle du cheval lié au spectacle et au théâtre. Puis en s’appuyant sur cette culture, il en a dégagé des valeurs et des émotions qu’il a matérialisées par des histoires pour tisser et consolider un lien avec son public. Enfin, Bartabas est devenu un mythe, car il a endossé un rôle d’acteur, et de guide envers la société, celui de sensibiliser à certaines causes par le biais de l’art.

 

La différence : de la rupture à l’innovation

Pour établir une présence, une marque doit se différencier. Il faut qu’elle créé une rupture avec ce que le public connaît déjà et qu’elle construise une démarche nouvelle pour y définir son territoire.

Bartabas a créé une rupture en inventant un nouvel art. Il faut savoir que lorsqu’il commence le théâtre, Bartabas n’est qu’un jeune homme passionné par les chevaux menant une vie itinérante. Il commença par faire du théâtre de rue avec le Théâtre emporté (des interventions utilisant des personnages de la commedia dell’arte), et quelques années plus tard, il imaginera une nouvelle discipline artistique, le théâtre équestre4. En 1985, né donc le Théatre Zingaro du nom de son cheval de tête (qui signifie tzigane en Italien) et qui deviendra un an plus tard Théatre Équestre. Un dialogue entre le cirque, le théâtre et l’art équestre, et donc un nouveau genre de spectacle qui a vu le jour grâce à Bartabas, se différenciant de tout ce que le public connaissait jusqu’à présent.

À la suite de cette rupture, une marque doit s’approprier un espace qui lui soit propre. Quand Bartabas crée ce nouveau genre de représentation, il innove et ouvre un nouveau marché. Il le définit physiquement en s’associant avec des institutions comme en s’implantant à Aubervilliers ou en collaborant avec l’Académie équestre de Versailles. Le public rencontre l’imaginaire de la marque non seulement lors des représentations du Théâtre Équestre, mais aussi dans des lieux inattendus comme à Versailles. D’autre part, l’espace imaginaire prend forme grâce au personnage de Bartabas, ce centaure aux rouflaquettes et à la prestance qui n’est pas sans rappelé l’artiste Dali. Il s’est depuis ses début forgé une image de voyageur indompté qui ne répond présent que par ses chevaux.

Portrait de Bartabas et d’un de ses chevaux5

 

Enfin, de part la rupture et la création de ce nouveau marché, le maître écuyer a managé et consolidé son image pour fonder sa propre identité. Le branding a permis à Bartabas de gérer sa marque et partant de là, une brand culture est donc née. Ceci lui a donné la possibilité de s’imposer grâce à sa différence et de laisser son empreinte dans l’esprit de son public.

De ce fait, une fois que ces repères sont installés, il faut consolider la relation entre la marque et son public, et c’est à ce moment que la brand culture joue son plus grand rôle : celui de tisser des liens avec son public pour assurer la compréhension des valeurs de la marque.

 

Le storytelling : la construction d’une relation forte avec son public

L’identité de la marque est désormais présente dans l’esprit du consommateur. Il faut à présent lui donner des repères pour qu’il puisse l’identifier et s’y identifier. Autrement dit, la marque doit créer du sens si elle veut parvenir à établir une relation durable entre elle et son public.

Selon Inès Thoze qui a participé à l’écriture de l’ouvrage de Daniel Bô Brand culture: développer le potentiel des marques: « une marque s’évalue à son potentiel vibratoire, à sa capacité à entrer en résonance avec notre cerveau, qui est un système électrique, chimique, mais aussi magnétique et quantique. Il faut être très attentif aux couleurs, au choix des matériaux, au type de lumière, aux sons, à l’environnement dans lequel le produit va s’inscrire6». Il faut donc que la marque aille chercher dans son patrimoine des éléments, ou plus précisément des valeurs qui entreront en résonnance avec son public. Une fois que ses valeurs sont identifiées, elle peut alors commencer à développer un storytelling.

Pour Bartabas, plusieurs éléments et valeurs ont été retenus. D’un côté, nous avons la sincérité, l’humilité et la liberté auxquelles se lient les points forts de son histoire, le nomadisme et les chevaux. Il a notamment matérialisé l’humilité et la liberté au cours de ses spectacles en laissant certains de ses chevaux guider ses représentations par exemple. Le nomadisme s’est lui transcrit dans l’histoire de Bartabas qui a depuis toujours mené une vie itinérante, et qui encore voyage en caravane, car pour lui « c’est aussi une manière d’affirmer son identité. À Auber­villiers ou sur les routes, nous sommes reconnaissables7».

Caravanes de Bartabas

En mélangeant ces valeurs fortes et un passé unique, en les matérialisant, les histoires du metteur en scène emportent le spectateur dans son imaginaire tout en lui offrant la possibilité de s’identifier à ces valeurs. Le pont est ainsi consolidé, rendant le lien entre le public et la marque plus fort.

 

Le mythe : au-delà des histoires

Depuis sa création Bartabas a développé une identité ainsi qu’une culture de marque qui a permis à son public de s’identifier à des valeurs qu’ils connaissent et qu’ils partagent. Il a séduit par sa différence, a su gagner la confiance grâce à ses histoires et une culture de marque aux traits marqués pour enfin devenir un mythe.

Un pas sépare à présent la marque de la dernière étape, celle du mythe. Cette dernière étape consiste à faire de la marque un agent qui répond à un problème ou qui apporte une solution. Pour reprendre les mots de Joseph Campbell qui définissait le mythe comme un « rêve public », l’enjeu ici est que la marque devienne un apport culturel et sociétal8. En devenant ce rêve public, la marque joue un rôle dans la société.

Bartabas est devenu un mythe par son art et à sa manière. Il joue un rôle important, celui de nous transmettre des valeurs et de nous montrer ce que nous ne voyons pas par le spectacle. Par ces valeurs qui rassemblent autour de ses histoires, il cherche à faire évoluer notre conception des choses. Il est arrivé à non seulement nous faire rêver, mais aussi nous montrer ce que nous connaissons, mais d’une autre façon. L’exemple de plus parlant est celui de « On achève bien les anges », spectacle sombre et onirique qui fait notamment écho à la tuerie de Charlie Hebdo9. Dans ce cas ci, Bartabas nous renvoie ce que nous connaissons mais d’une autre façon. À l’image d’un prisme qui laisse entrer la lumière pour nous dévoiler une multitude de couleur, il nous offre un nouveau point de vue. S’inscrivant à son tour au côté des marques mythiques, qui sont allées au-delà d’une simple relation de marque-consommateur.

 

Le mythe, une quête à double sens

Une marque n’a selon moi pas seulement pour objectif de faire du profit, mais également celui d’aspirer à devenir quelqu’un. Je tiens à souligner l’importance du terme « quelqu’un », car il exprime bien l’idée qu’une marque devient à un moment ou l’autre propriété de son public. Les événements de la vie de tous les jours, les grandes causes, mais aussi ses idéaux ont amené Bartabas à donner vie dans ses spectacles à une réalité déformée de ce que nous connaissons.

En se positionnant comme le miroir de nous même, Bartabas nous guide à mon sens vers nous nouvelle façon de percevoir ce qui nous entoure. En partant de cela, nous pourrions peut être même affirmer qu’une marque mythique aurait deux objectifs, celui de nous guider, et peut être celui de nous amener à voir plus loin. Une marque ne s’érigerait pas comme un emblème et un modèle à suivre, mais elle serait alors un intermédiaire pour nous pousser à aller plus loin. Une chose est sûre, Bartabas n’a pas seulement murmuré à l’oreille des chevaux, mais à celle des Hommes aussi.

 

1 BusinessDictionary.com. (2018).  [En ligne] Disponible sur: http://www.businessdictionary.com/definition/branding.html [Accessed 15 Apr. 2018].

2 Disko.fr (2018). LA BRAND CULTURE, LE NOUVEL ELDORADO DES MARQUES. [en ligne] Disponible sur: https://www.disko.fr/reflexions/brand-content-blog/la-brand-culture-le-nouvel-eldorado-des-marques/ [Accessed 15 Apr. 2018].

3 Campbell, J. (2018). Citation de Joseph Campbell. [en ligne] Webescence Citations. Disponible sur: http://citations.webescence.com/citations/Joseph-Campbell/mythe-est-reve-public-reve-est-mythe-prive-11026 [Accessed 15 Apr. 2018].

4 Zingaro. (2018). Bartabas – présentation. [en ligne] Disponible sur: http://bartabas.fr/bartabas/presentation [Accessed 15 Apr. 2018].

5 Source photo : Mokaddict. (2018). EX ANIMA – Mokaddict. [En ligne] Disponible sur: http://www.mokaddict.com/ex-anima/ [Accessed 15 Apr. 2018].

6 Heurtebise, C. (2018). Daniel Bô : ‘La brand culture, la stratégie de gestion des marques’. [en ligne] http://www.e-marketing.fr/. Disponible sur : http://www.e-marketing.fr/Thematique/media-1093/Breves/Daniel-brand-culture-strategie-gestion-marques-183803.htm [Accessed 15 Apr. 2018].

7 Zingaro. (2018). La caravane de Bartabas. [en ligne] Disponible sur: http://bartabas.fr/bartabas/la-caravane/ [Accessed 15 Apr. 2018].

8 LEWI George et DESPREZ Pierre-Louis, La marque : Fondamentaux du Branding, 11 Janvier 2013, Vuibert

9 Culturebox. (2018), On achève bien les anges par Bartabas. (online) Disponible sur https://culturebox.francetvinfo.fr/scenes/equestre/on-acheve-bien-les-anges-de-bartabas-245417