L’enseignement supérieur français est aujourd’hui en pleine mutation, qui se traduit autant par des politiques sur les cursus universitaires, que sur les modalités d’admission ou sur les infrastructures qui accueillent plus de 200 millions d’étudiants chaque année [1].

Pourquoi une telle mutation?

Cette mutation est principalement due à une prise de position européenne. Afin de mieux appréhender cela, il est nécessaire de considérer un contexte post-Seconde Guerre Mondiale, où l’Union Européenne a dû se reconstruire et axer ses orientations afin de pouvoir occuper une place plus importante au sein des marchés mondiaux. En réponse à cette volonté, deux grands pôles de développement seront sélectionnés : l’enseignement et la recherche.

Avec le décret de Bologne (1999) et de Lisbonne (2000), l’enseignement supérieur est amené à prendre une part plus importante du Produit Intérieur Brut (PIB) de chaque pays membre et il est statué qu’il faut encourager la mobilité étudiante ainsi que leur taux d’employabilité à l’issue de leur diplôme. L’enseignement supérieur est donc désormais au cœur du projet européen. Ce changement de directive globale intervient également dans les années 80 à 90, période durant laquelle l’éducation en Europe subit une grande crise de financement. Ainsi, il en résulte d’une véritable nécessité et opportunité pour l’enseignement supérieur de prendre de la valeur.

Plus de vingt ans plus tard, nous pouvons affirmer que cette transition a bien été amorcée et les universités publiques en sont transformées. Les universités se doivent donc de modifier leur organisation structurelle originale. L’apparition de la fonction de communication en est ainsi complètement symptomatique.

Le service communication, nouveau pilier de l’université

Avec un besoin grandissant en communication, il est devenu primordial pour de nombreuses universités d’ajouter de recruter des professionnels de la communication. La mission n’étant plus considérée comme une valeur ajoutée gérée au gré des chefs d’établissements, le poste de “chargé(e) de communication” au sein de ces organisations a su voir le jour. Ce sont par ailleurs de véritables experts qui sont recrutés pour assurer cette fonction, ayant fréquenté les bancs des universités ou grandes écoles de marketing ou communication, parfois de commerce. Ces derniers sont garants de l’ensemble des opérations menées par l’université, leur cohérence et se doit de justifier leur pertinence.

Hors la capacité d’être responsable, le chargé de communication doit faire preuve de polyvalence. En effet, même si les services communication ont su faire leur place dans les universités, ils restent peu développés et leur effectif, à 60% est de moins de 5 personnes [2]. Avec des canaux de plus en plus variés et la demande d’être “sur tous les fronts”, ces services doivent donc s’organiser afin de mener toutes les actions à bien, aussi variées qu’elles soient.

Au quotidien, le chargé de communication multiplie les tâches et jongle entre plusieurs activités. Gestion de l’intégrité visuelle de la structure et de ses outils, campagnes de Relations Presse et Publiques auprès de médias online et offline, création et suivi de campagnes média, gestion des réseaux sociaux de l’université, du site Internet afin de donner les informations nécessaires aux futures étudiants, participation à des salons, mise en place d’un plan de communication à l’international…

Le rôle de chargé de communication est dit protéiforme, se diversifie, tant qu’il continue à mettre en valeur la mission des universités, en l’occurrence, la transmission de valeurs et la recherche. La veille est donc également un outil privilégié du chargé de communication dans ces institutions, qui est devenu de plus en plus accessible ces dernières années avec l’ouverture des frontières, et la multiplication des établissements et cursus.

Comme cela l’implique, la communication est très souvent interne à l’établissement, avec des services totalement intégrés à celui-ci, si bien que la personne qui est en charge de la communication fait désormais partie de instances de direction (pour 65% des directeurs de communication). Aussi, la moitié d’entre eux se disent intégrés dans d’autres groupes de pilotage, ce qui est véritablement révélateur de l’importance de la communication au sein des établissements. Cette fonction n’est pas indépendante et complètement décentrée de tous les aspects qui constituent l’essence même et l’utilité de ces structures, que sont la direction des programmes, des admissions… Au contraire, elle est, théoriquement, considérée sur un pied d’égalité avec ceux-ci.

Or, cette structure organisationnelle n’est pas sans nous rappeler celle d’une entreprise privée. En effet, prenons l’exemple de la marque de téléphonie Orange, deuxième marque la plus puissante en France à ce jour. La marque est aujourd’hui gouvernée par 12 personnes [3], dont un Président Directeur Général. Parmi ces douze personnes, nous remarquons que trois occupent des fonctions relatives à la communication, à savoir que Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice de l’“Innovation, Marketing et Technologies”, Marc Rennard, qui est en charge de l'”expérience client” et Béatrice Mandine de “Communication et Marque”.

Bien que les trois postes soient différents dans leur contenu, pour l’un plus tourné vers le marketing, l’autre plutôt vers le développement des produits et l’autre plus global dans un rôle de communication externe, nous ne pouvons pas omettre de souligner l’importance de ces positions au sein de l’entreprise. Cette similarité nous prouve ici que le milieu institutionnel mute et prend de plus en plus des attraits corporate, déjà adoptés par les entreprises, même si cela est encore mal perçu en France.

Un service oscillant entre l’intégration et le rejet

Comme nous l’avons expliqué précédemment, le service communication prend une place théoriquement notoire dans la structure des universités. Il est vrai qu’elle bénéficie d’un lien direct avec la hiérarchie. Cela permet de disposer d’un pouvoir décisionnel rapide et direct, puisque le chargé de communication n’aura pas à transiter entre différents services afin de faire valider son travail. Cela limite également le nombre d’échanges existants à la validation de visuels puisque la profession de communicant n’est pas obligatoirement reconnue par les autres corps de métiers, compte tenu de son jeune âge, de son évolution constante et du fait que les formations pour atteindre ces postes sont encore en développement, et moins académiques. Une relation directe avec la hiérarchie est donc bénéfique pour le professionnel, ce qui évite de multiplier le nombre d’interlocuteurs.

Également, il est positif que la communication soit un vrai pilier dans la structure de l’établissement et perçue comme une fonction à part entière. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’une activité réalisée en marge d’autres missions d’un service existant déjà par lui-même. Au contraire, c’est véritablement la preuve qu’une personne sera investie dans cette mission et qu’un budget sera alloué à cette fin. En le nommant en tant que pilier n’est pas anodin ; on peut ainsi penser qu’à terme (et déjà pour certains établissements), cette fonction ne pourra être amputée de l’organigramme d’une université sans provoquer un déséquilibre et un dysfonctionnement dans les autres services de l’organisation. Cette dépendance est clairement un objectif à atteindre pour la communication, comme nous l’étudierons plus tard dans cet article.

Malgré ces signes qui encouragent l’intégration du service communication, remarquons que la réalité est tout autre. Effectivement, le service communication va se heurter à différents enjeux structurels. Tout d’abord, la limite entre l’institutionnel et le corporate sera à appréhender. De fait, les universités sont légalement considérées comme des établissements publics qui relèvent de l’autorité de l’État et de l’Éducation Nationale, ne disposant donc pas de la liberté que peuvent avoir les établissements privés. La mutation de l’institutionnel vers une fonction de l’université plus corporate pose largement problème dans les mentalités et à tous les niveaux, de la direction, au corps enseignant, en passant par les élèves, parler de marketing et de communication pour une université est encore tabou. Cela entraîne donc un rejet de la part des publics, qui voient les universités françaises prendre le pas des grandes écoles, elles-mêmes inspirées des systèmes anglo-saxons. Il sera donc du devoir du communicant d’assurer une transition fluide et presque invisible vers un modèle communiquant, au vu des difficultés rencontrées.

Mais ce n’est pas la seule difficulté que le communiquant va rencontrer. Comme nous l’avons précisé auparavant, il s’agit d’un poste nécessitant un fort degré d’autonomie. En conséquence, nous remarquons que cette fonction nécessiterait une ouverture de plus de postes. Néanmoins, sachant que l’intégration de la communication aux universités est encore très récente et qu’il s’agit d’un sujet controversé, le recrutement n’est finalement pas adopté et la charge de travail est finalement trop intense pour une seule personne. Cela n’optimise donc pas la qualité du travail mené et son efficacité. Il reviendra donc au professionnel en poste également de faire comprendre à sa direction l’importance d’être soutenu dans ses tâches et bénéficier de moyens humains afin de pouvoir mener sa mission à bien. A souligner que le point de vue défendant la présence d’un service communication interne aux établissements publics pourrait profiter d’une opportunité : la transformation du marché avec ces nouveaux postes hybrides, à la fois institutionnels et corporate.

Une tendance intégrée par le marché

La professionnalisation et la financiarisation des universités évolue en même temps que l’environnement qui l’entoure. Ainsi, nous sommes témoin de l’émergence d’associations et regroupements qui ont fait de la communication au sein des universités leur mission.

C’est par exemple le cas de l’ARCES (Association des Responsables de la Communication de l’Enseignement Supérieur). Sa mission au quotidien ? “Promouvoir la fonction communication dans l’enseignement supérieur” [4] via une collaboration entre les professionnels du secteur lors de stages, de congrès et d’événements organisés par l’association. Cette dernière agit également quant à une mise en relation des différents publics (presse, entreprises, établissements, étudiants…) et s’assure de développer des partenariats avec différents types de structures. Fondée en 1985, elle compte par ailleurs plus de 500 adhérents dont 40% travaillant dans des universités. Enfin cette organisation conserve une volonté d’être au plus proche des enjeux rencontrés au quotidien par les responsables de la communication, ceci souligné par le fait que son comité directeur est exclusivement composé de professionnels actifs en poste dans un établissement de l’enseignement supérieur.

Cependant, l’ARCES n’est pas la seule association à se regrouper autour de ces métiers. Il existe également Comosup, cette fois-ci exclusivement centrée sur les responsables de communication dans les universités. Cette organisation s’engage d’ailleurs dans la prise en compte de “l’émergence de la fonction communication dans les universités et d’autre part, [de] la spécificité de leurs missions (…) dans le cadre du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche” [5]. Ce regroupement est au contraire bien plus jeune et ne regroupe aujourd’hui que 27 adhérents, officiant dans des universités nationales situées partout en France.

Pourtant, le milieu dit “annonceur” n’est pas le seul à se restructurer : les agences, premières organisations interlocutrices lors d’une problématique de communication à régler, ont su totalement s’adapter au marché. Nous voyons ainsi naître des agences spécialisées dans ce secteur. De manière générale, les agences de communication orientées dans un domaine d’expertise sont très nombreuses et se sont multipliées dans la mode, l’industrie, la santé… Cela permet à la marque de disposer d’une agence qui connait déjà un marché spécifique et qui a déjà de l’expérience ; tout comme l’on recruterait un professionnel parce qu’il a déjà de l’expérience dans un poste particulier. Nommons pour exemple l’Agence Noir sur Blanc, qui se positionne exclusivement sur l’élaboration de stratégies de communication pour tout type d’établissement de l’enseignement supérieur. De façon plus concrète, l’agence réalise à la fois des opérations d’image et d’identité, des plans sur le digital que des actions de Relations Presse et Publiques.

Quel avenir pour le service communication dans les universités ?

Nous pouvons donc nous demander comment la structure des universités va évoluer dans le futur. La communication va-t-elle s’imposer comme élément incontournable ou comme un luxe dont seulement les plus grandes peuvent investir? Pour répondre à cette question, nous partirons de deux hypothèses différentes.

Premièrement, il est tout à fait possible que la communication soit perçue comme une étape qui détermine la survie de ces établissements. Cela n’est pas sans rappeler le cas de la SNCF (Société Générale des Chemins de fer Français), également attaché au projet d’État providence. En effet, depuis de nombreuses années, l’entreprise doit lutter contre un marché en pleine mutation avec l’émergence de nouvelles solutions de transport ainsi qu’une image de marque peu flatteuse. Ainsi, la communication et le travail marketing ont été des tournants déterminants pour le cycle de vie de la marque. Enfin, à ce jour, celle-ci investit beaucoup dans ces moyens et il serait peu imaginable de percevoir la SNCF amputée de ses efforts de communication et marketing. En conséquence, même si aujourd’hui, l’idée que les secteurs privés et publics de l’enseignement supérieur se touchent parait impensable ; il n’est pas exclu que le futur laisse entrevoir d’autres opportunités.

Or, un autre scénario peut être envisageable. En effet, il ne faut pas oublier que les universités disposent de moyens financiers assez restreints et limités. Subissant une crise de financement, nous pouvons imaginer que celles-ci auront “trop de retard” à rattraper ; contrairement aux grandes écoles ou au système privé, les universités publiques continueront de communiquer mais sans effet, le fossé s’agrandissant. Également, le manque de moyens ne sera pas obligatoirement pris en compte. Comme nous avons pu le voir avec le secteur des entreprises privées, chaque crise entraîne une restriction des coûts et la communication en fait généralement les frais. De ce fait, il est tout à fait possible que les universités continuent de marginaliser les actions de communication, leur dédiant des investissements à hauteur du contexte de crise ou non dont elles font face. Dans ce cas, les universités pourraient être amenées à ne pas passer ce cap de branding et ne pourraient surement pas lutter contre la concurrence des grandes écoles, universités internationales et autres formations qui aujourd’hui, ont passé cette étape avec brio.

En bref

En guise de conclusion, il est important de rappeler que les universités publiques françaises évoluent dans un environnement en pleine mutation. L’apparition du service communication est encore à pérenniser pour ces établissements, qui avancent pas à pas vers une professionnalisation de leurs institutions. Mais les universités ne sont pas les seules à avoir débuter leur changement, puis qu’associations et agences de communication se joignent à elles et révolutionnent le marché, qui est de plus en plus comparable au marché auquel pourrait être confrontée une marque lambda. Reste à savoir si la communication restera de l’ordre de la valeur ajoutée ou deviendra un véritable pilier structurel des établissements publics de l’enseignement supérieur français.

Pour ma part, je considère que les universités ont encore de grandes lacunes marketing et communication et challenges à relever dans les années à venir. Néanmoins, les investissements seront, selon moi, des étapes primordiales afin de conserver une place dans la scène compétitive nationale et de manière plus générale, s’assurer une place ou du moins une reconnaissance à l’international.

Bibliographie / Webographie

[1] ARTE Info, “Étudiants, l’avenir à crédit”, 2016, Documentaire

[2] Audencia, “La Communication dans les établissements d’enseignement supérieur – Grandes écoles et universités face au défis de la communication globale”, 2015/16, https://fr.calameo.com/read/000137206f7dff6c252f1

[3] Orange, “Group’s General Management Commitee”, Mai 2018, https://www.orange.com/en/Group/Governance/Executive-Committee/

[4] ARCES, “Présentation”, http://www.arces.com/Pages/l-association/Presentation

[5] ComoSup, “Présentation de l’association”, http://www.comosup.com/presentation-de-comosup/