L’être humain et son esprit fonctionne par des mécanismes complexes. Que ce soit par l’entourage, les collègues ou de manière interne, l’esprit est influencé de manière constante.
Il nous faudra définir les notions principales dont nous nous servirons dans cette démonstration : il sera question de médias de masse, mais aussi d’esprit critique, de vulgarisation ou encore de dissonance cognitive.
Jamais les quelques 7 milliards d’êtres humains de cette planète n’ont été aussi connectés entre eux. On est passés d’un modèle de communication « one to many » au fameux « many to many ». Chacun et chacune est devenu un potentiel membre à part entière du réseau de communication qui s’est installé de lui-même.
Terminée l’époque de la communication verticale (dans la société, mais aussi dans les entreprises, voire dans la culture), tout le monde a son mot à dire et peut être entendu du moins en surface.
Ce nouveau paradigme fait de l’information un produit accessible à tous mais vient avec son lot d’inconvénients : si tout le monde peut atteindre l’information, tout le monde peut la créer, la relayer et la modifier à l’envi. Cela a un impact sur plusieurs pans de notre société et de nos réflexions que nous retrouverons à travers nos articles. Dès lors, il est nécessaire de faire appel à son esprit critique qui permet d’appréhender une question ou un débat dans les meilleures conditions. Toute réflexion peut par ailleurs être influencée comme nous l’avons évoqué de plusieurs manières : que ce soit par une pression sociale ou par des facteurs internes. Nous proposons dans ce premier article une définition de l’esprit critique puis nous voyons certaines techniques qui le mettent à mal. Par la suite il sera question de besoin d’appartenance et de contraintes internes.

Jugement et esprit critique

Du grec κριτικός (qui juge, qui discerne), l’esprit critique habite celui qui s’interroge sur une information ou une assertion avant de la considérer comme acquise. Posé comme pierre angulaire de la réflexion de la maïeutique socratique au doute cartésien, l’esprit critique est ce qui permet d’établir un jugement basé sur l’expérience et non sur l’intuition. 

Il est important d’éduquer et d’apprendre à réfléchir. On parle souvent d’esprit critique il est intéressant de voir ce qu’on entend par là et de donner des exemples de manipulations et chemins de traverses empruntés pour contourner le contourner. En effet, les sollicitations du cerveau n’ayant de cesse de croître au fil du temps, notre esprit est noyé sous le poids des informations et il peut être difficile d’analyser de manière systémique des situations ou faits sans a priori.

 

Comment notre esprit critique est mis à mal de manière pernicieuse ?

L’argument d’autorité



La plus connue de toutes les méthodes de manipulation, utilisée avec le plus de facilité est sans doute celle de l’argument d’autorité. Elle nous vient de notre plus jeune âge où les références absolues sont les maîtres et maîtresses pour l’école, les parents à la maison. Pour se servir ici d’un argument d’autorité, c’est ce que Schopenhauer décrit comme argumentum ad verecundiam  dans
L’art d’avoir toujours raison. : il parle de « faire appel à une autorité plutôt qu’à la raison ».  Ce frein à la réflexion est sans doute l’un des plus difficiles à surpasser puisqu’il consiste à aller à l’encontre de ce qui est considéré comme une « source fiable » ou de contredire quelqu’un qui est censé connaître parfaitement un sujet.

 

L’effet Barnum

Connu pour être utilisé dans les pseudo-sciences comme la numérologie mais aussi dans la politique et le commerce, cet effet de validation subjective (l’un des biais cognitifs que nous aborderons) consiste à accepter un discours vague et imprécis du moment que l’on s’y reconnaît un tant soit peu. Cette théorie a été validée par le psychologue Bertram Forer, dont l’expérience a prouvé qu’un sujet peut se sentir concerné par une description ou une situation dès lors qu’elle reste floue, relativement neutre ou positive et qu’elle est analysée par une personne dont l’autorité fait foi. Encore une fois, les sources « sûres » se démultiplient du fait des nouveaux modèles de communication.


Syndrome de Galilée

Du nom de l’illustre scientifique, le syndrome de Galilée revient aussi régulièrement lorsqu’un individu tente de convaincre son interlocuteur de quelque chose en trompant son esprit critique. Proche du syllogisme, il consiste à se faire passer pour un incompris « seul contre le monde ». C’est un argument particulièrement utilisé par les climato-sceptiques, mais aussi les anti-vaccins par exemple et qui pourrait tenir en cette phrase : « Si Galilée avait raison contre tous, pourquoi pas moi ? ». Le syndrome de Galilée peut amener certains à aller à l’encontre de l’idée la plus répandue dans le seul but de se sentir différent, de s’élever au dessus de la masse, de n’être pas « vulgaire » au sens strict du terme, mais d’être celui qui sait et qui réfléchit.


Loi de Godwin


La loi de Godwin (parfois appelée de manière erronée ou ironique point Godwin) établit qu’au plus une discussion avance, au plus la probabilité de rencontrer une comparaison mettant en scène Hitler ou les nazis se rapproche de 1. Cette technique, utilisée également en rhétorique joue sur la forte émotion que suscite cette comparaison : elle permet, de discréditer non seulement son interlocuteur, ce qu’il dit, mais également tout ce qu’il a pu dire au cours d’une discussion. Pour le sujet inattentif, ce procédé est redoutable et annihile tout esprit critique. En effet, l’aspect émotionnel est très puissant ici et on cherche à tout prix à éviter de subir la comparaison. Cette pratique est redoutable notamment en matière de politique et de questions sociales.

En somme, l’esprit critique fait appel à une analyse scientifique et mathématique d’un problème. Une théorie doit pouvoir être réfutée aussi bien que vérifiée. L’interprétation n’a pas sa place dès lors que l’on parle d’esprit critique, il s’agit de mettre en rapport les causes, conséquences et statistiques tout en laissant de côté les émotions autant que possible.

 

Pression interne, pression sociale

 

Ici, nous parlons d’un rapport en réaction aux autres, à la société et à ses normes. Du moins à l’image que l’on s’en fait. En effet, les pensées, choix et actions sont souvent faits en fonction de l’altérité. Encore une fois, ces motivations sont souvent inconscientes et nous les subissons plus que ce que nous les mettons en oeuvre à dessein. La bien connue pyramide de Maslow fait office de référence en la matière et explique bien des choses en matière de comportement face aux autres, selon le groupe de référence dans lequel on se place ou dans lequel on aimerait se placer.

 

Besoin d’appartenance …

 

Le besoin d’appartenance est un besoin social établi par Abraham Maslow comme étant un besoin affectif qui consiste à désirer faire partie d’un groupe, d’un ensemble de personne avec lesquelles on partage des avis ou des similitudes sociales par exemple. Ainsi, il peut prendre le pas sur la réflexion ou le jugement : tout le monde peut se souvenir dans son enfance avoir dit qu’il aimait telle ou telle chose pour plaire au groupe le plus populaire du collège, d’avoir supporté telle équipe de foot pour s’intégrer à une bande, ou d’être fan de ce réalisateur indépendant pour plaire ou faire naître une complicité, pour partager un symbole commun. Cela peut se retrouver dans les goûts, les valeurs jusqu’aux jugements esthétiques, aux avis, et aux opinions.


… ou besoin de soumission ?

 

Dès lors, peut-on considérer que l’on pense vraiment ce que l’on pense et que nos choix sont bien les nôtres ? N’est-il pas plus facile de suivre l’avis du groupe ? Il arrive par ce seul besoin d’appartenance que la construction d’un esprit critique et d’un jugement qui devrait être la base de tout développement personnel soit ainsi réduit à néant en raison d’une pression sociale qui nous soumet à des règles normatives : il pourrait ainsi arriver que ce soient nos groupes d’appartenances qui finissent par définir nos choix et nos goûts plutôt que l’inverse. Nous verrons que ceci peut particulièrement se retrouver sur les réseaux sociaux. Bien entendu, cela mène à de nombreuses dissonances cognitives, théorisées par Léon Festinger, référence en matière de psychologie sociale.

 

Les dissonances cognitives

 

On établit de base et de manière arbitraire qu’il existe trois côtés au triangle qui nous compose : ce que nous sommes, ce que nous aimerions être et ce que nous pensons que nous devons être. En partant de ce postulat, est appelée dissonance cognitive tout ce qui fait que l’un de ces côtés est en désaccord avec l’un des deux autres. Par exemple, quelqu’un possédant de manière sincère une forte conscience écologique éprouverait une profonde dissonance cognitive à rouler en voiture polluante. Ainsi il serait amené à réduire cette dissonance soit en se disant qu’il ne peut vraiment pas faire autrement, soit en minimisant son impact, soit en changeant de mode de transport : dans tous les cas, les dissonances cognitives ne peuvent se régler qu’en changeant attitudes, comportements, ou opinions.

Il est important de comprendre qu’un jugement ou une opinion que l’on émet est forcément motivé par une expérience, qu’elle soit personnelle ou collective. Dans les articles qui suivent nous appliquerons ces éléments de réflexion respectivement à l’information et l’opinion, l’étude d’un consommateur pluriel et enfin l’analyse des techniques des éditeurs de jeux vidéo et des réseaux sociaux pour s’accaparer notre temps d’attention.


Sources

Arthur Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison, page 23, https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf

psychologie-sociale.com : https://www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/experiences/attributions-causales-et-de-responsabilite/154-l-effet-barnum

Mike Godwin, 1994, wired.com, https://www.wired.com/1994/10/godwin-if-2/

Abraham Maslow, A theory of human motivation, 1943

Leon Festinger, A theory of cognitive dissonance, 1957