Le branding1 fait référence aux caractères, aux éléments distinctifs qui permettent à tout individu d’identifier une marque d’une autre. Cela inclut les valeurs tangibles de la marque comme son degré d’innovation, son prix, et d’autre part ses valeurs intangibles comme les couleurs ou sa sonorité. À l’image d’un édifice, une marque possède donc un socle de valeurs, composé de signes, de sens et d’actes, qui permet tant de construire une identité solide et de camper un positionnement dans l’esprit du consommateur. Parmi ces marques, certaines ont de plus fait le choix de mettre en œuvre des moyens pour se forger une image et apparaître au niveau international. Comment ces marques mondialement connues prennent-elles la décision de se réinventer, quitte parfois à emprunter un nouveau nom, une image différente, de recommencer (presque) à zéro dans un pays précis, alors qu’elles possèdent déjà une certaine notoriété au cœur de celui-ci ?

1. Comment faire du branding à l’international : Orange et sa stratégie sur le marché suisse

 

L’histoire du Groupe Orange

Le Groupe Orange2 est aujourd’hui l’un des principaux groupes de télécommunications en France et dans le monde. En 2000, France Télécom décide d’acquérir Orange PLC, et un an plus tard, le groupe passe toute son activité sous l’identité de Orange. Le groupe entreprend par la suite de s’implanter à l’étranger comme en Suisse en 2001, ou encore en Pologne ou en Roumanie dès 2005. Présent dans 29 pays, sur tout le continent Africain et en Europe, Orange propose des offres spécifiques et ouvre des partenariats avec certaines entreprises de télécommunication dans certain des pays, comme en Roumanie avec « Telekom Romania » où il propose une nouvelle offre IPTV et Fibre « Home »3. Aujourd’hui, le groupe évolue sous 3 univers distincts : le mobile, l’internet et le fixe, et enfin les entreprises avec Orange Business service. Dirigé par Stéphane Richard depuis 2011 et avec 269 millions de clients depuis le 30 septembre 2017 dernier, il est un leader mondial de la télécommunication pour les particuliers et les entreprises.

 

Salt, « Orange » made in Switzerland

Orange s’est implanté en Suisse dans les années 2000 devenant le concurrent direct de Swisscom et de Sunrise. Marque d’origine française, elle est arrivée dans le pays en gardant son identité visuelle, son positionnement et sa communication. Reconnaissable par son carré de couleur orange, sa musique, mais aussi en capitalisant comme étant l’opérateur proche de ses consommateurs et celui qui leur permet d’accéder à l’essentiel. Cependant en 2015, le copropriétaire du groupe Le Monde, et propriétaire de Free, Xavier Niel décide de racheter Orange Suisse. Pour marquer la distinction entre les deux identités, le propriétaire de Free décide de changer complètement l’identité visuelle et de créer une nouvelle marque. De plus, ce changement doit permettre à la nouvelle marque de bousculer le marché et de faire face à deux acteurs : Swisscom le leader et ses sous-marque Budget et Wingo, et Sunrise avec Yallo. Autre élément important, ces deux opérateurs n’ont cessé de choyer la clientèle suisse, les habituants à des formules mobiles aux données illimitées. C’est donc dans ce contexte que Orange devient fin 2015 : Salt. La couleur orange a laissé place au noir ainsi qu’à une typographie souple et élégante, plus contemporaine. Enfin, le discours change et le nouvel opérateur endosse le rôle de « partenaire de vie ».

 

 Stratégie de Branding : Salt, l’image de la culture Suisse

D’après les mots de Clément Douissard, Global product manager coffee chez Nestlé Nespresso : « Le « Swissness » est une attitude qui fédère les Suisses des différents cantons sur des principes d’attachement à un patrimoine commun, à une façon de vivre et à un engagement4». Bien que la France soit un pays frontalier avec la Suisse, la culture et les attitudes ne sont pas les mêmes. Créé à partir de l’ouvrage « Culture and Organization : Software of the Mind5 » de Greet Hofstede, l’outil « Hofstede Insights6 » soutient ce point et permet notamment de comparer deux pays comme la France et la Suisse sur différentes dimensions, telles que l’individualisme ou encore l’indulgence. Cet outil comparatif apporte une vision globale, une mise en lumière des différences et des similitudes sur le comportement et les tendances des pays. Pour créer Salt mais aussi se détacher de l’image d’Orange, l’équipe de Xavier Niel a donc dû recueillir les spécificités de la culture Suisse comme l’attachement au patrimoine, et l’esprit conservateurs.

 

Après avoir posé les bases grâce à l’étude de la culture, il a fallu comprendre et analyser le marché et les offres des concurrents. Sur le marché Suisse, les autres opérateurs de télécommunication ont pris l’habitude de dorloter leurs clients en leur proposant directement des plans tarifaires de données mobiles illimitées. Si l’on reprend la composition d’une marque, la stratégie de branding passe par la création de valeurs tangibles et des valeurs intangibles. En créant cette nouvelle identité, l’équipe marketing de Salt a d’abord travaillé sur les valeurs tangibles. Selon George Lewi et Pierre-Louis Desprez, auteurs de «La marque7 » les valeurs tangibles désigne ce qui peut être constaté et qui permet à la marque d’exister sur le marché. On peut les identifier selon 3 critères : le prix, la qualité du produit ou encore le degré d’innovation. En comparant un forfait qui donne accès à internet, SMS, MMS en illimité en Suisse, et l’accès en illimité à la 4g pour 59.-chf par mois. À l’opposé, chez Sunrise, le même abonnement revient à 65.-chf par mois. Les clients de Salt peuvent donc constater que le prix n’est pas le même Pour élaborer son changement d’identité Salt a donc créée sa valeur tangible par des abonnement à des prix attractifs.

Mais la transformation n’est pas complète. Il faut en effet y ajouter les valeurs intangibles, qui sont « non-objectives » et « non hiérarchisables ». Dans notre cas, le choix d’une typographie contenant des arrondis a pour but d’évoquer un côté rassurant et de rappeler le nouveau fil rouge de la marque qui se présente comme un « expert partenaire de vie ». Le noir et le blanc, ont ici comme connotation la simplicité. Le nom Salt, n’a pas seulement été choisi pour permettre la distinction avec les autres marques, il accompagne également une nouvelle promesse. Vous souhaitez l’assaisonnement parfait ? Salt ne vous en promet pas trop et vous donne un service efficace et de qualité, juste ce dont vous avez besoin.

Orange Salt

Enfin, changer l’identité d’Orange pour Salt a permis de justifier et d’accompagner l’élaboration de nouvelles offres. La nouvelle image de la marque lui permet également d’engager un nouveau dialogue pour créer un espace de confiance avec sa clientèle suisse dans le but de réduire le risque l’incertitude, justifiant et illustrant les valeurs d’expertise, d’efficacité et d’accompagnement qu’elle défend. En adaptant donc son offre au marché, Salt cherche à devenir un adversaire de taille des opérateurs suisses grâce à son identité forte, à s’imposer, voire à refonder le marché de la télécommunication Suisse.


2. Le branding: Une clef pour passer de la standardisation à l’adaptation à l’international ?

 

Qu’est-ce que la standardisation, et pourquoi a t-elle été un choix stratégique d’Orange pendant longtemps ?

Selon Theodore Levitt8, économiste et professeur de marketing à la Harvard Business school : « La standardisation est une stratégie de marketing international consistant pour une entreprise à proposer un produit aux caractéristiques identiques aux différents segments de consommateurs, pour répondre à des besoins homogènes9 ». Partant de cette définition, pour élaborer une stratégie de standardisation, il faut qu’il y ait les mêmes attentes des consommateurs entre les différents marchés. Avec l’essor d’Internet dans les années 2000, et le développement du téléphone portable, le groupe Orange en a donc profité pour répondre à la même demande : avoir accès à la téléphonie en haut débit. De ce fait, le groupe Orange a pu garder son image et son nom de marque en France et à l’étranger. Et lorsque Orange est arrivé en Suisse, le groupe Orange PLC venait d’être racheté un an plus tôt par France Télécom. Il y a pourtant une certaine limite à la standardisation. Si le groupe Orange avait à ce moment voulu développer une identité distincte dans chacun de ces pays où le groupe était présent, cela aurait induit l’utilisation et la création de structures organisationnelles. Enfin, il aurait également dû prendre en compte la taille du marché du pays. Plus elle est importante, plus il est préférable d’avoir recours à la standardisation.

 

Pourquoi passer à une à stratégie d’adaptation ?

Une stratégie d’adaptation se matérialise par l’implantation sur un marché d’une marque qui adapte ses offres localement. L’adaptation se construit en faisant preuve d’une très grande flexibilité, mais aussi une connaissance parfaite du marché local. Avant d’être séparé du groupe et racheté par Xavier Niel, Orange s’était assuré une place dans l’esprit des consommateurs par le biais de la stratégie de standardisation. Mais sa flexibilité, en termes d’offre et son discours pour rester compétitif face aux nouvelles marques entrantes, restent faible compte tenu de la stratégie de standardisation.

Au-delà de l’argument de la flexibilité, l’adaptation repose aussi sur les différences culturelles pour construire un message par une signature, un slogan ou un concept en lien avec les attentes des consommateurs, et la recherche de performance. L’adaptation permet à une marque de tenir compte des différences et des spécificités du marché, en créant donc une stratégie locale adaptée aux différents segments de consommateurs, voire une nouvelle demande. Dans le cas d’Orange Suisse, son rachat par le propriétaire de Free, lui a permis de se concentrer sur un seul et même pays, et donc de mettre en œuvre les moyens pour matérialiser son changement d’identité et d’imager les valeurs et les attentes des consommateurs Suisse d’aujourd’hui.

 

3. Le branding, une porte vers la stratégie du « Blue Ocean10 »

 

Les valeurs qui ont rythmé pendant de longues années Orange lui ont permis de couvrir et d’assurer une exposition continuelle de son image à l’international. En observant de plus près cette stratégie de branding qu’a mené Xavier Niel après son rachat d’Orange Suisse et à adapter son image au marché Suisse, on peut se demander si cette restructuration n’a pas été faite de sorte à chercher des espaces stratégiques encore inconnus. Développé par W. Chan Kim et Renée Mauborgne, la « Blue Ocean Strategy » repose sur le fait de se diriger de sorte à créer de nouveaux espaces stratégiques, créant une nouvelle demande tout en mettant hors jeu la concurrence par une innovation constante. Alors qu’en France par exemple, Orange se trouve sur une stratégie de « Red Ocean » qui se résume à jouer sur un terrain connu et exploiter la demande, on pourrait envisager cette adaptation comme un objectif pour non seulement comprendre les enjeux locaux, mais pour créer de la valeur dans le futur. La création d’une nouvelle identité pourrait être un moyen d’insuffler un nouveau regard, et de bouleverser les relations entre l’opérateur téléphonique et ses clients. Le branding aurait, dans le cas d’Orange, permis de pousser la porte un peu plus loin et de créer une nouvelle demande d’ordre visuel.

Finalement, pour une entreprise le changement d’identité est sûrement la clef pour s’affirmer sur un marché et s’ouvrir à de nouvelles opportunités. Mais une démarche de branding demande du temps. Xavier Niel a endossé en quelque sorte le rôle de réalisateur et de metteur en scène pour une trilogie avec Salt : le nouveau visage de la téléphonie mobile suisse. La stratégie de branding à pourtant dès le début était bien menée, mais l’onde de choc que l’investisseur avait notamment réalisé avec Free en France n’a pas été la même en Suisse. Bien que l’état du marché de la téléphonie suisse soit favorable, la faute réside dans le temps et le détail. Pour justifier la nouvelle image il aurait dû y avoir plus de moyens pour expliquer ce parti- pris, ou pour permettre aux individus de s’identifier à la marque comme par le biais d’événements, tout comme pour se projeter dans le temps pour entrer dans une démarche continuelle d’innovation, et répondre au besoin d’aujourd’hui et de demain.



Sources :

1 LEWI George et DESPREZ Pierre-Louis, « les valeurs », La marque : Fondamentaux du Branding, 11 Janvier 2013, Vuibert.
2 Renault, M. (2017). Pourquoi Orange s’appelle Orange. [En ligne] Le Figaro. Disponible sur : http://www.journalnt.com/actualites/telecoms/892-un-peu-dhistoire-pourquoi-orange-sappelle- orange.html
3 Orange.com (2018). Orange et les contenus à l’international. Disponible sur : https://www.orange.com/index.php/fr/Groupe/Activites/Contenus/Folder/Orange-et-les-contenus-a- l-international
4 A faire ou ne pas faire en Suisse, écrit par la CFSCI et Ubifrance : http://export.businessfrance.fr/galerie/files/divers/guides_affaires_suisse.pdf
5 Hofstede Greet, 1988. Organizational cultures : Software of the mind. 3ème édition, McGraw-Hill USA 2010.
6 En comparant la France et la Suisse, on se rend compte qu’en Suisse, pour la dimension de « l’indulgence », la Confédération helvétique obtient un score de 66. Cela sous-entend que les personnes dans les sociétés avec un score élevé montrent généralement une volonté de réaliser leurs impulsions et désirs en ce qui concerne la jouissance de la vie et le plaisir. Ils ont une attitude positive et ont tendance à l’optimisme. En outre, ils accordent une plus grande importance au temps libre, agissent à leur guise et dépensent l’argent comme ils le souhaitent. À l’opposé, la France obtient un score de 48, ce qui montre qu’ils apprécient la vie moins souvent qu’on ne le pense. Ils auront donc plus tendance à ne pas dépenser pour réaliser ce qu’il souhaite faire.
7 LEWI George et DESPREZ Pierre-Louis, La marque : Fondamentaux du Branding, 11 Janvier 2013, Vuibert.
8 Theodore Levit , The globalization of markets, Harvard Business Review, May 1983
9 Blum, Etienne. (2018). Les caractéristiques de la standardisation – Cours marketing, Disponible sur http://www.cours-marketing.fr/differenciation/differences-culturelles/les-caracteristiques- standardisation
10 La stratégie de l’océan bleu. Disponible sur : http://www.e-marketing.fr/Thematique/academie-1078/fiche-outils-10154/strategie-ocean-bleu-306806.htm#POg22EYW5vPtwvXH.97

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