La publicité peut-elle réellement être responsable ?
Entre crise climatique et crise sociale, notre société est un plein bouleversement. Les publicitaires n’ont pas vocation à faire changer le monde, mais, comme le monde change, les publicités changent également. Les attentes ainsi que les réactions du public face aux publicités sont révélatrices de l’état de la société. Reflet parfois caricaturé, déformé ou idéalisé de la société, la publicité peut ancrer des stéréotypes et perpétuer un certain regard sur la société. Néanmoins, les publicités peuvent aussi entrainer une prise de conscience et aider à faire évoluer la société. La mise en place d’une publicité plus responsable semble indispensable et inévitable. Il est donc essentiel de concilier publicité et transition écologique et sociale.Mais la publicité peut-elle, réellement, être responsable ? Dans cet article, nous allons tenter de répondre à cette question.
Société, Publicité, Responsable : quels liens entre ces mots ?
Société, Publicité : deux mots indissociables
On retrouve des traces de publicités datant de l’Antiquité mais c’est surtout vers la deuxième moitié du XIXe siècle, au moment de l’industrialisation du pays, que la publicité a commencé à se développer fortement, dans la presse puis sur des panneaux d’affichage.
La publicité est utilisée par les industriels et les commerçants pour accroître la notoriété d’une marque ou pour la faire connaître, pour inciter le public à acheter un produit ou à utiliser un service. Les organisations administratives, caritatives ou humanitaires utilisent aussi le biais de la publicité pour faire passer des messages d’intérêt général.
La publicité et la société sont étroitement liées. La publicité n’a pas pour vocation première de faire évoluer la société mais bien de vendre un bien ou un service. Cependant, même si ce n’est pas son but, la publicité a un impact sur la société. A l’inverse, l’évolution de la société impacte la publicité.
Aujourd’hui, la publicité est omniprésente : sur Internet, dans la presse, à la télévision, à la radio, dans la rue … En moyenne, chaque personne perçoit « entre 1200 et 2200 messages publicitaires par jour ». Malgré tout, d’après les marques, il n’y a jamais assez de publicités. C’est un cercle vicieux, comme il y a un nombre colossal de publicités et de marques, les entreprises en font encore plus pour essayer de se démarquer de leurs concurrents.
Publicité, Responsable : deux mots que tout semble opposer.
D’après le dictionnaire, la publicité a la définition suivante :
- Le fait d’exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales, spécialement, de faire connaître un produit et d’inciter à l’acquérir.
De son côté l’adjectif ‘responsable’ a différentes définitions :
- Qui doit réparer les dommages qu’il a causés
- Qui doit répondre de ses actes ou de ceux d’autrui
- Qui est la cause volontaire et consciente (de quelque chose), en porte la responsabilité.
- Chargé de…
- Qui doit rendre compte de sa politique
Le mot ‘responsable’ a une connotation assez négative.
Ces deux définitions sont très intéressantes. Si on associe ces deux termes on pourrait alors remettre en question le caractère et la définition de la publicité responsable. En effet, littéralement, la publicité responsable reviendrait à dire que la publicité doit réparer les dommages qu’elle a causés, volontairement, et doit ainsi répondre de ses actes ou de ceux d’autrui. La publicité responsable respecte les valeurs de développement durable et encourage les comportements responsables.
La publicité ne peut pas être totalement responsable
La publicité n’est pas écologique
Comme expliqué précédemment, la publicité a pour objectif de communiquer et de faire connaitre ses produits et services afin d’en promouvoir la vente. La publicité influence psychologiquement le consommateur afin de le pousser à acquérir le produit/service de la marque.
La plupart des produits mis en avant par les publicitaires sont néfastes pour notre santé (boissons sucrées, plats préparés, fast-food,…) mais aussi pour la nature (voitures, jouets en plastique, fast-fashion…).
Au-delà de cela, la publicité nous incite à adopter de mauvaises habitudes. En effet, la publicité crée de faux besoins chez les consommateurs. Elle crée l’envie chez les consommateurs de posséder des produits dont ils n’ont pas, essentiellement/vitalement, besoin. La publicité incite fortement à la surconsommation ce qui n’est absolument pas responsable. Le problème est encore plus grave, car, n’étant pas responsable, la publicité contribue à la pollution et à l’épuisement des ressources… vitales à notre existence.
Par nature, la publicité n’est donc pas écologique. De ce fait, la publicité ne peut, à priori, pas être compatible avec la responsabilité.
La publicité n’est pas objective
Ayant pour but le passage à l’action de la part du consommateur, la publicité n’est pas objective. Elle doit vendre du rêve, vendre les mérites, les bienfaits de son produit ou service. La publicité ne parle, en général, pas des effets néfastes de son produits. En tout cas, ce n’est pas ce qu’elle va mettre en avant.
La publicité s’impose aux personnes
Les publicités s’imposent aux personnes. Elles sont présentes partout : dans nos boites aux lettres, dans la rue, dans les magasins, sur nos téléphones, sur internet, à la télévision. Impossible d’y échapper ! Selon Anti-pub « la seule publicité acceptable est celle que l’on consulte librement, en conscience ».
La publicité surfe sur la tendance
Les acteurs de la communication et, notamment les publicitaires, surfent uniquement sur la tendance. Elliot Boucher, fondateur d’Edusign, ou William Dabrowski, fondateur d’Edone Paris, s’accordent à dire que « Oui, la publicité est un argument de vente ». Et cela est vrai même lorsqu’une publicité ne fait pas de greenwashing ou de social washing !
Prenons pour exemple cette publicité Patagonia, « Don’t buy this jacket », sortie en 2011 à l’occasion du Black Friday. L’objectif de cette publicité était de lutter contre le consumérisme. À première vue, on pourrait penser que c’est une publicité responsable et que c’est une très bonne initiative de la part de la marque. Elle incite ses consommateurs à consommer moins, mieux et de manière plus responsable. Mais, ne soyons pas dupes, cette campagne a également rapporté beaucoup de clients et d’argent à l’entreprise. En effet, si on prend un peu de recul, on pourrait aussi voir cette campagne comme étant une manière très subtile de gagner en notoriété. Cette campagne publicitaire est brillante ! Elle a fait un énorme buzz et cela a permis à la marque de se faire connaître positivement. N’oublions pas que Patagonia est une marque commerciale, dont l’objectif est de vendre pour faire un maximum de bénéfices.
La meilleure publicité responsable, c’est l’absence de publicité
En suscitant le désir chez les consommateurs, les publicités ont leur part de responsabilité dans la surconsommation et dans la consommation de produits dangereux pour la santé et pour la planète. De même, les publicités ont leur part de responsabilité dans la représentation que la société a d’elle-même. En véhiculant des images stéréotypées, en vendant du rêve, en ne mettant pas en avant les minorités, en étant sexiste, parfois raciste, la publicité a pu ancrer des opinions ou des comportements.
Aujourd’hui, la société a pris conscience de l’impact négatif que pouvaient avoir les marques sur l’environnement et sur la société. De même, la société a pris conscience du rôle négatif que pouvait avoir la publicité.
Pour Sandrine Roudaut, « La meilleure publicité responsable, c’est celle qui n’existe pas ».
Néanmoins, Imaginer un monde sans publicité est aujourd’hui impensable car les marques ont besoin de se faire connaitre. Les consommateurs, sans demander la disparition des publicités, sont en attente de publicités plus responsables.
La publicité peut être responsable
Un engagement nécessaire des grandes marques
Comme l’explique Elliot Boucher, Co-fondateur d’Edusign, « seules les grosses entreprises ont le pouvoir de faire changer les comportements ». Aujourd’hui, les grandes entreprises peuvent communiquer facilement. Elles peuvent verdir et enjoliver très facilement leur image sans rendre de comptes. Elles peuvent donc manipuler aisément la société. De leur côté, les petites entreprises éthiques, engagées et responsables se retrouvent noyées dans un amas de publicités. Leur impact est donc extrêmement réduit. Ici, on se rend bien compte que c’est avant tout aux grandes entreprises de changer et de faire passer de vrais messages responsables et, surtout, de les appliquer elles-mêmes. Pour que la publicité responsable prenne de la valeur et que cela ait un impact positif sur la société, il est donc absolument nécessaire que les grandes entreprises s’engagent.
La nécessité de dépasser les obstacles
Évidemment, il existe des limites à la conception et à l’utilisation des publicités responsables.
L’un des freins pour les entreprises pour faire des publicités responsables c’est le temps. Faire de la publicité responsable demande du temps, beaucoup de temps, surtout au début. Il faut se renseigner, trier les informations, comprendre les enjeux, questionner la société, négocier avec les collaborateurs, faire des concessions…
Ensuite, cela a un coût. En effet, utiliser des matériaux écoresponsables coûte souvent bien plus cher que des matériaux non responsables comme le plastique.
Enfin, que ce soit pour le consommateur, les entreprises ou les publicitaires, cela nécessite de se repérer dans la multitude d’informations, de savoir se remettre en question et de s’adapter. Qui croire ? Quels produits/matériaux choisir ? Quelle marque dit vrai ? Cette publicité est-elle vraiment responsable ? Est-ce que je fais du Greenwashing ?
Faire de la publicité responsable c’est aussi accepter que l’entreprise ne soit pas parfaite. Faire de la publicité responsable c’est savoir se remettre en question et s’adapter.
Chaque petit effort compte
Si personne ne peut contredire l’idée que la publicité la plus responsable serait celle qui n’existe pas, cela ne veut pas dire que les publicités ne peuvent pas évoluer et devenir plus responsables. Nous sommes dans une société dans laquelle il est difficile voire impossible, pour une marque, de se faire connaître sans faire de publicité. De plus, la publicité est un poids lourd pour l’économie. Il est essentiel que chaque marque revoie sa manière de procéder. Pour cela, les marques et les agences de publicité doivent s’engager dans une démarche responsable en interne et dans leur communication. Elles doivent impérativement réduire le nombre de publicités qu’elles diffusent, revoir leurs supports de communication et choisir des supports plus éthiques et responsables, mieux choisir leurs mannequins… Chaque petit effort compte pour faire évoluer la société et les mœurs.
Il ne faut pas avoir peur d’en faire trop
Les marques peuvent avoir peur de mettre en avant des arguments écologiques de peur d’être accusées de greenwashing. En effet, les marques industrielles savent bien que même si elles sont engagées dans une véritable démarche RSE, elles peuvent toujours être critiquées et accusées de ne pas en faire assez. Néanmoins, si la marque est sincère, si elle ne survend pas ses produits, ses efforts seront reconnus par les consommateurs.
Certaines marques peuvent avoir peur de s’engager de peur de perdre une partie des consommateurs ciblés. Pendant longtemps, les marques ont sous-représenté les minorités car elles ne constituaient pas leur cœur de cible. Pire, les marques ont souvent mis en avant des personnages dans leur publicités qui correspondaient à l’image qu’elles avaient de la « perfection » et ce même si cette image était loin de la réalité des consommateurs ciblés. Certaines marques comme Benetton ou Dove ont compris depuis longtemps que la diversité pouvait être une force et non une faiblesse. Aujourd’hui, la société s’ouvre de plus en plus à la diversité et les marques doivent suivre cette tendance et l’encourager.
Luc Wise, fondateur de The Good Company, indique qu’il faut réfuter « l’idée encore trop répandue que si une marque « en fait trop » elle va se couper d’une partie de ses consommateurs. Au contraire, […] le vrai danger, c’est de ne « pas en faire assez » en termes de diversité dans la publicité, à condition de bien le faire. »
Ainsi, il est nécessaire que les entreprises soient socialement responsables dans leurs publicités. Il vaut mieux en faire « trop que pas assez ».
Il faut favoriser les marques les plus responsables
Un moyen pour une agence de faire de la publicité responsable serait de donner accès à la publicité à des marques responsables qui n’ont pas ou peu les moyens de faire de la publicité. Ainsi, comme certaines entreprises plantent des arbres pour compenser leur impact carbone, les agences peuvent favoriser les marques éthiques et responsables pour compenser les publicités faites pour les grandes marques. Les agences publicitaires peuvent également favoriser la publicité pour les associations qui n’ont pas, au contraire des marques, d’objectifs de rentabilité. En effet, de nombreuses associations militent en faveur d’une société plus responsable et porter leur parole pourrait permettre de limiter l’impact négatif de la publicité des grandes marques.
Des règles pour encourager une publicité plus responsable
Les règles de la société ne veulent pas être un frein à la liberté d’expression et de création mais elles fournissent un cadre dans lequel cette liberté peut s’exercer.
Aujourd’hui, la règlementation impose aux publicités d’être conformes aux principes de santé publique et de maintien de l’ordre public. La loi encadre la publicité autour des produits les plus polluants. Elle interdit ou limite la diffusion de publicités comme celles sur le tabac ou l’alcool. Elle impose à certaines publicités de comporter des messages d’avertissement sanitaire.
Par ailleurs, l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) fixe le cadre déontologique de la profession et émet des avis sur les publicités. Ces avis ne sont que consultatifs, mais ils sont la plupart du temps écoutés et suivis d’effets (refus d’affichage, retrait de certaines publicités).
Si les publicités doivent respecter les règles établies, elles suscitent souvent le débat et peuvent ainsi être à l’origine de la création de nouvelles règles ou à l’origine de la transformation des règles existantes. Elles contribuent ainsi à l’évolution de la société.
Conclusion
Bien sûr, la publicité ne pourra pas résoudre tous les problèmes de la société. En revanche, elle est un élément fondamental au sein d’un système. La publicité a le pouvoir d’influencer notre société. Elle peut donc entraîner des changements positifs.
La publicité n’est pas objective, elle n’est pas neutre. La publicité n’est jamais anodine, elle porte et diffuse des valeurs mais aussi des préjugés sur notre société, de manière volontaire ou non. La publicité participe à l’évolution de notre société en plus de contribuer à la croissance économique des entreprises. Pour bâtir le monde de demain, la publicité se doit d’être plus inclusive et plus durable. C’est un mouvement de fond auquel elle ne peut se soustraire. Comme le dit Luc Wise, fondateur de The Good Company, « la publicité de demain sera responsable ou ne sera pas ».
Amelia Boucher
4ème année – Créa 360°
Webographie
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Conférences et Interviews
Conférence et Interview avec Hugo Stépanian, Consultant communication digitale et responsable chez Positive Studio, Lyon, 29 septembre 2021.
Conférence de Thomas Saunders – Planneur Stratégique et référent RSE – Agence DPS : L’enjeu des certifications pour les agences – L’agence DPS vise la certification Bcorp, ISCOM, Lyon, 24 novembre 2021
Interview téléphonique avec William Dabrowski, CEO d’Edone Paris, 22 mars 2022,
Bruxelles – Paris. https://edone.paris/password
Interview téléphonique avec Elliot Boucher, CEO Edusign, 27 mars 2022, Bruxelles – Paris
Interview en visioconférence avec Vincent Sivelle, étudiant, 1 avril 2022, Bruxelles – Aix-en-Provence
Interview téléphonie avec Elodie Bec, étudiante, 3 avril 2022, Bruxelles – Marseille
Bibliographie
POIVRE-LE LOHÉ, Yonnel, De la publicité à la communication responsable, Paris , 2014, Charles Léopold Mayer, 190 p.