En 2020, chaque habitant de la Terre produira 1.7 mégabytes de données chaque seconde. Rapporté à l’heure, le poids représente l’équivalent d’un épisode de Game of Thrones de 1h30 en full HD. Avec un volume de données mondiales qui double tous les trois ans, et dont 90% de la masse existante aujourd’hui a été générée ces deux dernières années [1], il est compréhensible que leur collecte et leur exploitation puisse constituer des opportunités non négligeables pour différentes entités. Gouvernements, services de renseignements, organisations non gouvernementales ou encore entreprises à but lucratif y perçoivent leur avenir. Toutes ces données sont regroupées dans un ensemble gargantuesque appelé le « Big Data ». Buzzword par excellence, le Big Data regroupe « l’ensemble des données numériques produites par l’utilisation des nouvelles technologies à des fins personnelles ou professionnelles » selon Futura Sciences [2]. Longtemps considérées comme une ressource ultime et difficile d’accès, les mégadonnées sont aujourd’hui un concept à démystifier pour permettre aux entreprises d’exploiter pleinement leur potentiel dans une finalité commerciale. Motivées par un environnement hyperconcurrentiel où les intuitions sur les clients ne suffisent plus, les entreprises ont ainsi peu à peu eu recours au Big data dans leurs stratégies marketing. D’abord utilisé pour qualifier des bases de données, le Big Data est aujourd’hui au cœur de nombreuses décisions marketing. Cependant, ce marketing de la donnée, autrement appelé data-marketing, doit faire face à une quintuple problématique : les 5V du Big data. En effet, afin d’optimiser au mieux la gestion des données, les entreprises devaient originellement prendre en considération trois éléments : le volume des données dont la croissance est exponentielle, la variété des informations (formats, structure etc.) et la vitesse ou vélocité avec une collecte et un traitement des informations en temps réel. Toutefois, les experts du Big data considèrent également deux nouveaux éléments : la véracité des données et la valeur de ces dernières, c’est-à-dire leur potentiel d’activation marketing. Les contraintes techniques, relatives aux outils de collecte, traitement et organisation de la donnée, s’effacent peu à peu face aux contraintes juridiques avec une législation de plus en plus sévère et des questions éthiques mises régulièrement sur le devant de la scène. A travers cet article, nous répondrons à la problématique suivante : Une entreprise avec un service e-commerce peut-elle se permettre de ne pas utiliser le data-marketing dans sa stratégie globale et quels enjeux éthiques et de performance l’utilisation de la data soulève-t-elle ? Afin de répondre à cette problématique, nous verrons dans un premier temps les fondements du data marketing et l’impact de la donnée sur la croissance des entreprises. Nous verrons ensuite comment la législation a évolué pour s’adapter aux pratiques relatives à la collecte des données et la place de l’éthique dans une stratégie de data-marketing.

1. Fondamentaux du data-marketing et de la data science

Avant de pouvoir se projeter et répondre à la problématique centrale de cet article, il convient de s’intéresser aux fondamentaux du data-marketing. Nous allons ainsi recontextualiser les principaux éléments du data-marketing, à savoir les types de données utilisées, l’importance de la data-science et les technologies de DMP, à la base de toute stratégie data-driven.

1.1) Les types de données data-marketing

Nous nous étions intéressés dans notre premier article « L’internaute, gibier d’une chasse au données personnelles » aux données personnelles récoltées par le géant du web. Cependant, ce n’est qu’une infime partie des informations que les entreprises sont amenées à récolter dans une démarche de data-marketing.

a) Qualification des données

Les entreprises ont à leur disposition deux catégories de données : les données structurées (ou informations structurées) et les données non structurées (ou informations non structurées). Il est capital d’en comprendre leurs différences afin d’appréhender les enjeux de traitement, d’interprétation et de sécurité. En premier lieu, les données structurées regroupent l’ensemble des informations facilement exploitables et interprétables par machines, robots et algorithmes grâce à des balises de métadonnées (les données des données). Dans le cadre du data-marketing, les informations structurées possèdent un format prédéfini, qui leur permet de s’intégrer dans les champs d’une base de données. Concrètement, selon l’article « l’analyse prédictive : définition et outils » du site complex-systems.fr [3], elles correspondent :
  • Aux informations géographiques et socio-démographiques ;
  • Aux interactions avec l’entreprise, comme la fréquence des réclamations ;
  • Aux informations transactionnelles : panier moyen, catégories de produits, fréquence d’achat etc. ;
  • A la participation et la réactivité aux sollicitations marketing : taux d’ouverture des mails, taux de clics sur les annonces etc. ;
Tout ce qui ne rentre pas dans ces catégories est alors considéré comme des données non structurées. Contrairement au premier ensemble, les données non structurées ne sont ni facilement archivables ni facilement exploitable. Cependant, Chirag Shivalker estime qu’elles peuvent constituer jusqu’à 80% des données récoltées par une entreprise [4]. Le spectre des données non structurées est donc large, et regroupe une infinité d’informations multimédias comme des sms, des mails, des vidéos d’avis, dont la gestion et la protection donnent du fil à retordre à de nombreuses entreprises.

b) Source des données

Comme présenté par Maxime Defas dans un article sur ve.com, nous pouvons distinguer trois sources de données dans le data-marketing : les first-party, second-party et third-party data [5]. Les first-party data sont des données dites propriétaires. Pour un annonceur, elles correspondent aux informations qu’il collecte directement auprès de ses consommateurs. Ces données peuvent être issues des bases de données CRM, des sites web ou encore des applications mobiles appartenant à l’entreprise. Les données first-party sont considérées comme étant les plus qualitatives. En effet, grâce aux données propriétaires, une entreprise est en mesure de suivre le cycle de vie de son client et détecter si son consommateur est en phase de conquête, fidélisation ou réactivation. Ces données sont essentiellement déclaratives, c’est-à-dire fournies par les utilisateurs eux-mêmes, en remplissant par exemple un formulaire d’inscription à un jeu concours, et comportementales, notamment sur la manière dont ils sont arrivés et naviguent sur le site internet de l’annonceur. En ce qui concerne les second-party data, elles ne sont en réalité rien d’autre que les first-party data d’une site partenaire. En effet, le partage des données est monnaie courante entre deux sites partenaires, d’autant plus si l’entreprise appartient à un réseau de plusieurs annonceurs. Par exemple, une entreprise qui commercialise des jeux vidéo aura grand intérêt à partager ses données avec un spécialiste du matériel informatique et vice-versa. Chacun y trouvant son compte pour enrichir sa base de données et adapter ses actions marketing. Les second-party data sont cependant moins intéressantes que la première catégorie, dans la mesure où la totalité des informations collectées ne seront pas forcément utiles à l’ensemble des partenaires. Les third-party data, quant à elles, proviennent de sources extérieures. Obtenues moyennant paiement auprès de tiers spécialisés, elles complètent et renseignent les annonceurs sur des profils consommateurs. En réalité, elles offrent aux annonceurs la possibilité d’étendre leur audience à des individus qui ne sont pas leurs consommateurs, mais qui leur ressemblent. Contrairement aux first-party et dans une moindre mesure aux second-party data, les third-party data sont partagées avec d’autres annonceurs. Il y a donc une forte probabilité pour que les concurrents aient accès à ces mêmes audiences. De plus, le manque de transparence sur la collecte et le traitement des données peut s’avérer problématique. Les annonceurs ne peuvent ainsi pas avoir la certitude que les données achetées soient exactes et pertinentes pour leur marketing. Il existe enfin une dernière source dans laquelle les annonceurs peuvent s’approvisionner en données : l’open data. Bien public non exclusif et non rival, l’open data repose sur des critères essentiels : l’accessibilité et la disponibilité des données ainsi que la libre réutilisation et redistribution. En résumé, chacun doit être en mesure d’accéder à ces données, quelle que soit l’utilisation finale qu’il compte en faire. Ce qui induit que, comme pour les data third-party, tous les acteurs et concurrents ont accès aux mêmes données. La différenciation s’opérera donc davantage dans le traitement technologique et l’exploitation des données, que dans les informations elles-mêmes.

Illustration 1 : Les différentes sources de données first, second et third-party data

Sources de données data-marketing

Figure 1 – Les sources de données – Clémence Girard , 2019

1.2) La data-science, plus qu’une simple analyse de données

La data science ou science des données est une pratique interdisciplinaire qui permet d’extraire et d’utiliser les données dans un objectif de création de valeur pour une entreprise. Elle induit l’utilisation de techniques, outils et méthodes automatisées dans la récolte, le tri, et l’interprétation de la donnée. Savant mélange de statistiques, programmation, visualisation et d’apprentissage, la data-science repose avant tout sur des algorithmes. Selon Jean-Paul Aimetti, dans son livre « No data », le marketing utilise régulièrement ces algorithmes pour adresser une communication adaptée à des consommateurs qui « vérifient un ensemble de conditions favorisant leur intérêt pour un produit donné » (p.26) [6]. Comme le précise Jean-Paul Aimetti, dans le data-marketing, les algorithmes peuvent, de manière complémentaire, se baser sur deux modèles statistiques différents : la structuration des données ou le modèle explicatif [7].  Dans le premier cas, l’objectif est de visualiser les données via des représentations synthétiques, permettant de dresser des profils et des typologies de consommateurs à partir de leurs comportements et de leurs besoins. Dans le deuxième cas, une analyse prédictive reposant sur une série d’observations et de critères factuels permettra d’estimer la probabilité qu’un évènement se produise. Ces prédictions peuvent permettre d’anticiper les intentions d’achat et l’engouement autour d’un produit, le démarchage de clients prêts à abandonner une marque ou encore une optimisation de la chaine de production avec une meilleure gestion des stocks. En somme, la data-science offre aux entreprises la possibilité de proposer le bon message à la bonne personne et au bon moment, en anticipant les besoins et comportements des consommateurs. Toujours selon Jean-Paul Aimetti, la data science est divisée en quatre étapes linéaires et essentielles. Ces dernières sont :
  • La sélection des informations à traiter ;
  • La récolte de ces informations ;
  • Les analyses et validation des données ;
  • L’interprétation et l’utilisation des données.
Support de la data science, les DMP ou Data Mangement Platform sont indispensables pour les entreprises qui souhaitent exploiter la donnée. La DMP est définie comme une plateforme qui permet de « récupérer, centraliser, gérer et utiliser les données relatives aux prospects et clients » [8]. Alimentées par les diverses sources que nous avons vues précédemment, la DMP est reliée à différents canaux de sorties online et offline. Dans une vraie stratégie cross plateforme et multicanale, elle sert autant aux annonceurs qu’aux agences. Portée par les data-scientists et l’ensemble des systèmes d’informations et informatiques d’une entreprise, elle se doit d’être performante et pertinente pour guider l’entreprise dans son approche marketing. Cependant, aussi rôdée soit-elle, la data-science n’est pas infaillible. Une ou plusieurs erreurs à chacune de ces étapes biaiserait automatiquement l’utilisation finale des données. M. Aimetti attire ainsi notre attention sur le caractère arbitraire de la sélection des données à collecter, sur les failles potentielles des méthodes de recueil, et enfin sur les limites technologiques à l’interprétation des résultats, avec une intelligence artificielle qui a encore de grands progrès à faire [9]. Avoir une stratégie de marketing prédictif et de data-science performante et efficace n’est donc pas à la portée de toutes les entreprises. Les prérequis techniques et technologiques ferment de nombreuses portes aux annonceurs qui n’ont pas les moyens d’investir.

2. Impact de la donnée sur la croissance des entreprises

Aujourd’hui, pour de nombreuses entreprises, il est tout simplement inconcevable de ne pas intégrer la data dans leur stratégie de marketing digital. Cependant, cela signifie-t-il forcément qu’un PurePlayer ou une entreprise en Click-and-Mortar ne puisse pas s’affranchir du Big Data ?

2.1) Data-marketing et Growth Hacking

Pour comprendre les pertes qu’une entreprise aurait à ne pas utiliser la data, il convient de mesurer l’usage réel de cette dernière dans les stratégies marketing, et son impact sur l’économie et la croissance des annonceurs.

a) Opportunités du data-marketing

Pour ce faire, nous nous sommes penchées sur le « Livre blanc du data Marketing » réalisé par la société Makazi, spécialiste français du data marketing [10]. Menée par L’Ifop auprès de 300 chefs d’entreprises de plus d’une centaine de salariés, l’étude révèle que la récolte des données personnelles des consommateurs et des leads est une opportunité pour :
  • Prospecter de nouveaux clients ;
  • Atteindre des objectifs de croissance et performance tout en valorisant la fidélisation ;
  • Trouver de nouveaux axes d’innovation ;
  • Valoriser l’entreprise, son image et sa réputation ;
  • Pratiquer une politique de différenciation .
A cela peut également s’ajouter une fluidification de l’expérience consommateur, avec une meilleure approche de la gestion de la relation clients grâce à une segmentation basée sur des données comportementales et personnalisées. Pour mettre en application cette étude, nous avons décidé de nous pencher sur le cas concret d’un site e-commerce leader en termes d’audience sur le marché français. A partir de la liste « Le top 15 des sites et applications « e-commerce » les plus utilisés en France », réalisée par Médiamétrie et publiée sur le Journal du Net en novembre 2018 [11], nous avons choisi de nous concentrer sur l’une de ces enseignes : Booking.com. Site néerlandais et leader de la réservation en ligne d’hôtel, Booking dépenserait, selon Wikipédia, 3.4 milliards de dollars dans la publicité sur le web [12], soit un investissement dans la data à la hauteur de son leadership. En effet, dans un entretien publié sur la Redoute, Pepijn Rijvers, directeur marketing de Booking.com, déclare travailler dans une société « data driven », avec une offre purement digitale, où la data est par nature « décisive pour bien comprendre ce que nous faisons et ce que recherchent nos clients » [13]. Mais dans quelle mesure précisément ces données sont-elles exploitées et traitées ? Pour le comprendre, il suffit de se rendre sur la page « privacy » de Booking.com [14]. Effectivement, l’entreprise y informe ses utilisateurs sur une utilisation des données first party à visée marketing. En l’état, leurs données personnelles sont utilisées pour :
  • Des envois de newsletters et autres communications à des fins marketing pour promouvoir les produits et services de Booking.com ;
  • Une expérience utilisateur personnalisée sur le site et l’application avec des offres ciblées et adaptées ;
  • Des e-mails de relance pour limiter les abandons paniers, invitant l’utilisateur à poursuivre sa réservation ;
  • Des envois de mails pour inviter les clients à déposer un avis et obtenir des recommandations ;
  • Des démarchages par mail et sms pour participer à des études de marché
  • Un partage des données au sein du groupe Booking Holdings Inc. pour analyser les performances et améliorer les produits.
Concernant les Cookies, fichiers déposés à partir d’un serveur sur le disque dur de l’utilisateur, ils sont de quatre natures différentes : fonctionnels, techniques, publicitaires et analytiques. Nous allons ici uniquement nous intéresser aux deux derniers, utilisés à des fins publicitaires et analytiques. Booking utilise notamment des cookies propriétaires et tiers pour afficher des publicités de retargeting, basées sur les recherches effectuées par l’utilisateur sur le site et l’application. Dans le cas présent, ces recherches peuvent être des destinations de voyage, des hôtels consultés, ou encore des tarifs préférentiels. Enfin, les cookies analytiques permettront à Booking de récupérer des informations sur le taux de rebond, les pages consultées, le temps par session et autres métriques du site. Exploitées via des plateformes de type Google Analytics, elles permettront entre autres d’adapter les communications et publicités présentes sur les réseaux sociaux, sur les moteurs de recherches ou chez les sites partenaires.

b) La croissance économique par la donnée

Vous avez certainement déjà entendu parler du Growth Hacking, ou littéralement piratage de la croissance. Cette stratégie consiste à accroître son chiffre d’affaires de manière exponentielle. Il existe une multitude de techniques de Growth Hacking, certaines étant légales et conventionnelles là où d’autres sont moralement et juridiquement contestables. En marketing et plus précisément en e-commerce, les techniques de Growth Hackers ont pour finalité l’optimisation du canal de conversion en AARRR, à savoir l’acquisition, l’activation, la rétention, la recommandation et enfin les revenus. Le tout grâce à un élément dont nous avons grandement parlé tout au long de cet article : le Big Data. Illustration 2 : Le tunnel de conversion marketing en AARRR
Tunnel AARRR data-marketing

Figure 2 – Le tunnel de conversion AARRR – Clémence Girard , 2019

Datameer.com, société spécialisée dans la data, présente dans son infographie « Unlocking Big Data – tune in to the customer Journey » les avantages économiques de la data pour les entreprises [15]. Une étude de cas réalisée sur des fournisseurs de services financiers, révèle que les données ont permis à ces entreprises d’économiser 3.5 millions de dollars par an. En outre, avec des annonces personnalisées et ciblées, elles ont pu améliorer leur taux de conversion de 25%. Toujours dans cette infographie, une autre étude de cas portant sur des entreprises de jeux vidéo a démontré que le Big Data Analytics a propulsé leur chiffre d’affaires de 50 millions de dollars à 600 millions de dollars, soit 10 fois plus. De plus, Robind Goad, Responsable de l’analytique client de Financial Times avait également déclaré que 80% du chiffre d’affaires du quotidien britannique serait en danger si leur 1st party data ne pouvaient plus être exploitées [16]. Enfin, Corp, organisateur de salons et de conférence dans le domaine des nouvelles technologies estime que d’ici 2020, l’avantage comparatif entre les entreprises qui utilisent le Big Data et celles qui ne l’utilisent pas s’élèverait à 1 200 Milliards de dollars [17]. L’impact du Big Data dans le marketing des entreprises est donc passé d’un état de mythe à celui de réalité économique.

2.2) Une exploitation des données encore perfectible

Avec l’explosion du Big Data, et la part toujours croissante des entreprises qui y ont recours, il serait naturel de penser que ces dernières ont développé des systèmes performants de traitement de la donnée. Cependant, en 2018, l’étude Gemalto « Businesses collect more data than they can handle » révélait que 65% des entreprises interrogées n’étaient pas capables d’analyser et hiérarchiser les données récoltées auprès de ses consommateurs [18]. Par ailleurs 91% d’entre elles estiment qu’elles pourraient faire un meilleur usage de la donnée dont le volume ne cesse de croitre. Sur le sol français uniquement, l’étude « Du big Data à l’Intelligence Artificielle : le défi des entreprises françaises » conduite par PCW et l’usine digitale démontre que 47% des entreprises questionnées s’estiment peu mature dans le domaine de la collecte des données [19]. Les raisons en sont diverses, mais le manque de compétence en interne, de confiance dans les technologies, et de visibilité engendrent une certaine frilosité des entreprises. Cependant, ces acteurs sont conscients de la valeur ajoutée que les données pourraient leur offrir. En effet, 89% des entreprises interrogées reconnaissent que l’analyse de la donnée offre un avantage compétitif [20]. Finalement, la donnée est au marketing ce que le cacao est aux grands chocolatiers : brute, elle ne vaut pas grand-chose, mais du savoir-faire et des compétences permettent de la transformer et la sublimer.

2.3) Data-free, data-informed ou data-driven ?

Comme nous l’avons expliqué précédemment, ne pas exploiter le potentiel du Big Data et des données personnelles c’est donc faire une croix sur l’ensemble des stratégies marketing qui reposent sur de l’analytique, du ciblage publicitaire personnalisé en one-to-one, et finalement de l’UX et de la satisfaction client. En somme, un site e-commerce qui décide d’opter pour un modèle data-free se prive :
  • De visibilité, dû à une absence de stratégie SEA et SEO, toutes deux basées sur les données de recherche, géographiques et socio-démographiques ;
  • De conversion avec une absence de retargeting et un abandon panier doublé d’un taux de rebond plus conséquent ;
  • D’analyse stratégique ROI, car sans exploiter les données, il est difficile d’estimer si une stratégie est payante ou non ;
  • De fidélisation, avec une absence de stratégie CRM et d’exploitation de données comportementales.
Selon Guillaume Catoni, responsable CRM à Interflora avec qui nous avons eu le plaisir de nous entretenir, le marketing d’aujourd’hui ne serait pas viable sans l’utilisation des données sauf dans le cas précis d’une innovation de produits ou de service. Pour qu’elle puisse se passer de la donnée marketing, l’entreprise devrait être seule sur un marché qu’elle aurait créé et présenter un niveau de satisfaction client extrême. Cependant, Christopher S. Penn, Data-scientist réputé ajoute les conditions suivantes pour qu’un marketing soit efficace sans les données consommateurs [21] :
  • La donnée (technique) n’est pas essentielle pour que le service puisse fonctionner ;
  • L’entreprise n’est pas en recherche de croissance exponentielle ;
  • L’entreprise communique avec ses consommateurs (sans avoir accès à une base de données avec mail, sms) et connaît parfaitement les besoins et attentes de ces derniers.
Toutes ces contraintes débouchent sur le constat suivant : il est pratiquement impossible de ne pas jouer le jeu du Big Data dans sa stratégie marketing. Bien qu’il ait longtemps évolué sans, le marketing d’aujourd’hui a besoin de la data pour offrir différenciation et pilotage des budgets. Selon M. Catoni, la donnée ne doit pas seulement être au cœur des stratégies marketing, elle doit en être la fondation dans laquelle chaque levier – CRM, acquisition, SEM, Web – viendrait piocher l’information. En opposition avec cette pensée, de nombreux spécialistes du domaine mettent en garde contre le marketing data-driven. En effet, Ezra Fishman, vice-président de la business intelligence à Wistia, conseille aux entreprises de considérer la donnée comme un facteur dans le processus décisionnel, et non comme l’élément sur lequel se baser [22]. Ainsi, au lieu d’explorer la donnée dans l’objectif d’en tirer des réponses, la bonne pratique serait de développer une hypothèse puis la tester et la valider avec des données. M. Fishman dénonce le manque de recul des entreprises, constatant que « nous sommes rarement aussi critiques à propos de nos données que ce que nous devrions être ». Ces spécialistes prônent ainsi une utilisation de la donnée raisonnée et raisonnable, pour une stratégie data-informed et non data-based.

3. Le cadre légal et éthique dans une stratégie de data-marketing

Si nous avons prouvé qu’une stratégie data-marketing rondement menée pouvait conduire à des résultats plus que satisfaisants, il va de soi que des contraintes légales et éthiques existent, afin de donner un cadre à des pratiques parfois abusives.

3.1) L’impact du RGPD sur les stratégies e-marketing

Nous avions évoqué le Règlement général sur la protection des données dans notre premier article, du point de vue de l’internaute. Cependant, en offrant une certaine protection à l’utilisateur, le RGPD suppose des changements dans les processus de traitement et de collecte des informations au sein des entreprises. Dans le cadre du data marketing, la programmatique, automatisation des campagnes de communication et publicités, a notamment été pointée du doigt à la sortie du RGPD. Pour cause, la nécessité d’un consentement éclairé de la récolte et de l’utilisation des données collectées. Ainsi, le 4ème baromètre programmatique basé sur un panel de 470 annonceurs, agences et éditeurs a permis de dresser un premier constat. Incontournable du marketing, la programmatique concentre 62% des investissement display des agences et annonceurs qui ont participé à cette étude [23]. Côté pratiques, 72% des annonceurs externalisaient encore le pilotage de ces campagnes marketing. En ce qui concerne le RGPD, 67% des annonceurs et agences et 84% des éditeurs se déclaraient conformes au cadre légal imposé par le règlement. Par ailleurs, 66% des annonceurs et 60% des éditeurs trouvaient que la mise en conformité et le respect de la vie privée n’étaient pas évidents. En outre, pour 75% d’entre eux, la conséquence la plus importante suite à la mise en vigueur du RGPD a été la baisse de consentements de leurs consommateurs, refusant plus volontiers les cookies.  Guillaume Catoni, notre expert CRM, a cependant nuancé ces affirmations en précisant que les internautes, par manque de temps, acceptent fréquemment les cookies des sites sur lesquels ils se rendent afin d’accéder au contenu qu’ils sont venus chercher. D’un autre côté, il ne faut pas occulter certains bénéfices qu’a pu apporter le règlement aux entreprises. En première position nous pouvons notamment retrouver une confiance accrue des internautes vers les entreprises qui exposent de manière transparente leur utilisation des données. Mais ce n’est pas tout : le RGPD permet également aux annonceurs qui externalisent d’être plus sereins sur l’éthique et le respect de leurs prestataires. Le baromètre a notamment révélé que 73% d’entre eux ont mis en place une Consent Management Platform (CMP) qui permet l’enregistrement et la restitution des consentements consommateurs [24]. Un pas de plus vers une transparence totale sur les données personnelles.

3.2) Respect et sécurité des informations de ses clients vs productivité et atteintes des objectifs

Dans un contexte hyperconcurrentiel, où les scrupules des uns ne sont pas nécessairement les scrupules des autres, il peut arriver que la recherche du chiffre empiète sur la sécurité et le respect du règlement. Selon l’étude Ifop pour Makazi dont nous avons parlé dans la partie « Opportunités du data-marketing », 61% des dirigeants d’entreprise ont reconnu certaines pressions qui conduisent à une utilisation excessive des données personnelles [25]. Nous pourrions également nous questionner sur la sécurité des informations que ces entreprises collectent. En effet, il est envisageable que ces dernières n’investissent pas assez dans la sécurisation des données.  Sachant que certaines entreprises notamment dans le secteur de la santé ont accès à des données dites sensibles, ce constat s’avère alarmant. L’étude Gemelto a ainsi révélé que 46% des entreprises questionnées ne savent pas où sont stockées les données sensibles [26]. Plus terrifiant encore, 27% estiment que la sécurité du réseau de leur entreprise a été compromises lors des 12 derniers mois, et 68% estiment que des utilisateurs non-autorisés ont accès à ces réseaux. La fuite des données consommateurs n’est en aucun cas un risque à prendre. La peur de la concurrence ou la motivation de la croissance ne peuvent constituer une excuse recevable. John Proctor, vice-président de Global Cyber Security, disait notamment à propos de la donnée « Si vous ne pouvez pas la protéger, ne la collectez pas » [27]. Les vulnérabilités des données et les failles de sécurité ne sont ainsi pas à prendre à la légère dans une démarche de collecte responsable. Si l’appât du gain motive des pratiques peu vertueuses pour certaines entreprises, d’autres s’orienteront sur des voies plus éthiques, basées sur une relation de confiance avec leurs consommateurs.

3.3) Promesse data-marketing et notion d’éthique

L’éthique est un concept philosophique qui a aujourd’hui perdu de son sens originel. Cependant, on peut définir l’éthique comme « une réflexion sur les comportements à adopter pour rendre le monde humainement habitable » [28]. Or, c’est exactement l’enjeu actuel du Big data : entamer sa transition progressive vers des données plus humaines. Inhérente à toute société qui évolue, l’éthique est un principe fondamental qui définit de nouvelles règles de conduite, adaptées aux changements internes que traverse cette société. Des avancées scientifiques à la médecine, elle protège au mieux les droits de chaque partie prenante de cet écosystème collectif, quel que soit le domaine d’exercice. Et le marketing ou plus précisément le data-marketing ne fait pas exception. Dans un monde idéal, les entreprises n’ont recours qu’à des pratiques marketing éthiques, offrant aux consommateurs une conscience éclairée reposant sur un critère non négligeable : la transparence de l’information. A la manière de la perfection dans la théorie néoclassique de la concurrence pure et parfaite, les utilisateurs doivent avoir accès à l’ensemble des informations relatives à la collecte et au traitement de leurs données. En somme, la promesse data-marketing repose sur un fragile équilibre entre éthique/transparence et performance/ productivité. Il est malheureusement plus commun que la balance penche plus du côté de la performance que de la transparence. Cependant, plus que comme une contrainte, l’éthique doit être perçue comme une réelle opportunité. Pour Guillaume Catoni, une fois que toutes les entreprises auront acquis un certain niveau technologique quant à la collecte des données, l’éthique sera ce qui permettra de se différencier de la concurrence. Les entreprises tendraient-elles à l’avenir à penser déontologie et éthique ? C’est ce que souhaiterait Helen Zeitoun, directrice générale d’Ipsos France. Selon elle, l’ère du big data et des « algorithmes obscurs » est bientôt révolue pour laisser place au Deep Data, une approche plus « en profondeur » de la donnée [29]. Mme Zeitoun estime que « la data est déshumanisée », et que la technologie via les algorithmes et les IA ne doit être utilisée que pour sa puissance de calcul. Les décisions d’analyses, les vérifications, et les postulats de départ doivent impérativement comporter une intervention humaine. Ce n’est donc pas demain que les machines nous remplaceront.

4. Conclusion :

Tout au long de cet article, nous avons pu analyser et mesurer le potentiel de la donnée dans les stratégies marketing des entreprises e-commerce. La connaissance consommateur, via les données propriétaires et externes, permet d’établir une relation personnalisée avec ses utilisateurs. Bien que complexes, les technologies de la data-science qui reposent sur des algorithmes performants offrent des optimisations précieuses pour l’ensemble du canal de conversion. Tout ce dont le marketing a toujours rêvé est désormais possible. A tel point qu’il paraît aujourd’hui impossible pour une entreprise e-commerce de se passer de la récolte et de l’exploitation de la donnée. Plus qu’une opportunité, l’utilisation des informations consommateurs est une nécessité dans une stratégie de différenciation et de développement. La raison du business florissant de Google que nous avions évoqué dans notre premier article est désormais évidente. Fournisseur de données comportementales et géographiques, et régie publicitaire pour le marketing, Google concentre une grande partie des investissements des annonceurs qui souhaitent directement parler à leurs consommateurs. Cependant, nous avons pu mettre en lumière une utilisation de la donnée encore imparfaite. Nombre d’entreprises exploitent mal les informations dont elles disposent, même si elles ont conscience du potentiel compétitif qu’elles gagneraient. Par ailleurs, des conflits internes entre différents spécialistes du domaine engendrent des débats sur les bonnes pratiques en termes de data-marketing. Certains estiment que la donnée devrait être à la base même de chaque décision marketing, là où d’autres y préfèrent une utilisation raisonnée, où la donnée sert à valider des hypothèses déjà formulées. En outre, le data-marketing atteindra ses limites le jour où la majorité des acteurs sauront pleinement exploiter les informations de leurs consommateurs, prospects et leads. Le facteur différenciant et la préférence des utilisateurs iront donc aux entreprises qui ont une approche éthique, responsable et raisonnable. Il faudra cependant encore de nombreuses années avant que les internautes atteignent cette maturité. Enfin, la donnée engendre des dommages collatéraux non négligeables, à savoir l’impact sur l’environnement. Les fermes de données, qui regroupent et stockent la « mémoire du monde » ont un certain coût écologique, certes encore invisible du plus grand nombre et difficilement quantifiable. Lorsque la recherche de transparence et d’éthique sera le critère numéro 1, les entreprises pourront-elles encore justifier de ce droit à polluer ?  

Bibliographie :

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Table des illustrations

Sources de données data-marketing
Titre Illustration 1 : Les différentes sources de données first, second et third-party data
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Tunnel AARRR data-marketing

Titre Illustration 2 : Le tunnel de conversion marketing en AARRR
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