La « brand-culture » ou culture de la marque est un néologisme que l’on entend de plus en plus souvent dans les milieux des agences de publicité, de marketing ou de branding. Il définit une présence omnisciente d’une marque dans la culture d’une population. La brand-culture est symbolique de la toute-puissance de certaines marques, à tel point qu’elles arrivent à faire partie intégrante de la vie et des valeurs de leurs consommateurs. Pour mieux comprendre ce terme et décrypter ce phénomène, il convient de définir ce qu’est la marque et de décrypter son histoire à travers la naissance du marketing et de la publicité au 20ème siècle. Ensuite, il convient de définir ce qu’est la culture et comment une marque peut glisser du statut d’acteur commercial et économique à celui d’agent culturel1. Enfin, la brand-culture présente de nombreux avantages et permet de redéfinir la relation entre la marque et les consommateurs notamment par rapport à la prise de « pouvoir » de ce dernier. Ces paramètres seront étudiés dans un troisième temps.

 

La marque

Qu’est-ce que la marque ?

En France, le terme de marque est défini par le Code de la Propriété Intellectuelle comme un « signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale »2.

On retrouve les premiers exemples de la marque dans les ranchs à la fin du 19ème siècle où les vaches étaient marquées au fer rouge pour identifier leur provenance, leur appartenance à un éleveur ou une collectivité. A l’époque, la marque n’avait aucune valeur commerciale ou émotionnelle. Elle servait uniquement à « marquer son territoire » et à rendre les vols plus difficiles et remarqués. Cependant, on retrouve la dimension de distinction dans ce système.

En effet, la marque sert à se distinguer. Il est important pour une entreprise d’arriver à rendre distinct son nom ou ses produits dans l’environnement bruyant et concurrentiel qu’est le marché.

Le consommateur a besoin d’un sigle, d’un nom ou d’un signe marqué sur les produits pour faire son choix. Après cette période de distinction, la marque agit comme un repère, une garantie de la qualité ou du prix du produit. Le consommateur peut se dire « J’ai confiance en ce produit car il provient de telle marque ». Elle devient un signe de confiance.

Aussi, aux débuts de la publicité dans les années 60 les marques se différenciaient les unes des autres en misant sur la qualité de leurs produits. En effet, de nombreuses agences reprennent le concept de Rosser Reeves qui est le Unique Selling Point3. Ce dernier consiste à mettre en avant le bénéfice principal du produit qui ne doit pas pouvoir être utilisé par la concurrence et qui doit être basée sur un élément réellement différenciateur. Le but était de vendre le produit en tant que tel, mais surtout son utilité intrinsèque. Si un fabricant automobile vendait des voitures de meilleure qualité que ses concurrents, il gagnait plus de clients et donc, plus de confiance de part sa promesse de solidité, fiabilité etc…

Petit à petit, les entreprises se sont lancées dans une quête pour atteindre la meilleure qualité de leurs produits, au meilleur prix pour leurs consommateurs et surtout aux meilleures marges pour elles-mêmes. Ainsi, c’est très logiquement que toutes les marques sont arrivées à un standard de qualité très élevé, répondant aux exigences de tout type de consommateur.

Cette standardisation a soulevé une question importante pour les entreprises et notamment les groupes agro-alimentaires tels que Procter & Gamble ou Unilever4. Comment arriver à se différencier dans ce contexte ? La solution trouvée est simple mais toutefois très habile : pour se différencier de ses concurrents, il faut se montrer différent. On assiste ainsi à une création de valeurs intellectuelles par la marque et pour la marque. Les managers de la marque (aujourd’hui appelés directeurs marketing) ont su créer une plus-value émotionnelle à leurs produits et/ou services. C’est-à-dire qu’on retrouve dans le produit, une valeur qui va au-delà de son utilité première. Cette dernière a initialement pour mission d’apporter un sentiment d’appartenance ou d’exclusion à un groupe qui agit en tant que supplément au produit. Cependant, les brand-managers ont constaté que ce supplément était la clé pour croître les ventes aux dépends des concurrents.

Mieux encore, ils ont découvert que cette plus-value émotionnelle leur permettait de pratiquer des prix plus élevés pour avoir des marges plus confortables avec comme justification une meilleure histoire ou une émotion plus forte derrière un produit.

Cette émotion se transforme peu à peu en attachement à la marque jusqu’à l’intégration quasi permanente dans le quotidien des consommateurs. La marque peut aller encore plus loin dans la vie des consommateurs en s’intégrant à part entière dans un mode de vie. Lorsqu’elle parvient à ce statut, elle devient un agent culturel à part entière. Ce phénomène est défini par Daniel Bô comme étant celui de la « Brand Culture ».

 

La culture

Qu’est-ce que la culture ?

Selon l’UNESCO, « la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

Plus globalement, la culture permet d’identifier un groupe. On parle souvent de cultures définissant un pays ou une région, comme la culture mexicaine, la culture scandinave, la culture bretonne… Aussi, on parle de cultures définissant un groupe bien précis qui partage nécessairement des valeurs communes comme la culture biker, la culture fitness etc…

Une culture est fondée sur quatre piliers qui sont les valeurs, les normes, les institutions et les artefacts. Les valeurs sont les idées qui semblent importants dans la vie. Les normes sont constituées par les attentes sur la façon dont les personnes doivent se comporter dans diverses situations5. Les institutions sont les structures qui gèrent les normes et les artefacts sont les choses qui décrivent les valeurs et les normes.

On retrouve évidemment ces quatre piliers dans une entreprise et une marque. La brand culture c’est appliquer les valeurs et normes d’une entreprise à la culture des consommateurs ou inversement.

Daniel Bô rappelle dans son ouvrage « Brand-Culture » que « la création et la diffusion de contenus par les marques sont souvent l’occasion de révéler un patrimoine, des savoir-faire, une histoire… qui témoignent de leur richesse culturelle ». Dans ce processus, on retrouve effectivement la notion de valeurs, normes et artefacts (qui ici, résident dans les produits ou les services de la marque).

En véhiculant intelligemment ces piliers de la culture au sein d’une marque, on sort peu à peu du rôle d’acteur économique des marques. Ainsi, on assiste au phénomène de transformation de la marque en tant qu’agent culturel par le rapprochement de celle-ci aux caractéristiques qui définissent la culture.

 

La place de la brand culture dans la société française actuelle

Pour définir la place de la brand culture aujourd’hui, il est intéressant de se pencher sur les premiers touchés par cette transformation : les consommateurs. C’est effectivement leur perception de la marque qui définit sa place dans leurs vies et leurs habitudes de consommations.

Une étude réalisée en octobre 2017 par Opinion Way pour l’agence FamousGrey Paris6 a étudié les liens qui existent entre les consommateurs et les marques et comment ils se caractérisent. Cette étude est intéressante pour la problématique étudiée ici car elle se base sur trois liens qui définissent la relation entre les consommateurs et les marques : le lien fonctionnel, le lien personnel et le lien commun.

Le lien fonctionnel est celui qui repose sur la position commerciale de la marque et si ses prix sont vus comme étant justes et adaptés.

Le lien personnel est celui qui témoigne de l’utilité de la marque et de ses produits ou services pour le consommateur. Il se renforce ou s’affaiblit selon comment elle facilite le quotidien des consommateurs, comment elle récompense leur fidélité, qui les inspire et a des valeurs qui font écho aux leurs.

Enfin, le lien commun va plus loin que les deux précédents en étant rattaché au fait que la marque ait une place utile à la société toute entière, qu’elle soit engagée ou qu’elle revendique des valeurs éthiques et qu’elle soit génératrice d’une communauté.

L’étude d’Opinion Way est basée sur l’interrogation de 1032 personnes et permet de classifier les principaux leviers de l’attachement aux marques.

Toujours selon cette étude, les trois paramètres auxquels les français accordent le plus d’importance sont les suivants : leur capacité à proposer des produits et/ou services au prix juste (60%), les facilitateurs du quotidien (46%) et l’utilité (45%). Ces résultats mettent en évidence que ce sont davantage les critères rationnels qui ont leur importance dans l’attachement aux marques.

Cependant, l’étude souligne que d’autres niveaux sont également à prendre en compte dans l’appréciation générale des marques par les consommateurs, au-delà du socle rationnel : « En effet, les Français expriment le besoin que les marques partagent des valeurs communes aux leurs, en les défendant (35%) et en revendiquant de l’éthique et de la transparence (32%). Ils attendent également que les marques s’engagent positivement envers la société, notamment en y jouant un rôle utile (32%) ».

Ainsi, on constate que bien que les critères rationnels et le lien fonctionnel des marques restent en tête dans les esprits, il y a une nette tendance quant à l’émergence de l’appartenance émotionnelle aux marques et à leur place dans la vie des consommateurs.

Alexandre Martin, directeur du planning stratégique de FamousGrey Paris explique que “Il ne s’agit pas seulement d’avoir le bon produit, de véhiculer les bonnes valeurs ni même d’avoir le bon combat mais au contraire de réussir à construire conjointement les trois dimensions, afin que chacune renforce l’autre. Cette imbrication est un travail d’adaptation permanent de la marque par la créativité. La clé pour adapter en permanence la marque à son consommateur. […] S’adapter quotidiennement, sans se perdre sur le long terme. […] Créer du lien avec son consommateur est un exercice d’équilibriste entre l’acceptabilité d’une création et la nécessité de surprendre, de faire avancer la marque pour qu’elle traverse les générations7.

Les marques qui « réussissent » sont donc les marques qui arrivent à se classer en haut du classement parmi les marques préférées des consommateurs.

Pour y parvenir, elles parviennent en effet à proposer non seulement des produits et services de qualité mais aussi à mettre en scène leur services commerciaux en les articulant autour de leurs valeurs, de leur histoire, de leur savoir-faire etc… Cependant, ces articulations ne sont pas faites de manière aléatoire. Les valeurs mises en avant sont des singularité positives, c’est-à-dire des composantes qui permettent par exemple de bénéficier d’un capital sympathie ou de paraître engagé pour les causes éthiques.

Ainsi, beaucoup de marques aujourd’hui utilisent ces méthodes pour se créer une identité forte et vivre en symbiose avec d’autres cultures.

On peut citer par exemple la marque Van’s et la culture skateboard. Van’s fait en sorte de diffuser ses valeurs et son image, identique à celles du monde des skateurs. Au-delà de la publicité commerciale, la marque se sert de sa culture comme un levier puissant pour atteindre ses cibles, faire partie de leur mode de vie et faire de chaque consommateur, des ambassadeurs.

En France, on retrouve Danone, Yves Rocher, Google, parmi les marques les plus appréciées. Si certaines brillent par leur utilité et leur apport au quotidien (Danone, Google), certaines se démarquent plus par leur engagement éthique (Yves Rocher). Ainsi, les stratégies sont différentes mais comme le souligne Alexandre Martin, c’est le bon équilibre entre les liens fonctionnels, personnels et commun qui renforcent la place de la marque au sein d’une culture.

La brand culture est donc très présente dans la société actuelle, dans la mesure où la plupart des marques appuient leur communication sur l’ensemble des liens fonctionnels, personnels et communs au travers de contenus de marque, d’événements, de sponsoring, d’engagement éthique ou tout simplement d’interaction avec les consommateurs.

 

Les enjeux

Maintenant que la place des marques dans la culture est constatée, qu’en est-il des enjeux pour ces dernières ainsi que pour les consommateurs ? Faisons-nous face à un changement sociétal accepté ou repoussé ? En effet, il convient de s’interroger sur ce que la brand culture apporte pour chacune des parties.

Pour les consommateurs

Bien qu’on pourrait penser le contraire, la brand culture apporte beaucoup au consommateur. En effet, la marque fait partie du quotidien et/ou des valeurs culturelles de ce dernier, elle n’en est pas pour autant intrusive. C’est une question de perception. Un consommateur qui achète chaque jour du Coca-Cola ne vas pas rejeter une publicité ou un contenu sponsorisé par la marque, il va au contraire prendre le temps de s’y intéresser beaucoup plus facilement que s’il n’en consommait pas. Ainsi, bien que fortement exposé, il n’aura pas nécessairement l’impression de faire face à une marque intrusive.

Aussi, si une marque accède au rang culturel elle prend nécessairement le parti de donner la parole à ses consommateurs. A l’ère du digital, des réseaux sociaux et des avis laissés sur Internet il est indispensable pour une marque de maitriser son message et son audience sur tous les supports digitaux (site web, forums de consommateurs, réseaux sociaux…). Les consommateurs veulent interagir avec les marques. Ils n’hésitent plus à la solliciter dans des tweets ou sous des posts Facebook.

Les marques doivent donc faire preuve de réactivité, de transparence, d’honnêteté et d’engagement pour gagner la confiance des consommateurs. Comme dit précédemment, il ne suffit plus de faire de bons produits mais aussi de bien se comporter.

Les consommateurs ont gagné (à raison) un droit de regard sur le process de fabrication, la culture, les valeurs de l’entreprise et son engagement éthique. Aujourd’hui, ils reviennent au centre de toutes les attentions. Les marques ont cessé de se focaliser sur le produit qu’elles vendent et décident de se dédier aux besoins de leurs clients et leurs désirs, leurs valeurs, leur culture finalement. On assiste à une transmission du pouvoir des marques vers les consommateurs. Ce dernier ne se retrouve plus « à la merci » du message commercial et de l’entreprise mais bien en tant qu’entité dominante dans la relation.

Pour les marques

Pour les marques, l’enjeu semble plutôt évident à discerner. En effet, ériger une marque au statut d’agent culturel est le rêve de tout entrepreneur. Il est difficile de s’éteindre lorsque l’on fait partie pleinement d’une culture et du quotidien des consommateurs, sauf cas extrême causé par une récession économique ou une innovation technologique majeure (on peut par exemple citer Kodak, qui n’a pas su prendre le tournant du numérique).

Lorsqu’une marque agit en tant qu’agent culturel elle prend une place importante dans le paysage social et s’impose plus naturellement à la vue de tous. Elle assume également sa présence et ses valeurs au travers de ses consommateurs, qui sont alors des ambassadeurs. Dès lors que les individus entendent parler d’une marque par un de leurs semblables ils sont plus enclins à l’apprécier parce qu’il y a un partage de valeurs qui s’effectue.

Ainsi, les actions commerciales deviennent plus fortes sur ces populations, les investissements peuvent être revus à la baisse et les marges peuvent être augmentées, encore une fois justifiées par les valeurs de la marque qu’elle souhaite véhiculer.

Être aussi présent dans la vie des consommateurs et avoir une bonne interaction avec eux signifie également recevoir plus d’insights. En effet, par leurs retours et leurs habitudes de consommations, les consommateurs donnent des indices sur ce qu’ils sont et facilitent ainsi le travail de la marque pour tenter de les atteindre. La marque peut alors constamment adapter ses produits/services et sa posture pour rester dans leurs vies et les séduire continuellement.

Le challenge de la marque est donc de taille. Elle doit constamment s’adapter et évoluer pour que l’expérience du client soit toujours excellente.

Des efforts constants sont de rigueur voire nécessaires si elle veut rester dans le cœur des consommateurs. Ce n’est en effet pas parce que la marque est ancrée dans la culture, qu’elle restera aimée. S’adapter signifie être en veille tendancielle et concurrentielle. Il est important pour la marque de s’imprégner des valeurs culturelles actuelles et de s’y ajuster pour rester compétitif dans l’impact culturel qu’elle peut avoir.

Toutefois, elle doit veiller à ne pas être trop ancrée dans une tendance et doit embrasser tous les changements sociétaux. Autrement, elle risque d’être trop emblématique d’une époque ou d’une valeur et risque de s’effacer au fil du temps, à la manière d’autres agents culturels comme la musique, le cinéma etc…

Pour finir

La brand culture est finalement l’appropriation des codes culturels par les marques dans le but d’être plus présente dans la société sous une forme de soft power. Cependant cette présence ne se caractérise pas nécessairement par un dénigrement des consommateurs. En effet, grâce aux moyens digitaux les marques ne peuvent plus se cacher derrière une communication opaque. La brand culture est dans un sens plus humaniste car elle permet au consommateur d’être remis au centre de tout processus. Tout part de lui et c’est lui qui est le juge.

C’est un puissant levier pour les marques pour gagner en crédibilité et en notoriété. Cependant, la brand culture ne se gagne pas par une simple présence mais par un ensemble de moyens coordonnés et complexes et, surtout, par le temps.

Dans d’autres articles, la réflexion se posera en effet sur la légitimité et les aspects de la prise de parole des marques sur des enjeux sociétaux (racisme, protection de l’environnement, droit des femmes etc…) ainsi que sur les tendances à suivre pour s’inscrire dans la culture actuelle.

 

Références :

1 Daniel Bô – « Brand Culture » – 2013

2 BATHELOT. B., Définition de la marque, Décembre 2017

3 Définition de l’USP : https://www.definitions-marketing.com/definition/usp/

4 DE SWANN ARONS. M., “How Brands Were Born: A Brief History of Modern Marketing”, 03 octobre 2011

5 Définition de la culture, Wikipédia

6 Sondage et étude de OpinionWay pour FamousGrey – Brand Linkage Survey – Octobre 2017

7 Interview de Alexandre Martin, directeur du planning stratégique de FamousGrey Paris – CB News – Octobre 2017